L’Evénement Syndical | En Suisse, j’ai commencé une deuxième vie
La journaliste Aline Andrey dresse le portrait d’un homme iranien que la Suisse menace de renvoi avec sa famille après sept ans passé en Suisse. Leur parcours semble cocher toutes les cases pour pouvoir trouver protection en Suisse: emprisonnés dans leurs pays d’origine, victimes de torture, le couple Abbazsadeh fuit vers la Suisse et parvient à travailler et à se former durant les cinq ans que la Suisse prend pour examiner leur demande. C’est après une formation finie, la naissance de deux enfants et un travail en poche que le Tribunal administratif les informe du rejet de leur recours plongeant la famille dans la précarité de l’aide d’urgence. Une demande de régularisation via l’octroi d’un permis humanitaire est l’espoir qui leur reste, alors que comme tant d’autres personnes migrantes, le rappel la journaliste, cette famille aurait « sa pierre à amener à l’édifice » en Suisse.L’article de Aline Andrey « En Suisse, j’ai commencé une deuxième vie » a été publié le 22 juin 2022 sur le site de l’Evénement Syndical. Son auteure l’a généreusement mis à notre disposition, ce qui ne doit pas faire oublier la valeur du travail énorme entrepris par ces journalistes qui accordent une attention toute particulière aux personnes précarisées.
Vous aussi signez la pétition pour demander d’annuler la décision de renvoi de cette famille.
«En Suisse, j’ai commencé une deuxième vie»
Après sept ans en Suisse, la famille Abbaszadeh doit quitter le territoire. Une demande de permis humanitaire sera déposée
En ce 2 juin, en arrivant au secrétariat lausannois d’Unia, Reza Abbaszadeh a besoin d’un café. Il vient de sortir des bureaux du Service de la population (SPOP), éreinté. Le requérant d’asile iranien a dû laisser au fonctionnaire son permis N, celui de sa femme et de ses deux enfants. En échange, une attestation de délai de départ (appelée «papier blanc») qui ne donne droit qu’à une aide d’urgence minimale. Chamboulé, il garde pourtant son sang-froid et son sourire, salue chaleureusement un secrétaire syndical qu’il connaît. Puis, lui raconte la décision de renvoi du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) dont la lettre lui est arrivée il y a quelques semaines. «Je n’y croyais pas. Cela a été un choc», se souvient Reza Abbaszadeh dans un souffle.
Son natel sonne. Deux ou trois mots en persan. Il raccroche, explique: «C’est ma femme, elle commençait à se faire du souci, à croire qu’on m’avait embarqué.» Dans un très bon français qu’il a acquis au fil de nombreux cours et de leçons autodidactes, il raconte sa déception, immense, et son incompréhension d’un système «qui te loge et te nourrit pendant sept ans, pour te jeter ensuite». Alors même qu’il a conquis son autonomie. «Après des années de bénévolat et de stages, j’ai enfin un travail bien rémunéré d’éducateur. Je peux payer mes impôts, nourrir mon épouse et mes deux enfants nés ici, et on me dit maintenant que je n’ai pas ma place en Suisse…»
La case prison
Impossible pour lui d’imaginer retourner en Iran. Celui qui n’a ni religion ni passeport risque la prison (s’il arrive à rentrer, car il n’existe pas d’accord de réadmission) du fait de ses divergences politiques avec le régime autocratique islamique. Avant son exil, le couple a été emprisonné. Son épouse Maryam a de surcroît subi des tortures en détention, attestées par plusieurs médecins ici en Suisse. «Grâce à la caution versée par mon oncle, nous avons été libérés.» Peu après, à l’occasion d’un voyage d’affaires en Grèce, le businessman et son épouse quittent l’Iran par avion, non sans peur d’être arrêtés à la douane. C’est donc par la voie des airs que le couple arrive en Europe début 2015. Il se rend jusqu’à Genève, car on leur fait miroiter un visa pour le Canada. «Une arnaque», résume Reza Abbaszadeh, qui décide alors de demander de l’aide à un policier. Celui-ci lui conseille de se rendre à Vallorbe. «J’ai payé nos deux billets de train et nous sommes arrivés au centre d’asile. Je n’avais aucune idée de la procédure», se souvient-il. Ni du parcours du combattant qui l’attendait…
Large soutien
Et, pourtant, il remercie encore et encore l’Établissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM), les collaborateurs du foyer de Bex, puis les conseillers emplois à Lausanne, tous ceux qui lui ont fait confiance, ses amis… «Je n’ai rencontré que des gens très gentils.» Pas étonnant qu’il ait ainsi récolté en quelques semaines une trentaine de lettres de recommandation et près de 1200 signatures sur une pétition. Celle-ci revient sur leur arrivée en Suisse il y a sept ans et leur recours récemment refusé: «Leur fils de 5 ans a démarré l’école l’année dernière, et leur fille est née il y a 9 mois. Malgré son statut précaire, Reza a été accepté à l’ESSIL (Ecole supérieure sociale intercantonale de Lausanne) et a été engagé comme éducateur social dans une institution pour personnes en situation de handicap. La famille est indépendante financièrement et très bien intégrée.»
Auparavant le quarantenaire avait travaillé comme informaticien dans le foyer de Bex pour le compte de l’EVAM. Un métier appris à l’Université de Téhéran, pour faire plaisir à son père surtout. Il a collaboré ensuite dans une maison de quartier lausannoise, puis dans un foyer pour mineurs non accompagnés. «C’est là que je me suis rendu compte que j’aimais aider, se souvient-il. Ici, en Suisse, j’ai commencé une deuxième vie, j’ai tout repris de zéro.» Une existence sans richesse, sans voyages, faite d’humilité et d’apprentissages pour celui qui vient d’une famille bourgeoise et qui a vécu dans un certain confort.
Redonner ce qu’il a reçu
«Depuis que je suis arrivé en Suisse, j’ai toujours travaillé autant que je pouvais, même bénévolement. Car l’aide que j’ai reçue de l’EVAM, c’est l’argent de tout le monde. On m’a donné, et c’est normal de redonner d’une manière ou d’une autre, souligne Reza Abbaszadeh. Depuis sept ans toutefois, le permis N, très restrictif, m’a fait me sentir un peu en prison. Il ne permet ni de passer la frontière, ni d’avoir un abonnement de téléphone ou de télévision, ni une quelconque carte de magasin à son nom. Mais, aujourd’hui, c’est encore pire.»
En décrochant un emploi correctement rémunéré, il espérait avoir les moyens de pouvoir enfin voyager au moins en Suisse. A peine la tête sortie de l’eau, le voilà de nouveau tiré dans les profondeurs. Il n’a même plus de permis. «Je suis triste, mais c’est ça aussi la vie. Il faut continuer», exprime avec sagesse celui qui ne sait pas ce que lui réserve l’avenir et qui s’inquiète surtout de la fragilité psychique de son épouse et de la stabilité de ses enfants. Son seul espoir: que sa demande de permis B humanitaire soit acceptée.
Témoigner n’est pas facile pour Reza Abbaszadeh, risqué peut-être, mais nécessaire pour prouver qu’il existe et qu’il a sa pierre à amener à l’édifice de la Suisse; comme tant d’autres migrants avec ou sans statut légal.