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Notre regard

Femmes, enfants et intégration | Suspendues à une place en crèche

Lucine Miserez & Raphaël Rey

Secteur réfugiés, Centre social protestant Genève

À Genève, en janvier 2023, faute d’autorisation nécessaire et de financement, les prestations des «Coccinelles», lieux d’accueil pour les enfants en âge préscolaire créés dans des foyers pour requérant·es d’asile du canton, étaient drastiquement réduites par l’Hospice général. Retour sur une fermeture inattendue, dont les premières victimes sont les femmes.

Aux Coccinelles, DR

Les femmes réfugiées doivent apprendre le français, se former, travailler et se rendre à différents rendez-vous médicaux et administratifs. Lorsqu’elles ont des enfants en bas âge, c’est un véritable casse-tête. Marie (nom d’emprunt), réfugiée arrivée à Genève en 2022, en témoigne: «J’ai trois enfants, deux vont à l’école. Le troisième a trois ans, il est avec moi. Mon mari travaille à mi-temps et il étudie. Il n’est pas là toute la journée. Alors c’est moi qui m’occupe des enfants».

À Genève, les places de garde manquent cruellement pour tous les enfants. Des solutions alternatives doivent être trouvées, en particulier pour les familles les plus précaires. Les Coccinelles en étaient une. C’est en 2014 au foyer d’Anières que les réfugiées et les assistantes sociales ont élaboré ce projet d’accueil parents-enfants au sein du foyer. Très vite soutenu par le Bureau d’intégration des étrangers (BIE), le projet a pu bénéficier de l’engagement de professionnel·les de la petite enfance. Des bénévoles ont complété l’équipe et pendant plusieurs années, la Coccinelle a ouvert ses portes, matin et après-midi, à des enfants de 0 à 4 ans, parfois avec leurs parents, parfois sans. Un succès. Le modèle a été dupliqué dans trois autres foyers.

Marie raconte : «J’ai découvert la Coccinelle en février 2022. J’ai demandé une place et je l’ai eue cinq mois plus tard, à la rentrée. La Coccinelle, c’est la première chose qui nous aide. Quand on arrive, on est perdu, on a tous nos problèmes, tous les soucis du voyage. Les enfants restent à la maison. Tu ne connais pas les lieux, tu ne connais pas les parcs, les places de jeux, tu ne sais pas où aller. Avec la Coccinelle, on fait des sorties, c’est comme ça qu’on découvre la ville. Ça te permet de respirer aussi. C’est vraiment nécessaire: pour pouvoir suivre des cours de français, par exemple. Sans cela impossible. Même pour tes rendez-vous, ceux de l’Hôpital, ceux de l’Hospice général. Avoir une solution de garde te permet de faire des projets pour te former et travailler.» Si la structureestnécessairepourlesparents,elle l’est surtout pour les enfants, estime Marie: «Imaginez un enfant qui ne connaît rien ici, qui est perdu. La Coccinelle, c’est rassurant. Les enfants savent que les parents ne sont pas loin, ils sont tranquilles. Ils apprennent la langue, ils prennent confiance en eux. C’est un moment de transition important pour qu’ils se sentent bien. Après, ils pourront aller dans les crèches ou dans la vraie école.»

Une fermeture abrupte

En janvier 2023, les prestations des Coccinelles sont drastiquement réduites pour des questions de budget et de mise aux normes des locaux. Une vraie surprise pour Marie: «Je devais commencer des cours de français et m’orienter vers une formation pour travailler en crèche. On avait fait toutes les démarches avec mon assistante sociale. Au foyer, on a dû se réorganiser pour s’occuper de nos enfants. Quand il n’y a pas la Coccinelle, on est complètement bloquées».

Si les Coccinelles n’ont pas complètement fermé, la nouvelle formule ne répond ni aux besoins des enfants, ni à ceux des parents: «Avant, c’était ouvert tous les matins et après-midi et on pouvait laisser nos enfants. Il y avait un tournus de mamans pour rester avec les professionnelles qui étaient là. Maintenant, il y a des bénévoles trois fois par semaine, mais pour des moments très courts, et les mamans doivent rester avec les enfants».

Pour une solution pérenne

À la suite de cette quasi-fermeture, les personnes concernées et les bénévoles alertent médias, associations et monde politique. Une motion est déposée au Grand conseil genevois et la Coordination asile.ge organise une première rencontre avec les institutions concernées, des mamans et des personnes impliquées dans le projet.

Ensemble, nous soutenons les actions collectives de ces mamans. Nous demandons que des financements soient trouvés pour que les Coccinelles puissent rouvrir à plein régime dès août 2023. Pour cela, il est nécessaire de mettre sur pied au plus vite un groupe de travail incluant parents, bénévoles et communes. Il n’est plus à démontrer que les Coccinelles répondent à un véritable besoin tant pour les mères –parce qu’elles leur permettent de développer un projet professionnel– que pour les enfants, parce qu’elles les préparent à entrer dans les structures ordinaires. Dans l’intervalle, des solutions doivent être trouvées au cas par cas, pour chaque famille, afin de pallier cette fermeture abrupte.

Alors que la Grève du 14 juin appelle à alléger la charge pesant sur les femmes, la situation est particulièrement préoccupante.

Une fois de plus, ce sont elles les premières victimes de mesures insuffisantes. Les femmes et les mères se retrouvent seules face à la double injonction de devoir s’occuper de leurs enfants et d’intégrer le marché du travail.

Article paru dans le journal Les Nouvelles du Centre social protestant Genève (juin 2023)