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Documentation

Entreprise Romande | Un réservoir de main-d’œuvre sous-estimé

Le journal Entreprise Romande revient sur le vernissage de la brochure «Réfugié·es & emploi. Au-delà des idées reçues », une soirée centrée autour du partage de bonnes pratiques. Les histoires croisées d’employeur⋅euse⋅s et d’employé⋅e⋅s issu⋅e⋅s de l’asile ont notamment montré combien la rencontre est importante pour dépasser certaines idées reçues. En résumé ? Des procédures d’embauche simples, des personnes qualifiées et motivées munies de compétences variées et un grand sens de la débrouillardise.

La brochure peut être téléchargée et/ou commandée gratuitement.

Nous reproduisons l’article rédigé par Pierre Cormon avec l’accord d’Entreprise romande, le journal de la FER Genève.

Un réservoir de main-d’œuvre sous-estimé

Les personnes issues de l’asile sont souvent très motivées au travail, comme l’ont montré plusieurs témoignages, lors du lancement d’une brochure démontant les idées reçues à leur sujet.

Alors que beaucoup d’employeurs se plaignent de la difficulté à trouver des employés motivés, l’entreprise de gros œuvre René Mathez SA sait comment les dénicher. Elle a engagé plusieurs personnes issues de l’asile. «Elles ont dû faire preuve d’énormément de courage pour arriver en Suisse», relate Romain Gregoris, responsable de chantier et formateur CFC. «Elles arrivent avec une énorme envie de travailler et de s’intégrer. Notre rôle est de leur apporter le bagage technique. Une fois qu’on a essayé cette main-d’œuvre, on ne s’arrête plus!» A ses côtés, Tedros Kidane, réfugié érythréen travaillant dans l’entreprise, sourit modestement.

Plusieurs témoignages de ce type ont été rapportés d’une soirée organisée par l’association Vivre Ensemble pour lancer une brochure démontant les idées reçues sur les personnes issues de l’asile et l’emploi.

Idées reçues

Malgré la grande envie de travailler dont font preuve de nombreuses personnes issues de l’asile, leur statut peut jouer contre elles. Des employeurs imaginent qu’ils devront affronter des procédures difficiles pour les engager, alors que ce n’est plus le cas – elles ont été sensiblement allégées (lire ci- contre). La langue a longtemps constitué un obstacle, mais la nouvelle politique d’intégration de la Confédération permet de financer des cours pendant dix-huit mois aux personnes issues de l’asile – à l’exception des permis S (fuyant la guerre en Ukraine), auxquels d’autres règles s’appliquent. Beaucoup d’entre elles, qui ont dû se débrouiller dans différents pays étrangers au cours de leur périple, apprennent vite. Leurs qualifications varient. Certaines ont des compétences de très haut niveau. La Ville de Genève a engagé une Kurde syrienne issue de l’asile dans son équipe d’infrastructure informatique. Elle était auparavant responsable d’une équipe de sécurité informatique à la Banque centrale syrienne. «Elle est extrêmement polyvalente, intelligente, motivée, et nous a apporté un grand savoir-faire», s’enthousiasme Julie Rieger, responsable de l’unité infrastructure de la Ville de Genève.

Débrouillardise

Yohann Pellaux et Atiq Naqibi, Gemüse Kebab

D’autres n’ont pas de diplôme reconnu, mais compensent avec leur motivation et leur débrouillardise. Ils ont souvent de l’expérience professionnelle dans leur pays et ont dû passer par de nombreuses épreuves pour arriver en Suisse, qui valent bien des diplômes. «En Turquie ou en Serbie, on est obligés de travailler, car il n’existe pas d’aide sociale», témoigne Atiq Naqibi, réfugié afghan. Ce bagage peut bénéficier à leurs employeurs. «Atiq nous a beaucoup appris», raconte Yohann Pellaux, l’un des deux fondateurs du fast-food durable Gemüse Kebab. «Il a travaillé dans la restauration dès l’âge de quatorze ans. Quand nous avons lancé notre service traiteur, nous avons connu des moments de grand stress. Atiq, lui, gardait la tête froide, avait l’œil à tout et parvenait toujours à trouver des solutions.» Engagé comme employé polyvalent, le jeune homme va passer responsable de cuisine.

