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Comptoir

Privatisation de l’asile en Suisse: évolution, enjeux et risques – focus sur les prestations médicales

En Suisse, depuis plusieurs années, des entreprises privées telles qu’Oseara, ORS ou Protectas sont mandatées pour effectuer des tâches liées à l’hébergement et à la prise en charge des personnes issues de l’asile. Lors du point presse migrations du 3 septembre 2024, organisé avec le nccr-on the move, Camilla Alberti et Saskia von Overbeck Ottino ont abordé les éléments suivants: Qu’est-ce qu’on entend par «privatisation» de l’asile en Suisse et quelle a été son évolution? Quels risques une telle fragmentation des prestations pose-t-elle? Qu’est-ce qui entrave l’accès à la santé et des soins de qualité. Quels sont les problèmes en termes de déontologie médicale? Quelles recommandations? Annelise Bergmann partagera son témoignage d’ex-infirmière employée par ORS au sein d’un CFA.

Contexte

© Illustration de Herji pour asile.ch

Mardi 20 août était la date limite de soumission à l’appel d’offres du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) pour le mandat de prestations médicales fournies lors des rapatriements de personnes tenues de quitter la Suisse. L’appel d’offres précise que «Les soumissionnaires doivent être indépendants d’un lot à l’autre, afin de pouvoir fournir leurs prestations en toute neutralité et sans préjuger des résultats.» Ceci fait écho aux critiques et conflits d’intérêts émis à l’encontre d’Oseara, prestataire actuel chargé à la fois d’évaluer l’aptitude au vol et d’assurer l’accompagnement médical lors de ces vols spéciaux. Cet appel d’offres illustre de manière plus large les tensions autour des logiques de privatisation et contractualisation dans le domaine de l’asile. La pratique du SEM dans le choix de ses prestataires a montré, par le passé, que le coût primait sur la qualité. Dans une logique de mise en concurrence, le SEM avait, en 2020, ré-attribué les deux mandats à la société Oseara. Et ce, malgré des déficiences et conflits d’intérêt signalés et connus. En octobre 2023, la presse (ESH Médias, La Liberté et Le Temps) révélait le contenu de quatre de ces rapports de surveillance de JDMT Medical Services, organe de surveillance et controlling de ces renvois. Après deux années de procédure au nom de la Loi sur la transparence, le SEM avait dû partager ces rapports documentant les déficiences systématiques de l’accompagnement médical des retours par vols spéciaux de 2019 à 2022: réserves de médicaments insuffisantes et absence de spécialisation adéquate des médecins procédant aux évaluations d’aptitude au vol. Les rapports soulignent également les conflits d’intérêts d’Oseara, société mandatée par le SEM chargée à la fois d’évaluer l’aptitude au vol des personnes et d’assurer l’accompagnement médical lors de ces vols spéciaux. A voir si le SEM fera primer cette fois l’indépendance et la qualité sur la question du coût.

Contenu du point presse

En Suisse comme ailleurs en Europe, l’exécution des responsabilités étatiques en matière d’asile est de plus en plus déléguée à des entreprises privées. S’il y a une longue tradition de collaboration public-privé en Suisse, son dosage est en train de changer. Depuis les années 2000, la logique de rentabilité tend à prendre le dessus sur celle de l’accueil. Aujourd’hui, ce sont les intérêts économiques, managériaux et bureaucratiques des entreprises mandatées par l’Etat qui donnent le rythme.

Dans ce point presse migrations, il a été question de trois entreprises principales : OSEARA (encadrement médical des renvois), ORS (encadrement infirmier dans les foyers) et Securitas AG (sécurité). Conflits d’intérêts, non-respect de la déontologie médicale, manque de qualification/spécialisation des employé·es, difficulté d’accès à des interprètes, évaluation de l’aptitude au vol faite sur dossier, manque de considération des besoins en termes de santé mentale – le tout dans un contexte d’urgence permanente : les intervenantes déplorent un manque de moyens et une décentralisation (des soins) qui empêchent d’assurer un suivi décent des patient·es.

Intervenantes et slides

Trois intervenantes ont partagé leurs expériences:

  • Camilla Alberti: chercheuse post-doctorante à l’Institut d’ethnologie de l’Université de Neuchâtel
  • Saskia von Overbeck Ottino: pédopsychiatre et membre de Médecins Action Santé Migrant·e·s (MASM)
  • Annelise Bergmann, ex-infirmière au centre fédéral d’asile de Vallorbe et auteure du livre «Récit du bas seuil. Parcours d’une infirmière»

La modération a été assurée par Marie Vuilleumier, journaliste parlementaire pour les Radios régionales romandes.

Ressources