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Notre regard

Réflexion | Un regard médical et éthique

Le «dys» fonctionnement médical cadré par la Loi sur l’asile (LAsi) a été au cœur des préoccupations de Médecins action santé migrant·es lors d’un colloque à Lausanne le 19 novembre 2022. Voilà ce qui nous choque dans la pratique actuelle, hélas légale: mais qu’en est-il de cette légalité ? N’y a-t-il pas des zones d’ombre ? En tête de liste, deux préoccupations, parmi beaucoup d’autres: les renvois forcés et les certificats médicaux ignorés par les autorités fédérales[1]Elles feront l’objet d’un livre, à paraître aux Éditions de la Revue médicale suisse.

Dr Paul Schneider
Sainte-Croix

Les renvois forcés nous font honte! Je n’entre pas dans les détails, Vivre Ensemble en parle abondamment. Dès le début de notre association (automne 2019), nous nous préoccupons de la façon dont sont réalisés ces renvois. En un premier temps, nous voulions porter plainte contre OSEARA, une société privée employant des médecins, payée par le SEM pour cautionner et participer activement aux renvois. Dans la pratique médicale courante, la moindre contrainte physique ou psychologique est sanctionnée et sévèrement cadrée par des règles éthiques, même pour les auteurs de crimes. De fait, les renvois sous la contrainte sont « musclés », c’est un euphémisme de le dire. Traiter des personnes comme criminelles, quand leur seule faute est d’avoir voulu échapper à une mort certaine, est intolérable. Il y a quelques jours nous avons vu des photos d’un septuagénaire géorgien, visage tuméfié, ecchymoses aux bras et jambes: ce n’était pas le résultat de caresses calmantes.

Nous nous heurtons à des difficultés: il est évident que les renvois forcés sont éthiquements indéfendables, même si la loi les permet. Pour porter plainte devant une commission d’éthique, nous avons besoin de faits avérés, de personnes qui témoignent à découvert (au risque d’encourir des sanctions sur leur lieu de travail…), des personnes lésées (c’est elles qui sont habilitées à porter plainte) dans un contexte où le mal est déjà fait, des médecins qui refusent de collaborer avec l’État, des lanceurs ou lanceuses d’alerte… Les quelques fois que nous pensions être en possession de toutes les preuves, un élément nous échappait. Une jurisprudence est à rechercher contre le système mis en place, et non contre des situations exceptionnelles d’exactions que la loi permet.

La FMH (l’association faîtière des médecins suisses) nous propose finalement de participer avec elle et l’Académie suisse des sciences médicales (la référence éthique) aux pourparlers avec le SEM en amont de la législation, là où les spécialistes sont entendu·es. Pour le moment, nous en sommes là.

Combien de fois n’avons-nous pas entendu cette rengaine: vous, médecins, devez préparer les requérants pour leur renvoi et ainsi assurer son exécution! Est-ce bien le rôle de la médecine de collaborer à ces actions éthiquement contestables, car contraires au bien du patient? Cela me fait penser aux confesseurs qui accompagnaient le supplicié au bûcher ou à l’échafaud. Évidemment, nous sommes partie prenante d’un retour digne, dans des situations soigneusement préparées, en améliorant les conditions de vie en amont – mais il est décourageant de constater que les mêmes politiques qui durcissent l’accueil diminuent les ressources de l’aide au développement, ou pire encore, en attendent un retour sur investissement.

Les certificats médicaux «ignorés» par l’administration fédérale. C’est un euphémisme, car combien de fois entendons ou lisons-nous qu’ils sont sciemment mis de côté. MASM a publié récemment une tribune dans la Revue médicale suisse à ce sujet.

Alireza s’est suicidé début décembre 2022 à Genève après le refus de son recours par le Tribunal administratif fédéral. Le juge connaissait l’avis des médecins prédisant ce drame. Nous sommes toutes et tous choqué·es. La déclaration de Madame Karin Keller-Sutter inquiète: le risque suicidaire n’empêche pas le renvoi d’un·e requérant·e. Et contrairement à son affirmation selon laquelle les certificats médicaux seraient pris en compte dans l’évaluation des renvois, nous savons que la réalité est autre. Mme Keller-Sutter suppute que les médecins ayant établi le rapport pour Alireza n’étaient pas spécialisés . C’est un argument un peu trop facile… Cette gradation dans la valeur des certificats surprend. En principe, tout médecin est habilité à certifier un problème médical. Le corps médical est conscient de l’importance d’un tel certificat. MASM se préoccupe de ce problème qui concerne aussi la formation des jeunes.

Ces exemples et d’autres me font dire: alors que la loi sur l’asile a été révisée à l’envi, il faudrait aujourd’hui reprendre la copie avec une vraie vision politique et humaniste – en remplacement de l’actuel dispositif défensif de la gestion des flux migratoires !

Je pense ici à ce défi gigantesque qu’est la lutte contre les inondations du Rhône en Valais. Ce n’est pas en endiguant le fleuve que le problème se résout, mais en revitalisant son parcours sur toute sa longueur. C’est un changement de paradigme !

Lectrices et lecteurs de Vivre Ensemble, nous vous disons: Courage, et persévérance dans tout ce que vous faites déjà !



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Notes
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1 Elles feront l’objet d’un livre, à paraître aux Éditions de la Revue médicale suisse