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Tunisie | Violences et politiques répressives envers les personnes exilées subsahariennes

Le 4 juillet 2023, des heurts violents ont été reportés dans la ville de Sfax. Des personnes exilées d’origine subsaharienne ont été attaquées dans les rues de la ville tunisienne. Des vidéos envoyées à Human Rights Watch documentent la situation des personnes exilées blessées lors de ces violences. Cet affrontement s’inscrit dans la continuité de tensions présentes en Tunisie depuis plusieurs mois. A la crise économique, sociale et politique qui frappe ce pays maghrébin, s’ajoutent des discours politiques et populistes haineux envers les personnes migrantes. A plusieurs reprises, le gouvernement a opéré des arrestations multiples de personnes exilées les expulsant dans le désert à un zone frontalière entre l’Algérie et la Libye, sans assistance. L’Union européenne, poursuivant aveuglément sa politique d’externalisation des demandes d’asile, vient de conclure un « partenariat stratégique » (16.07.2023) impliquant entre autres clauses des actions visant à réduire les traversées de la mer Méditerranée vers l’Europe. Migreurop s’associe à de nombreuses associations de défense des droits humains pour dénoncer « les pressions exercées par l’UE sur la Tunisie dans le cadre d’une coopération inégale et marchandée en vue d’imposer à ce pays méditerranéen sa politique ultrasécuritaire en matière d’immigration et d’asile, au mépris du droit international et des droits des personnes exilées. » Ces associations demandent également à la Tunisie d’assumer ses responsabilités en protégeant les personnes migrantes sur son territoire.

Nous reproduisons ci-dessous le communiqué publié sur le site de Migreurop le 13 juillet 2023, les vidéos publiées par Human Rights Watch et des ressources documentaires complémentaires sur la thématique.

Traitements inhumains et dégradants envers les africain.e.s noir.e.s en Tunisie, fruits du racisme institutionnel et de l’externalisation des politiques migratoires européennes 

Les organisations soussignées expriment leurs vives inquiétudes et leur indignation quant à la situation délétère en Tunisie, tout particulièrement ces derniers jours dans la ville de Sfax. Depuis la mort d’un ressortissant Tunisien, présumément aux mains de ressortissants d’origine subsaharienne, survenue le 3 juillet 2023 lors d’une échauffourée[1], cette ville est le théâtre d’affrontements entre une partie de la population chauffée à blanc par des campagnes de haine sur les réseaux sociaux, et des exilé.e.s en provenance d’Afrique subsaharienne installé.e.s dans cette ville, pris.es pour cibles. Cela s’ajoute aux graves événements racistes et xénophobes qu’a déjà connus le pays en mars 2023[2], ayant notamment entraîné la mort de trois personnes d’origine Subsaharienne.

Le discours raciste et haineux, véritable « pousse-au-crime », prononcé par le Président tunisien en février 2023[3] n’a fait qu’encourager ces exactions, et accorder un blanc-seing aux graves violences exercées à l’encontre des personnes exilées. Et c’est bien l’attitude des autorités locales et nationales qui est en cause, laissant libre court aux fausses informations qui pullulent sur les réseaux sociaux, mais également aux violences de certains groupes – policiers, militaires ou issus de la population –, à l’égard des personnes exilées noires, férocement attaquées et violentées en toute impunité[4]


Nombre de témoignages, notamment des premier.e.s concerné.e.s, d’associations de la société civile en Tunisie mais aussi de médias étrangers, font ainsi état de graves violations des droits humains à leur encontre : interpellations violentes et arbitraires, défenestrations, agressions à l’arme blanche… Ces acteurs dénoncent une véritable « chasse aux migrant.e.s » et des rafles, suivies du renvoi forcé d’un millier de personnes aux frontières avec la Lybie ou l’Algérie, l’objectif des autorités tunisiennes semblant être de regrouper à ces frontières les exilé.e.s originaires d’Afrique subsaharienne pour les y abandonner sans assistance aucune ni moyens de subsistance, y compris s’agissant de demandeur.euse d’asile. Des rafles précédées ou s’accompagnant d’expulsions arbitraires de leurs domiciles, de destructions ou de vols de leurs biens, de traitements inhumains et dégradants, ainsi que de violences physiques[5]. Des violations des droits commises par des forces publiques et/ou des milices privées largement documentées, mais qui restent à ce jour sans condamnation pour leurs auteurs de la part des tribunaux ou des autorités étatiques.


