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Documentation

Caritas Suisse | Soutien juridique aux réfugié·es en invalidité

L’affranchissement de l’aide sociale représente pour beaucoup de personnes étrangères une enjeu énorme. En effet c’est une des conditions qui permet l’accès à certains droits comme par exemple le regroupement familial, le passage à un permis plus stable, etc. Cependant, certaines personnes peinent à s’en passer souffrant de vulnérabilités handicapantes qui devraient être prises en charge par d’autres assurances. Pour palier à ce problème, le bureau de Caritas suisse à Fribourg a mis en place un projet innovant consistant en un soutien juridique pour soutenir les démarches de personnes réfugiées auprès de l’assurance invalidité. En trois ans, l’objectif du projet est atteint: améliorer l’accès des personnes réfugiées aux prestations d’assurances sociales auxquelles elles ont droit, appliquer le principe de subsidiarité et permettre une meilleure intégration sociale par la reconnaissance de l’invalidité. Et si ce modèle s’étendait à tous les cantons?

Ce texte a été publié dans le Courrier le 01.05.2023 et a été rédigé par Caroline Jankech, avocate au Bureau de conseil juridique (BCJ) de Caritas Suisse, à Fribourg, et chargée de projet.

Soutien juridique aux réfugié·es en invalidité

lundi 1 mai 2023

Caroline Jankech

Depuis plus de trois ans, une équipe juridique soutient les assistant·es sociales/aux et les conseiller·es en intégration pour aider les personnes réfugiées du canton de Fribourg 1 dans leurs démarches auprès de l’assurance invalidité, dans le cadre du projet «Statut de réfugié et prestations d’assurances sociales» de Caritas Suisse. En cours de pérennisation, l’expérience fribourgeoise intéresse d’autres cantons romands – dont Neuchâtel, qui vient d’initier une phase pilote.

Madame X a exercé pendant 20 ans comme couturière dans son pays d’origine. Malheureusement, une fois arrivée en Suisse après un parcours migratoire éprouvant, elle est victime de violences conjugales et développe des troubles psychiques invalidants. Commence alors le long parcours des démarches auprès de l’assurance invalidité. Au bénéfice du statut de réfugiée, elle peut se prévaloir d’un droit à la rente car son invalidité est survenue plus de trois ans après son arrivée en Suisse et qu’elle remplit les autres conditions d’assurance. Si tel n’était pas été le cas, elle n’aurait pas un droit à la rente mais pourrait se voir octroyer des prestations complémentaires après un délai de carence de cinq ans.

Comme Madame X est mère de famille et qu’elle n’a pas travaillé depuis son arrivée en Suisse, l’office de l’assurance invalidité (AI) retient un statut de femme au foyer et procède à l’évaluation de l’invalidité par le biais d’une enquête ménagère (méthode dite spécifique). Un projet de décision est rendu retenant une invalidité de 27% et donc aucun droit à la rente (le taux minimal pour accéder à une rente étant de 40%). Le problème est que Madame X n’a jamais choisi son statut de femme au foyer. C’est uniquement en raison de ses troubles graves de santé qu’elle n’exerce plus sa profession de couturière. D’ailleurs, lorsqu’elle se trouvait encore dans son pays d’origine, être mère de famille ne l’a jamais empêchée d’exercer sa profession.

Bien informée sur son parcours migratoire et sur son parcours professionnel et en étroite collaboration avec les assistants sociaux et les conseillers en orientation professionnelle, l’équipe juridique analyse le projet de décision de l’office AI et décide de déposer des observations dans le délai de 30 jours. Le choix de la méthode d’évaluation de l’invalidité est contesté sur la base d’arguments juridiques et sur celle des pièces et déclarations figurant au dossier. Victoire, l’office AI change de point de vue, tient compte de son ancien emploi de couturière, applique la méthode générale de comparaison des revenus et retient une invalidité à 100%.

Soulagement général. Madame X est pleinement reconnue dans son parcours de femme active, contrainte à rester au foyer en raison de sa maladie. Grâce à sa rente d’invalidité et à des prestations complémentaires la complétant, elle n’est plus assistée par l’aide sociale. Le principe de subsidiarité est mis en œuvre: l’aide sociale n’est plus sollicitée alors qu’un droit à des prestations d’assurance sociale existe.

Photo de Geordanna Cordero sur Unsplash

Pendant les trois ans de la phase pilote, et malgré la pandémie qui a ralenti la mise en œuvre de certaines démarches, un taux d’invalidité entre 60-100% a été reconnu pour 10 personnes réfugiées qui ont/pourront obtenir une rente et/ou des prestations complémentaires et sortir de l’aide sociale. Toutes les interventions du projet ne sont évidemment pas des succès aussi flamboyants, mais l’objectif du projet est atteint: améliorer l’accès des personnes réfugiées aux prestations d’assurances sociales auxquelles elles ont droit, appliquer le principe de subsidiarité et permettre une meilleure intégration sociale par la reconnaissance de l’invalidité.

Grâce à une formation continue et à la mise à disposition d’outils et d’un soutien juridique concret, les assistants sociaux sont plus à même d’aider les personnes réfugiées à entreprendre les démarches pertinentes; les dossiers sont préparés en amont avec la collaboration des médecins; les décisions négatives sont contestées quand cela est nécessaire, soit par le biais d’objections directement faite par l’équipe juridique, soit en assurant la prise en charge d’un recours en coordination avec d’autres organismes. Les connaissances spécifiques des dispositions juridiques applicables aux personnes réfugiées et la longue expérience des parcours migratoires permettent à l’équipe du projet d’apporter un éclairage qui complète celui des médecins et d’autres spécialistes en assurances sociales et viennent combler une lacune dans la prise en charge. Tant et si bien que le projet a amorcé une phase pilote à Neuchâtel et qu’un autre canton romand a manifesté son intérêt.