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Notre regard

Renvoyer, même de façon illégale?

Sophie Malka

Une enquête[1]Republik, Abschiebung um jenden Preis, 17.01.23 du média en ligne alémanique Republik parue le 17 janvier 2023 révèle qu’en 2022, sous l’égide de l’ancienne cheffe du Département fédéral de justice et police Karin Keller-Sutter, la Confédération a mis en place en toute discrétion un système de vols d’expulsion « parallèle » de manière à passer sous les radars de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) censée, selon la loi, surveiller tous les renvois sous contrainte[2]Art. 9 al. 2 de la loi fédérale sur l’usage de la contrainte qui est une reprise de la Directive « retour » de l’Union européenne (art. 8, par.6) .

Image d’illustration Vivre Ensemble

Selon Republik, le SEM a affrété des jets privés pour procéder à des expulsions sous la contrainte de niveau 4 (vols spéciaux) tout en les annonçant comme des vols de ligne aux observateurs·trices de la CNPT. Les expulsions par vols de ligne sont soumises à des obligations moins strictes en matière de droits humains: la CNPT, qui surveille chaque vol spécial, ne les accompagne que très rarement et le SEM le sait. L’un des renvois recensés par Republik partait de Zurich pour Lyon, où la police française a pris le relais pour une expulsion vers Alger. Pour rappel, l’Algérie n’accepte que les retours volontaires. Jointe par le journaliste, une des deux personnes raconte avoir été « complètement ligotée », attachée à une chaise roulante et avoir subi des violences.

«Discutable du point de vue de l’État de droit»

Alertée par Republik, la CNPT a annoncé qu’elle surveillera à l’avenir ce type de vols. Le journaliste rappelle que des renvois forcés sur jets privés avaient déjà été menés sous l’ère Gattiker-Sommaruga en vue de contourner les dispositions légales exigées par l’Italie dans le cadre de renvois Dublin, que la CNPT les avait dénoncés, et qu’en 2016, le Tribunal administratif fédéral avait décrit cette forme d’expulsion comme une «pratique de renvoi discutable du point de vue de l’État de droit». (A-683/2016, point 7.1.3) Un jugement contraignant le SEM à rendre publics les documents internes relatifs à cette pratique controversée, que beaucoup pensaient abandonnée.

C’est dire l’importance d’un regard indépendant lors de ces renvois sous contrainte. Car même dans les cas où la CNPT est présente, les droits humains sont violés. Une lecture publique du dernier rapport de la CNPT devrait d’ailleurs être organisée pour que la population mesure ce que les personnes en exil subissent.

«Pratique inhumaine et dégradante»

Il fait notamment état du cas d’une femme enceinte qui a dû allaiter l’un de ses enfants en étant menottée. Une « manière de procéder inhumaine et dégradante », selon Daniel Bolomey, membre de la CNPT, qui viendra s’exprimer lors de la prochaine Conférence romande sur l’asile organisée à Lausanne le 11 mars 2023. Elle portera justement sur les renvois (voir ici).


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Notes
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1 Republik, Abschiebung um jenden Preis, 17.01.23
2 Art. 9 al. 2 de la loi fédérale sur l’usage de la contrainte qui est une reprise de la Directive « retour » de l’Union européenne (art. 8, par.6)