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Republik | Le Secrétariat d’État aux migrations et le chat mutilé…

Ou l’art de détourner l’attention lorsqu’on est sous le coup d’une enquête pour violences

Actes criminels à l’encontre du personnel des centres fédéraux par des extrémistes de gauche ? L’accusation émanait du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) au moment où elle-même était empêtrée dans des dénonciations et enquêtes journalistiques sur de graves violences dans les CFA [1]SEM, Actes criminels contre des employés et des millions de dommages matériels, 27.04.21. Une communication que les médias ont véhiculée sans questionner le narratif de l’autorité fédérale. Une enquête du média en ligne alémanique Republik détaille aujourd’hui comment les services de communication du SEM et de son chef de l’époque, Mario Gattiker, semblent avoir joué un jeu douteux: «Des documents de police suscitent désormais des doutes quant aux déclarations de l’autorité fédérale.» Le devoir d’exemplarité en prend un sacré coup.

Avec l’aimable autorisation de l’auteur, nous publions une traduction de l’article que nous vous recommandons de lire dans sa version originale en allemand sur le site de Republik, qui fournit les liens et références (en allemand) des articles de presse cités.

Sophie Malka

L’article de Daniel Ryser est paru sous le titre Das Amt und die verstümmelte Katze le 1er juillet 2022 sur le site de Republik.

Das Amt und die verstümmelte Katze (L’Office et le chat mutilé)

Par Daniel Ryser

Le Chat Noir (Adolphe Willette), photo Jl FilpoC, CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons

Il y a un an, le Secrétariat d’État aux migrations dénonçait via un communiqué de presse des ‘ »actes criminels graves » contre l’une de ses collaboratrices à Bâle [2]SEM, Actes criminels contre des employés et des millions de dommages matériels, 27.04.21 . Les auteurs : des extrémistes de gauche. Les médias ont largement repris l’histoire. Des documents de police suscitent désormais des doutes quant aux déclarations de l’autorité fédérale.

Le chat a échappé de peu à la mort, déclarait Reto Kormann, porte-parole du Secrétariat d’État aux migrations: « Le vétérinaire a pu sauver le chat de justesse ».

C’était fin avril 2021, et le « Blick » écrivait : « A Bâle, des extrémistes de gauche ont lancé une chasse à l’homme contre une collaboratrice du centre fédéral d’asile. Pour cela, tous les moyens leur sont bons – et la violence n’est pas un tabou ». Dans un autre article, on pouvait lire : « Au même moment, des inconnus blessent presque mortellement le chat de la famille. Incroyable : l’animal a été partiellement dépouillé de sa fourrure alors qu’il était encore vivant ».

Même son de cloche sur divers autres portails d’information :

  • « Des inconnus manipulent des freins de voiture – la police fédérale enquête », pouvait-on lire sur SRF. « Des groupes d’extrême gauche sont soupçonnés ».
  • Dans la NZZ : « Chat mutilé et câbles de frein manipulés : agressions contre une employée d’un centre d’asile bâlois ».
  • Sur le portail en ligne « Watson » : « Chat mutilé, freins de voiture manipulés : Une fonctionnaire de l’asile est massivement menacée ».

Les rapports avaient été déclenchés par le Secrétariat d’État aux migrations (SEM), qui a informé le 27 avril 2021 dans un communiqué de presse d’ »actes criminels graves contre des collaborateurs et des dommages matériels se chiffrant en millions ». On pouvait y lire : « À Bâle, les attaques personnelles de cercles anonymes contre certaines personnes travaillant au Centre fédéral d’asile de Bâle ont toutefois pris une ampleur nouvelle et inquiétante au cours des derniers mois. Dans l’environnement privé d’au moins une collaboratrice du SEM et de sa famille, des dommages matériels massifs et des actes criminels graves ont même été commis ».

Le SEM a informé le public de ces attaques à un moment remarquable. Le service des migrations savait qu’une enquête explosive de la WOZ, de la SRF et de la RTS était sur le point d’être publiée. Au centre de l’enquête médiatique : des agressions violentes commises par le personnel de sécurité contre des requérants d’asile dans des centres fédéraux d’asile. Responsable : le Secrétariat d’État aux migrations.

