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Comptoir

Locataires viré·es pour loger des requérant·es? FAUX!

L’UDC attise la haine des réfugié·es. Le rôle des médias en question

Article publié le 3 mars 2023

Le sale jeu de l’UDC pour remonter dans les sondages en année électorale : annoncer à des locataires qu’ils doivent partir pour laisser la place à des requérant·es d’asile, prétextant n’avoir d’autre choix que de se conformer « aux directives des autorités » et à un respect des quotas d’accueil calculés par commune sous peine de sanction financière. Deux cas ont été relayés par le journal 20 minutes, qui cite les commentaires qui enveniment les réseaux sociaux. Ses titres sont allègrement repris dans la plupart des médias. Or, dans les deux cas, ce sont des conseillers communaux UDC qui sont à la manœuvre. Et dans les deux cas, la question du respect des quotas s’avère finalement fausse. Pire : dans l’affaire la plus médiatisée, celle de la commune argovienne de Windisch, non seulement la décision a été portée par un conseiller d’État UDC, mais il s’avère que les appartements concernés étaient voués à la démolition, et les résiliations motivées par ces projets immobiliers, non pour le logement de réfugié·es. Mais le mal est fait, relève le Parti socialiste dans un courrier à ses membres qui va adresser une plainte auprès du Conseil suisse de la presse « contre la diffusion non vérifiée de la propagande de l’UDC » et appelle à la soutenir.

Signer la plainte en cliquant

« Près de 50 locataires virés pour installer un centre de requérants ». L’annonce a franchi le Rostigraben, via le gratuit 20 Minutes, qui relayait les gros titres de sa branche alémanique du 27 février. Une affaire qui faisait le buzz sur les réseaux sociaux, la consternation au sein de la Berne fédérale (RTS) : « le président de l’UDC Marco Chiesa brandit le cas de Windisch pour revendiquer des mesures. A quelques mois des élections, son parti veut imposer le thème de la migration et de l’asile dans la campagne » rappelait le journaliste de la RTS, faisant le lien avec les pronostics des demandes d’asile pour l’année 2023.

L’équation est posée. On pointe du doigt les réfugié·es « trop nombreux » et qui « prennent la place des pauvres Suisses» et on se présente comme les sauveurs. Si le patron de l’UDC fait mine de tancer son collègue de parti, responsable de la lettre de résiliation, et qui finira par s’excuser, cette agitation médiatique et sur les réseaux fait largement son affaire. Les jeunes UDC ont lancé une pétition pour venir à la défense des locataires. La haine déferle. Toujours le 27 février, un sondage Tamedia annonce que la migration est remontée en 3ème position des préoccupations des Suisses, quelques semaines à peine après que ses titres aient joué avec les peurs autour d’une hausse des demandes d’asile…

Ce n’est que le 2 mars 2023 que la Tribune de Genève revient sur cette affaire, un des rares articles à remettre en cause y compris dans son titre, la manœuvre : «Mis à la porte pour laisser la place à des réfugiés? Pas si sûr».  Les bâtiments, vétustes, devaient être détruits et la résiliation des baux était inexorable, a précisé le promoteur immobilier, suite à la polémique rapportait le même jour Le Matin. Les quotas avaient par ailleurs été mal calculés.

Attiser la vindicte populaire?

Si le rôle joué par l’UDC devrait être clarifié, celui de caisse de résonance joué par le gratuit 20 minutes pose question. Car celui-ci s’était déjà fait l’écho, quelques jours avant, d’un autre cas de résiliation du bail d’un homme par la commune pour y placer des réfugié·es. Là aussi, la lettre est signée par un conseiller communal UDC, prétextant la question du respect des quotas.

« Nous savions que cette mesure ne serait pas bien accueillie. Parfois, il faut malheureusement prendre des décisions impopulaires si l’on veut se conformer aux directives des autorités », explique Pezzatti.» dans 20 minutes, le 24 février 2023.

Le Conseiller communal Pezzatti, dans 20 minutes, le 24 février 2023.

Or, là aussi, les quotas étaient un prétexte fallacieux. Le lendemain, le journal redonne la parole au conseiller communal qui, suite à l’affirmation des autorités cantonales que la commune remplit déjà son quota d’accueil, affirme devoir « vérifier » la différence de calcul entre la commune et le canton…

En consultant le site du journal par qui la tempête est arrivée, on peut légitimement questionner son rôle. Dès son premier article, la journaliste est allée chercher un autre cas jusqu’en Allemagne, «près de la frontière suisse». Comme pour montrer une généralisation de pratiques.

Et pour attiser encore le sentiment d’injustice que suscite la décision subie par le pauvre locataire, pas moins de deux sondages sont proposés aux lecteurs pour augmenter leur engagement sur la plateforme Tamedia. Le deuxième est carrément un appel à témoins:

L’appel à témoins paru sur le site de 20 minutes

« Ton contrat de location a-t-il été résilié parce que ton appartement doit être utilisé pour des réfugiés et des demandeurs d’asile ? Ou connais-tu des personnes qui ont vécu une expérience similaire ? Écris-nous. »

Du rôle et de la responsabilité des journalistes

Dans un courrier adressé à ses membres, le Parti socialiste dit recourir à un moyen plutôt inhabituel pour les partis, avec une plainte au Conseil suisse de la presse pour « diffusion non vérifiée de la propagande de l’UDC ». Signer cette plainte

Les deux présidents de parti précisent dans leur message: «Il y a beaucoup de journalistes sérieux, qui font un travail de vérification des faits et sont indispensables au bon fonctionnement de la démocratie.» Ceux qui ont mené la contre-enquête en font partie. Au-delà de la recherche du scoop, la course au clic et à l’audience pose un risque non-négligeable pour cette démocratie, en plus d’autres biais sur les réseaux sociaux récemment révélés dans le cadre des Forbidden stories. Les journalistes devraient y être particulièrement attentifs.t

Jouer au pompier pyromane est une pratique récurrente de l’UDC. Et jouer avec le manque de places d’hébergement pour susciter un sentiment de submersion et d’incapacité des autorités à maîtriser la situation est son terrain d’amusement préféré : Christophe Blocher avait montré l’exemple alors qu’il était au Conseil fédéral. Notre travail de décryptage, réalisé en 2015 dans le cadre du Comptoir des médias, en avait déconstruit les ficelles et appelé les médias à plus de précautions dans le traitement de ces informations.

Plus récemment, nos fact-checking autour des places d’hébergement et des hausses des demandes d’asile ont également remis en question, à l’appui de données chiffrées et d’une analyse temporelle, l’alarmisme ambiant.

Soutenir une information dénuée de préjugés

Nous sommes en année électorale. Les fausses informations vont fleurir. Et les demandeurs et demandeuses d’asile qui, à fin 2022, dans un pays de près de 9 millions d’habitants, se chiffraient à moins de 15’000 personnes pour toute la Suisse, soit moins qu’un stade de football (!) seront des bouc-émissaires désignés : ils et elles ne votent pas. Les médias ont un rôle important, et un impact. La société civile doit se mobiliser pour participer au rétablissement des faits, en écrivant aux journaux lorsqu’ils voient des informations erronées. Car l’impact de l’information est considérable.

Sophie Malka

Le Comptoir des médias est une action de Vivre Ensemble, visant à favoriser une information sur l’asile et les migrations rigoureuse, factuelle et dénuée de préjugés.

Nous soutenons le travail de vérification des journalistes en apportant documentation, statistiques, témoignages de terrain.