En plein cœur

New Concept Sports, pour sa part, a créé une place d’apprentissage spécialement pour Tesfay Felfele, un réfugié érythréen qui était entré dans le magasin pour offrir ses services. «Il m’a touché en plein cœur», raconte Laurent Paonessa, directeur associé. Le jeune homme s’est distingué par sa motivation, et de nombreux clients demandaient à ce que se soit lui qui les prenne en charge. «Cela nous a donné envie d’engager un autre apprenti», ajoute Laurent Paonessa. Quant à Tesfay Felfele, il a mis de côté sa carrière dans la vente pour devenir coureur professionnel. Aucune course ne sera sans doute aussi difficile que le parcours qu’il a dû effectuer pour passer de migrant à réfugié, puis à employé et sportif d’élite.

Engagement: une procédure simplifiée

Engager une personne issue de l’asile, est-ce compliqué? Non, la procédure a été simplifiée pour favoriser leur embauche. «Pour engager une personne titulaire d’un permis B réfugiés, F réfugiés ou F, il suffit de remplir un formulaire d’annonce en ligne. La personne peut commencer à travailler directement dans toute la Suisse et dans tous les secteurs d’activité. En cas de permis N ou de statut S, l’employeur doit préalablement demander une autorisation auprès de l’autorité cantonale compétente qui vérifie si les conditions de travail sont respectées. Les délais varient selon les cantons.» (15 jours ouvrables à Genève).

Tel est le type d’information que l’on trouve dans la brochure Réfugiés & Emploi, au-delà des idées reçues, publiée par l’association Vivre ensemble. Rédigée dans un langage simple, elle examine les différentes idées reçues sur les personnes issues de l’asile: leur niveau de français, la durée de leur séjour, les lacunes de leur CV, etc.
La brochure est téléchargeable gratuitement sur asile.ch/emploi.

Une page sur les adresses utiles est également disponible en ligne: https://asile.ch/emploi/engager-comment-faire

Pierre Cormon

ÉDITORIAL – Entreprises romandes

Intégration des ukrainiens. Berne refait la même erreur

La Suisse a longtemps cantonné les personnes issues de l’asile dans un rôle d’assistés, et notamment les admis provisoires, des personnes ne pouvant pas être refoulées au vu de la situation dans leur pays d’origine. Considérant qu’ils n’étaient là que temporairement, on ne s’est guère donné les moyens de les intégrer. Ce faisant, on les a laissés à la charge des collectivités publiques, alors que l’expérience montre qu’ils restent généralement en Suisse à long terme.

La Confédération a changé son fusil d’épaule en 2018. Elle s’est dotée d’un agenda d’intégration et, surtout, a dégagé les moyens financiers pour le mettre en œuvre. Elle met à disposition dix-huit mille francs par personne issue de l’asile pour financer des mesures d’intégration (cours de langue, formations, etc.). Il s’agit d’un investissement: si l’on intègre la personne sur le marché du travail, on économise plusieurs dizaines de milliers de francs d’aide sociale, année après année. C’est aussi beaucoup plus valorisant pour ces personnes, généralement très motivées (lire en page 12). Cela fonctionne: depuis que le canton de Genève met en œuvre ces mesures, le nombre d’admis provisoires s’intégrant sur le marché du travail a doublé, passant de 14% à presque 28%. Des employeurs ayant engagés des personnes issues de l’asile sont enthousiasmés.

La leçon ne semble pas avoir été retenue pour les Ukrainiens. Comme les admis provisoires dans un premier temps, on se dit qu’ils ne sont là que pour une période limitée et qu’il ne sert à rien de consacrer trop de moyens à les intégrer. La Confédération ne verse que trois mille francs par personne dans ce but, renouvelables en 2023, ce qui ne suffit généralement qu’à payer des cours de langue pendant quelques mois. Même si certaines parviennent s’intégrer sur le marché du travail, on ne fait sans doute qu’effleurer le potentiel.

Or, on voit mal comment la situation s’arrangerait brusquement en Ukraine. Quel que soit le régime sous lequel on les accueille, la plupart des personnes qui ont fui la guerre sont probablement là pour longtemps. On a donc tout intérêt à ce qu’elles gagnent leur vie plutôt que d’émarger à l’aide sociale. Si elles finissent par rentrer, cela leur aura permis de tisser des liens avec la Suisse, qui stimuleront les échanges entre les deux pays. Il faudrait pour cela se donner les moyens de les intégrer. De nombreux employeurs n’attendent que cela, de nombreux Ukrainiens sans doute aussi.

Pierre Cormon