Lorsque l’enquête a été publiée début mai 2021, la WOZ a écrit que le SEM avait relativisé et minimisé les accusations de violence et nié l’existence de tels incidents « jusqu’à ce que des preuves de leur existence apparaissent par ailleurs ».

Presque au même moment, l’autorité s’est pourtant adressée de son propre chef au public pour l’informer de l’affaire du « chat mutilé par des extrémistes de gauche ». Une histoire que les médias ont volontiers reprise.

Mais est-elle vraie ?

Une nouvelle version de l’histoire voit le jour

Republik dispose de rapports de police, d’interrogatoires et de photos de preuves – l’ensemble des dossiers d’enquête dans cette affaire. Ils montrent que les choses ne se sont pas déroulées comme l’histoire a été racontée par le SEM au printemps 2021. De nombreux reproches formulés se sont entre-temps évaporés, certaines descriptions sont pour le moins douteuses, la procédure contre une personne incriminée a entre-temps été suspendue et les procédures contre inconnu ont été suspendues.

Le porte-parole du SEM Reto Kormann affirme aujourd’hui qu’il a lui-même vu à l’époque les images du chat mutilé, de même que son chef, Daniel Bach. Des images, dit le porte-parole du SEM, qu’il n’aurait jamais montrées à ses propres enfants. Mais lorsque Republik veut visionner les images, le porte-parole du SEM refuse – malgré son engagement initial.

Dans le rapport du vétérinaire que Republik a pu consulter, il est dit que le chat a été blessé à la queue le 11 mars 2021 après une balade nocturne : « Libre, sorti hier soir. Rentré ce matin avec des blessures. Sinon, tout était normal ». Le rapport poursuit : « L’intervention d’un tiers ne peut malheureusement pas être exclue pour cette blessure ».

Bien qu’il ne soit pas question d’une attaque humaine, un « ne peut être exclu » est devenu « partiellement écorché vif » – et ce par des extrémistes de gauche. Il ressort du dossier que l’ancien secrétaire d’Etat Mario Gattiker est responsable de cette version détournée.

En effet, la plainte pénale adressée à la police cantonale par la propriétaire du chat le 11 mars 2021, indiquait que « selon le rapport du vétérinaire, on ne peut pas exclure l’intervention d’un tiers ». Une semaine plus tard, le chef du SEM de l’époque, M. Gattiker, écrit dans sa plainte pénale adressée au Ministère public de la Confédération : « Les investigations menées à la clinique vétérinaire ont montré qu’en raison de la nature des blessures, l’intervention volontaire d’un tiers est probable ».

Dans le « rapport complémentaire » de la police cantonale soleuroise rédigé par le chef de région Jura-Nord le 5 juillet 2021, on peut lire : « On a ensuite pu lire dans la presse que même son chat domestique avait été mutilé et son pelage rasé par l’auteur inconnu ». S’il est indéniable que le chat, fortement blessé, a dû être emmené chez le vétérinaire, écrit le policier cantonal, « pour pouvoir l’opérer, il fallait bien sûr raser au préalable la partie correspondante de son corps. La vétérinaire et la famille savaient toutefois que cela n’avait eu lieu qu’à la clinique et n’avait pas été infligé par l’auteur inconnu ».

Comment le SEM en est-il arrivé à donner une telle version que même la police chargée de l’enquête n’en croyait pas ses yeux ? Comment l’ancien chef du SEM, M. Gattiker, en est-il venu à affirmer, contrairement au rapport du vétérinaire et à la plainte déposée auprès de la police cantonale soleuroise, qu’une « action volontaire d’un tiers » était « probable » ? Comment le porte-parole du SEM Kormann en est-il venu à dire au « Blick » que le chat avait été écorché vif si ce n’était pas vrai ?

