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Notre regard

Engagée, simplement | Interview de Premawathi Consalvey

Danielle Othenin-Girard

«Il faut tout faire pour s’ouvrir des chemins, se faire connaître et se mettre ensemble pour défendre nos droits et améliorer nos vies». Ainsi s’exprime Premawathi Consalvey lors d’un entretien mené lors des préparatifs de la grève féministe du 14 juin 2023. Réfugiée d’origine tamoule, vivant à La Chaux-de-Fonds depuis plus de trente ans, elle s’est très tôt engagée pour aider les femmes de sa communauté, ainsi que d’autres femmes migrantes et leurs enfants. Titulaire de deux prix[1]Prix neuchâtelois « Salut l’Étranger » et prix « Femme exilée, femme engagée », elle est très respectée par les siens et la société d’accueil. Dans son témoignage, elle nous montre le fil continu qui lie sa vie à ses divers engagements. Déjà active lors de la grève de 2019, Premawathi Consalvey souligne l’importance de cette expérience pour elle et ses compatriotes. Une démarche solidaire qu’elles entendent bien renouveler. Lors de notre échange, même si plusieurs éléments m’étaient déjà connus, j’ai découvert avec émotion l’apport de ces femmes aux luttes que nous menions. En 2019, on voulait l’inclusivité. Quelques années plus tard, ce mot ne paraît pas vain.

Premawathi, la première fois que nous nous sommes rencontrées, c’était il y a très longtemps, tu vivais une période particulièrement difficile, et pourtant tu étais là, comme aujourd’hui, forte, dynamique, prête à aider les autres…

Oui il y a eu des moments très difficiles. Je suis arrivée en Suisse en 1992, comme requérante d’asile. Mon mari était là depuis un an. Nous avions le permis N et c’est seulement en 1995 que nous avons reçu le permis B réfugié. Une longue attente durant laquelle mon mari était gravement malade. J’ai pu lui faire don d’un rein, la greffe a fonctionné durant 25 ans, mais actuellement il doit refaire des dialyses. Le plus terrible, c’était l’éloignement de nos enfants, restés au Sri Lanka en pleine guerre. Nous n’avions aucune nouvelle d’eux. Des personnes nous ont aidés et finalement la famille fut réunie au bout de quatre ans.

Assez rapidement, j’ai trouvé du travail comme ouvrière en horlogerie, emploi que j’exerce toujours depuis 28 ans, à 100%. J’aime mon travail, mais forcément je suis plus vite fatiguée et avec toute ma charge familiale, je suis obligée de continuer à temps plein jusqu’à la retraite. Je ne te dis pas la colère et la tristesse que j’ai ressenties au moment des dernières votations sur l’AVS. On doit absolument continuer ce combat. J’ai aussi dû lutter pour apprendre le français. Tu te souviens, à l’époque il n’y avait pratiquement pas de possibilités de cours pour les requérant·es d’asile. J’essayais d’apprendre par moi-même. Puis, grâce à Mme Reymond, cette merveilleuse dame, déjà très âgée, qui avait créé une école pour enfants clandestins, j’ai pu suivre deux fois par semaine son enseignement.

Par la suite, toi aussi tu fus une pionnière, en contribuant à la création de RÉCIF[2]Centre de formation, de rencontres et d’échanges pour femmes immigrées et suisses… 

Dès que j’ai progressé en français, j’ai commencé à aider les femmes de ma communauté, pour les accompagner chez le médecin ou autre démarche. Faire cela était une évidence pour moi. Comment ces femmes, la plupart seules avec des enfants en bas âge, pouvaient-elles se libérer pour apprendre le français ? J’observais la même chose pour des femmes africaines ou d’ex-Yougoslavie: elles venaient à quelques heures de cours, mais n’arrivaient pas à être régulières par manque de solution pour leurs enfants. J’ai approché deux assistantes sociales pour réfléchir à la création d’un espace réservé aux femmes migrantes, offrant à la fois cours de français et accueil des enfants. Nous avons cherché un local, des aides financières. C’est ainsi que nous avons créé RÉCIF.

Aujourd’hui, le problème de la garde des enfants reste crucial pour nous femmes migrantes, surtout lorsqu’on cherche un emploi. C’est déjà difficile pour les Suissesses, mais pour nous encore plus, on vit ici sans réseau familial, on ne peut pas compter sur l’aide de grands-parents. C’est pourquoi nous voulons manifester le 14 juin avec la grève féministe pour revendiquer plus de crèches.