Tout cela intervient dans un contexte de crise sans précédent en Tunisie, touchant tous les domaines : économique, social, politique, institutionnel, financier… Une crise accentuée par les pressions et le marchandage de l’Union européenne (UE), qui entend via un partenariat « renforcé », mais inégal en matière migratoire, imposer à la Tunisie l’externalisation des contrôles frontaliers et de la gestion migratoire[6]. Cette politique répressive passe par le renvoi depuis les pays européens de tou.te.s les exilé.e.s dépourvu.e.s de droit au séjour ayant transité par la Tunisie, ainsi désignée comme « pays sûr », contrairement à la Libye. Ceci, au motif de faire de la Tunisie le garde-frontière de l’UE, en charge de contenir les migrations « indésirables » et de les éloigner le plus possible du territoire européen, en échange d’une aide financière conséquente venant à point nommé (au moins 900 000 €). Le tout malgré les inquiétudes suscitées par la dérive autoritaire observée en Tunisie[7] et au mépris de l’Etat de droit et des droits fondamentaux des personnes exilées en Tunisie.

Une crise également aggravée par l’ambiguïté des autorités algériennes, qui instrumentalisent la question migratoire pour des motifs politiques en déroutant les personnes d’origine subsaharienne de l’Algérie – qui compte des frontières terrestres avec les pays d’Afrique subsaharienne – vers la Tunisie, qui n’en a pas.

Nous exprimons notre entière solidarité avec toutes les victimes des violences, quelle que soit leur nationalité, condamnons cette violence raciste d’où qu’elle vienne, et exprimons notre indignation face au silence assourdissant et complice des autorités tunisiennes.

Nous enjoignons la Tunisie à assumer les responsabilités qui lui incombent en protégeant de toute exaction les exilé.e.s sur son territoire, en mettant un terme à ces violences racistes et aux refoulements opérés en toute illégalité aux frontières tunisiennes, et à se conformer au droit international.

Enfin, nous dénonçons avec la plus grande vigueur les pressions exercées par l’UE sur la Tunisie dans le cadre d’une coopération inégale et marchandée en vue d’imposer à ce pays méditerranéen sa politique ultrasécuritaire en matière d’immigration et d’asile, au mépris du droit international et des droits des personnes exilées.

Lien vers les signataires


[1] « À Sfax, la mort d’un Tunisien lors de heurts avec des migrants fait craindre des violences », 5 juillet 2023, France24

[2] « Tunisie : La violence raciste cible les migrants et réfugiés noirs », 10 mars 2023, Human Rights Watch,

[3] « Tunisie. Le discours raciste du président déclenche une vague de violence contre les Africain·e·s Noirs », 10 mars 2023, Amnesty International, 

[4] « Tunisie : à Sfax, les exilés subsahariens subissent la violence de la population », France Info 7 juillet 2023,

[5] « Human Rights Watch dénonce des expulsions de migrants vers le désert en Tunisie : « C’est une question de vie ou de mort » », 8 juillet 2023, Human Rights Watch,

[6] « Pourquoi l’UE veut renforcer son partenariat avec la Tunisie », 11 juin 2023, L’Express & AFP 

[7] « En Tunisie, Kaïs Saïed est seul contre tous », 18 juin 2022, Courrier international 

Vidéos réalisées par Human Rights Watch pour documenter les violences

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crédit: Taha Loukil, sur Unsplash

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