Le SEM qui, en 2021, face à l’enquête critique de la WOZ, de la SRF et de la RTS sur ses propres violences et malgré l’enquête en cours du Ministère public de la Confédération, racontait volontiers sa version de l’histoire par le biais d’un communiqué de presse et du porte-parole Kormann, refuse soudain de s’exprimer lorsqu’il est confronté à des incohérences. On ne peut et ne veut pas prendre position sur les questions de Republik, fait savoir le porte-parole du SEM Daniel Bach. Selon lui, les questions sur la procédure doivent désormais être adressées à l’autorité de poursuite pénale compétente.

Il y a encore d’autres incohérences dans la version de l’histoire diffusée par le SEM.

Il ressort également du rapport de police que des extrémistes de gauche ont été rendus responsables d’autres incidents pour lesquels il n’est pas prouvé qu’il y ait eu des personnes impliquées. Dans un cas, la police part même du principe que l’histoire dénoncée n’a jamais eu lieu.

Sur la base des documents, on peut se demander si le couple victime d’une campagne d’insultes est devenu à un moment donné si anxieux qu’il a commencé à voir des fantômes. Ou bien s’ils ont participé activement à alimenter une campagne largement médiatisée sur des attaques qui n’ont jamais eu lieu.

L’enquête mène à un renard

Un an avant que le SEM n’informe le public de prétendus « actes de violence à motivation politique », l’émission « Rundschau » de la SRF (« Prügel-Klima im Basler Asylzentrum ») et la WOZ avaient fait état pour la première fois de violences à l’encontre de requérants d’asile au centre fédéral d’asile bâlois de Bässlergut. La critique portait alors sur une soi-disant « salle de réflexion ». Des demandeurs d’asile ont déclaré aux journalistes avoir été battus à l’hôpital. Les collaborateurs de Securitas ont également évoqué une situation extrêmement tendue et plusieurs altercations physiques par semaine. Fin décembre 2019, un requérant d’asile s’était en outre pendu. Les protestations contre le centre fédéral d’asile se sont multipliées.

Outre un collaborateur de l’entreprise d’encadrement ORS ainsi qu’un collaborateur de Securitas, une femme qui travaillait au centre fédéral d’asile en tant que spécialiste du Secrétariat d’État aux migrations et qui était en même temps candidate au Grand Conseil soleurois pour le Parti socialiste (PS), s’est retrouvée dans la ligne de mire des critiques. Beatrice Muster (nom d’emprunt) a été mise à l’index à la mi-mars 2021 sur la plateforme en ligne de gauche Barrikade.info : le portail l’a désignée comme directrice du centre (sans qu’il soit clair, selon le dossier, si cette désignation est correcte) et a publié sa photo, son adresse électronique et son numéro de téléphone en lui demandant de démissionner de ses fonctions.

Suite à cela, tant le PS soleurois que Beatrice Muster ont reçu personnellement des appels et des courriels dans lesquels des personnes – fournissant la plupart du temps leur nom- se plaignaient des conditions dans le camp.

Fin février 2021, deux semaines avant l’appel lancé sur le site Internet, trois pneus avaient été crevés sur l’une des voitures du couple et la carrosserie avait été rayée. Début mars, la deuxième voiture a été rayée avec l’inscription « Fight SEM ».

Enfin, début mars, des affiches ont été placardées au domicile de la politicienne du PS et en vue des élections à venir : on y voyait sa photo à côté de celle de deux collaborateurs de Securitas, ainsi que leurs noms, adresses e-mail et numéros de téléphone portable. Le message : ces deux employés de Securitas frappent des demandeurs d’asile, la candidate du PS tolère cela.

Une semaine plus tard, le chat est rentré à la maison, blessé. Tout semblait lié : Le chat blessé ne pouvait que faire partie de la campagne contre la collaboratrice du SEM.

C’est alors que l’incident le plus grave s’est produit : le 20 avril 2021, Beatrice Muster a signalé qu’elle était rentrée chez elle le soir peu après 21 heures et qu’elle avait surpris deux personnes en train de s’en prendre à son véhicule. Les personnes ont pris la fuite. Son mari, un policier, a examiné la voiture et a constaté que le flexible de frein ainsi que les capteurs ABS avaient été coupés (ce que la police cantonale a confirmé par la suite).