Tu as aussi créé l’association « Solidarité avec les femmes tamils ». Avec quels objectifs ?

Premièrement, soutenir les femmes veuves restées au Sri Lanka. En s’unissant, on peut envoyer au nom de toutes de l’aide financière, notamment pour développer des écoles, soutenir des projets de formation. C’est un lien entre ici et là-bas. C’est vital pour là-bas et cela nous réconforte toutes ici. L’autre objectif, tout aussi important, est d’aider les femmes qui vivent ici à s’intégrer dans la société d’accueil. Beaucoup restent très repliées sur la communauté, toujours à la maison, ne voyant rien d’autre. Grâce au groupe, on arrive à les encourager, leur ouvrir quelques portes, les orienter vers d’autres associations, comme RÉCIF. Les soutenir aussi dans l’accompagnement de leurs enfants, pour suivre leur scolarité, les encourager à s’entraider et à prendre des initiatives. Miser sur la jeunesse, c’est essentiel pour l’intégration d’une communauté. L’association nous permet de faire connaître notre culture, notre histoire et sa tragédie, mais aussi notre musique, nos chants, nos danses, notre nourriture. Jeunes et adultes, nous apportons notre contribution, et c’est grâce à ce travail collectif que nous sommes invité·es à des évènements culturels ou autres. L’association nous permet de devenir visibles dans la société où l’on vit.

Un bon exemple est la grève féministe. En 2019, tu m’as contactée non seulement en tant que personne, mais en tant que responsable de l’association «Solidarité avec les femmes tamils». C’est collectivement que nous nous sommes engagées, nous étions plusieurs à être présentes lors de la manifestation, l’une de nous s’est encouragée à prendre la parole publiquement.

Face à ce mouvement de grève, quelles sont vos motivations ?

En 2019, on a saisi l’occasion de se faire entendre. Beaucoup de revendications concernaient les violences faites aux femmes, et il y avait un fort appel à la solidarité internationale. Nous avons dénoncé les violences subies par les femmes tamoules au Sri Lanka. Nous avons fait des panneaux, en nous retrouvant tout un dimanche avec des Suissesses et femmes d’autres nationalités. C’était fou de sentir cette solidarité. Pour nous, c’était la première fois qu’on se lançait dans la fabrication de pancartes, de revendications, avec la perspective de pouvoir les porter, en marchant ensemble. Plusieurs d’entre nous ont rejoint la grande manifestation à Neuchâtel. C’était très valorisant, émotionnant. On prenait notre place. Après la grève, des actions se sont poursuivies pour les femmes migrantes. Je pense en particulier à cette pétition féministe européenne[3]« Pour la reconnaissance effective des motifs d’asile propres aux femmes, aux filles et aux personnes lgbtiqa+ » dont tu nous as parlé. J’ai communiqué à l’association et nous avons décidé de signer. C’est un geste de participation très important pour nous.

Et pour le 14 juin 2023, que préparez-vous ?

Quelques-unes parmi nous ont décidé de ne pas travailler, en tout cas depuis midi. À nouveau, nous allons dénoncer les violences, mais notre besoin est aussi de se joindre aux revendications pour l’égalité salariale, des retraites qui permettent de vivre dignement, et des solutions de garde pour enfants accessibles à tout ménage. Nous voulons contribuer à dénoncer les problèmes d’ici. D’ailleurs, plus d’une parmi nous a la nationalité suisse. Les conditions de vie deviennent vraiment difficiles pour les personnes avec des bas salaires. Nous avons peur pour l’avenir de nos pensions, le coût de l’assurance maladie. Quelles conditions sociales auront nos enfants? Le travail domestique, les métiers des soins, c’est la réalité quotidienne et dure des femmes migrantes. Il faut nous valoriser, nous respecter. Exiger un plus grand partage des tâches ménagères, c’est très important pour notre jeunesse. Dans nos communautés, les mentalités doivent aussi évoluer. Nous préparons des panneaux pour soutenir toutes ces revendications.


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Notes
Notes
1 Prix neuchâtelois « Salut l’Étranger » et prix « Femme exilée, femme engagée »
2 Centre de formation, de rencontres et d’échanges pour femmes immigrées et suisses
3 « Pour la reconnaissance effective des motifs d’asile propres aux femmes, aux filles et aux personnes lgbtiqa+ »