Selon le témoignage d’une autre collaboratrice du SEM, le voyant du liquide de frein s’était allumé quelques semaines auparavant. Selon ses dires, on a constaté début avril dans un garage que la valve de frein était desserrée. La collaboratrice a porté cette affaire à la connaissance du SEM après avoir été informée des autres incidents.

Lors de l’incident avec les câbles de frein, comme lors de l’incident avec le chat, il n’y a pas eu de revendication de la part des milieux politiques, comme c’est généralement le cas. Pour le SEM, il était néanmoins clair qu’il s’agissait d' »actes de violence à motivation politique ». Sur dénonciation du SEM, le Ministère public de la Confédération a ouvert une enquête pénale fin mars 2021, comme le veut la pratique en cas d’extrémisme politique présumé, pour contrainte, violence et menace contre des fonctionnaires, puis pour dommages à la propriété et cruauté envers les animaux. Jusqu’alors, c’est le ministère public de Soleure qui avait mené l’enquête.

Mi-juin 2021, le mari de la collaboratrice du SEM a porté plainte une nouvelle fois auprès de la police cantonale soleuroise, cette fois parce qu’un inconnu s’était approché de la maison et avait dérobé une chaussure dans un abri. La police cantonale a ouvert une enquête. Peu après, elle était certaine d’avoir trouvé l’auteur inconnu : un renard.

La nuit du crime, des chaussures avaient disparu dans tout le quartier. Les traces sur les chaussures retrouvées indiquaient clairement la présence d’animaux sauvages.

L’histoire a ensuite pris une tournure étrange.

« Doutes légitimes »

Le 13 juin 2021, la collaboratrice du SEM a signalé que des inconnus avaient apposé sur sa maison une affiche appelant à une « manifestation contre le système des camps ». Lorsque la police scientifique s’est rendue sur place, la femme avait déjà retiré et jeté l’affiche, contrairement aux instructions de la police. Comme preuve de l’existence de l’affiche, elle a présenté autre chose : une photo. Elle a donné à cette occasion des indications très précises: « J’ai nettoyé la façade avec une éponge ». Elle aurait ensuite jeté l’affiche, après avoir consulté un fonctionnaire de l’Office fédéral de la police.

La police a minutieusement enquêté sur l’incident, expertisant et photographiant la scène sous tous les angles possibles. Au final, elle est arrivée à la conclusion que le mur sur la photo n’était pas identique à celui sur lequel l’affiche avait prétendument été collée : la structure de la surface du mur de l’immeuble en question « se distingue nettement des structures du mur sur lequel l’affiche a été collée », peut-on lire dans l’analyse des traces du 24 juin 2021, qui compte des dizaines de pages.

Les enregistrements d’une caméra de surveillance installée auparavant n’auraient rien révélé non plus. De plus, la police scientifique n’a pas pu constater de traces de nettoyage sur place. Lorsque les techniciens de la police scientifique se sont renseignés sur le produit de nettoyage, la collaboratrice du SEM leur a dit qu’elle l’avait emprunté au secrétariat local du PS et qu’elle l’avait rendu entre-temps.

Les techniciens ont contacté le secrétariat du PS, mais celui-ci a nié « avoir reçu un quelconque produit de nettoyage ou en avoir retiré un chez Mme Muster ».

Le rapport de police fait également état d’une conversation téléphonique avec un autre collaborateur du PS, qui avait été indiqué comme destinataire possible du produit de nettoyage : « Il n’a jamais reçu ni vu aucun produit de nettoyage. Il a encore regardé devant chez lui, mais n’a pu constater aucun produit de nettoyage et n’en a jamais reçu de Mme Muster ».

La suite des explications du policier cantonal soleurois laisse assez perplexe : pendant l’appel téléphonique, on a soudain sonné à la porte du collaborateur du PS, dit-on. « Lorsque celui-ci a ensuite ouvert la porte, son attitude a changé. Il semblait soudain stressé et voulait mettre fin à la conversation téléphonique le plus rapidement possible ».

Selon le rapport interne, la police avait « des doutes justifiés sur les déclarations de la victime ». Et d’ajouter : « Selon le rapport d’enquête du service de la police scientifique, il faut partir du principe que l’affiche en question n’a jamais été apposée sur la façade de l’immeuble Muster ».

Beatrice Muster a cependant maintenu sa version des faits. Même après que le Ministère public de la Confédération (MPC) ait repris l’enquête.

Interrogée le 3 mars 2022, elle a déclaré au procureur fédéral qu’elle avait simplement voulu faire disparaître l’affiche le plus rapidement possible et que les experts avaient mis trois jours à la trouver. « Avec la pluie qui est tombée entre-temps, je ne suis pas non plus tout à fait étonnée qu’ils n’aient rien trouvé de plus », a déclaré Muster à la procureure de la Confédération.

Dans son « rapport complémentaire » du 5 juillet 2021, la police soleuroise se dit frustrée parce que le couple Muster ne s’est pas vraiment intéressé à l’élucidation des événements. Il ne fait aucun doute que Mme Muster a été menacée fin février 2021, avec d’autres employés du SEM, par un auteur inconnu, constate la police cantonale soleuroise. Mais « alors que la police cantonale de Soleure s’efforçait intensivement et à grands frais d’identifier les auteurs, le soutien de Mme Muster nous a souvent fait défaut par la suite », peut-on lire dans le rapport. « Elle n’a jamais porté plainte directement et immédiatement auprès de la police locale, bien que la procédure correcte lui ait été indiquée à plusieurs reprises par le correspondant et par des collègues des autorités fédérales ». Elle a malheureusement toujours commencé par informer ses supérieurs et le service fédéral de sécurité.

Compte tenu du fait que Monsieur Muster est un fonctionnaire de police, la déclaration suivante, tirée du rapport de police, est également surprenante : « Ce qui a rendu les choses plus difficiles pour nous, c’est que, malgré une orientation appropriée, il n’a jamais été possible d’effectuer correctement un relevé des traces, car la famille Muster n’a pas protégé les traces ou les a même détruites, comme dans le cas le plus récent ».

Le « cas le plus récent » se réfère à l’affaire de l’affiche sur le mur de la maison.

Le rapport de police poursuit : « Même lorsque des affiches électorales du PS auraient été endommagées ou enlevées, Mme Muster a voulu le faire savoir dans les médias ». L’enquête a alors révélé « que diverses affiches étaient à terre après une tempête et que tous les partis étaient concernés ».

Beatrice Muster a déclaré au Ministère public de la Confédération qu’elle n’avait pas informé directement la police parce qu’elle trouvait sa démarche « très peu professionnelle ». Contrairement au Secrétariat d’Etat aux migrations et au Service fédéral de sécurité (SFS), elle ne s’est pas sentie prise au sérieux par la police cantonale.

« J’ai également évoqué le fait que la collaboration avec la police cantonale était difficile au sein du SEM », constate-t-elle. « Le soutien du BSD était bien plus important. Mais j’étais tellement contente qu’il y ait une telle cohésion interne chez nous. Ce n’était pas facile. Quand on était dans une telle situation, on est content d’avoir un tel soutien. Et cela m’a manqué à la police cantonale. La collaboration était mauvaise. On a balayé ces événements d’un revers de main en disant ‘oui, ce n’était sûrement qu’une blague d’enfant’, on a considéré cela comme une broutille. Par exemple, lors de l’incident des chaussures, on m’a dit que c’était un renard ». Beatrice Muster n’a pas souhaité répondre aux questions de Republik.

Suspecte parce qu’elle a refusé de témoigner

Interrogé, le chef de région Jura-Nord de la police cantonale soleuroise n’a pas non plus souhaité s’exprimer sur son rapport. C’est l’affaire du Ministère public de la Confédération, a-t-il dit. Le MPC n’a jamais enquêté plus avant sur les contradictions dans les déclarations du couple Muster. Au lieu de cela, il a entendu comme personnes de référence des jeunes femmes et hommes de la région qui s’étaient plaints des violences au CFA par téléphone ou par e-mail auprès de Beatrice Muster. Tous, sans exception, se sont distancés d’actes tels que couper des câbles de frein ou mutiler un chat.

C’est là que l’histoire prend un tour étonnant. L’une de ces personnes critiques s’est en effet retrouvée dans la ligne de mire de la procureure de la Confédération, Simone Meyer-Burger, qui a élaboré un « fort soupçon » à son encontre.

En effet, il n’y avait rien contre cette jeune femme, appelons-la Karin Müller, si ce n’est le fait qu’elle avait fait usage de son droit de refuser de témoigner lors de son interrogatoire par le Ministère public de la Confédération. C’est ce que lui a reproché la procureure.

Le droit de procédure pénale suisse stipule : « Il est reconnu comme principe général du droit de procédure pénale que nul n’est tenu de contribuer à sa propre incrimination. L’inculpé dans une procédure pénale est donc autorisé à garder le silence en vertu de son droit de refuser de témoigner, sans qu’il puisse en résulter un quelconque préjudice ».

Mais c’est exactement ce qui s’est passé dans le cas de Karin Müller : parce qu’elle a fait usage de son droit de refuser de témoigner lors de son audition en tant que personne appelée à fournir des renseignements en août 2021, la procureure de la Confédération l’a placée sous le coup de « forts soupçons » pour les délits suivants : de la cruauté envers les animaux à la coupure des câbles de frein. Elle a en outre demandé une surveillance téléphonique rétroactive de six mois, qui a été rapidement accordée par le tribunal.

La procureure a également été frappée par le fait que le message électronique de Karin Müller avait été « rédigé par elle-même », c’est-à-dire qu’il contenait ses propres réflexions critiques sur les événements survenus au centre fédéral d’asile : Cela est suspect dans l’ensemble et établit un « lien pertinent avec les infractions présumées ».

Dans la « Demande d’autorisation de surveillance de la correspondance par poste et télécommunication » du Ministère public de la Confédération du 6 août 2021, la procédure concernant la suspecte résonne ainsi : « Karin Müller a été interrogée le 4 août 2021 sur l’envoi de son mail à Beatrice Muster, mais elle a – après avoir communiqué ses données personnelles – refusé de témoigner dans son intégralité. Tout au long de l’interrogatoire, Karin Müller s’est comportée comme cela se pratique dans les milieux d’extrême gauche et comme cela est proclamé sur les sites spécialisés, cette impression étant soulignée par son attitude personnelle. En amont de cet interrogatoire, il a en outre été constaté qu’elle passait le tourniquet permettant d’accéder à l’enceinte du bâtiment administratif de la Guisanplatz 1 en compagnie d’une personne inconnue de sexe masculin. Par la suite, la procédure a été étendue à Karin Müller par la décision d’aujourd’hui ».

Interrogé par Republik, le MPC écrit que le refus de témoigner ne constitue qu’une partie des faits, et non des soupçons. « Du côté du Ministère public de la Confédération, nous constatons qu’une personne inculpée ou une personne appelée à fournir des renseignements ne subit aucun préjudice lorsqu’elle fait usage de son droit de refuser de témoigner ; il en va de même dans le cas présent ». Le fort soupçon a été établi par le mail rédigé et par le fait que Karin Müller s’est présentée à l’audition à deux, alors que le témoignage de Beatrice Muster laissait supposer qu’il y avait également deux auteurs. De plus, elle habite dans la région de Bâle, où les faits se sont déroulés.

Le courriel que Karin Müller a adressé à Beatrice Muster le 17 mars 2021 sous son nom d’emprunt, selon le dossier, n’était manifestement pas une menace, une atteinte à l’honneur ou un « acte de violence à motivation politique ». C’était une invitation à enquêter sur les incidents et les reproches au centre fédéral d’asile Bässlergut : « Il est inacceptable que des activités racistes et contraires aux droits de l’homme soient commises par des personnes chargées d’assurer la sécurité et la protection de personnes dans le besoin. Nous demandons que des enquêtes soient immédiatement ouvertes, que les responsables soient amenés à rendre des comptes et que cette violence inhumaine soit stoppée. Luttons ensemble pour un monde plus solidaire »!

En mars 2022, comme le confirme le Ministère public de la Confédération à la demande de Republik, la procédure pénale contre Karin Müller a été définitivement classée et la procédure contre inconnu a été suspendue.