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Notre regard

Éditorial | Créer le chaos pour dénoncer le chaos

Sophie Malka

Faut-il en rire ou en pleurer ? Alors que la chute de Crédit Suisse faisait tanguer la place économique suisse, que le climat, les coûts de la santé et le pouvoir d’achat figurent en tête des préoccupations de la population dans les sondages, aucun parti de droite n’a eu la décence de renoncer à user du bouc-émissaire du «migrant». Un spectacle caricatural: on se drape d’une «tradition humanitaire à protéger» tout en stigmatisant, amalgamant, stéréotypant.

Exemple parfait d’une prose attisant préjugés et rejet, la chronique de Jacqueline de Quattro (PLR)[1]Jacqueline de Quattro, Immigration : une marmite sous pression, Le Matin Dimanche, 10.09.23. La conseillère nationale s’émeut de «l’inquiétude qui monte dans la population», d’un système d’asile «engorgé par la migration économique», qu’«un nombre croissant de requérants proviennent de pays comme la Turquie, le Maroc , l’Algérie ou l’Érythrée qui ne donnent pas droit à l’asile». Et d’ajouter une petite dose de criminalité, s’érigeant, évidemment, en sauveuse. Ses solutions ? Elles sont pour la plupart déjà menées ou tentées. Ses affirmations facilement démontables.

  1. Non, notre système d’asile n’est pas engorgé par la migration économique: plus de 83 % des personnes dont les motifs d’asile ont été examinés se sont vues recon- naître un besoin de protection en 2022. Préjugé classique que nous avons maintes fois déconstruit (asile.ch / tromperie).
  2. La Turquie, le Maroc, l’Algérie ou l’Érythrée ne donnent pas droit à l’asile? On rappellera qu’il n’y a pas de «droit à l’asile» mais des pratiques étatiques mues par des considérations souvent plus politiques qu’humanitaires. Ainsi de l’Érythrée: la Suisse est l’un des seuls pays d’Europe à estimer ce régime fréquentable et se fait régulièrement tacler par l’ONU pour des décisions violant le principe de non- refoulement (p. 22). Qualifier de «migrants économiques» celles et ceux qui ont fui cette dictature est un abus de langage. Idem pour la Turquie: sa purge des gülenistes et intellectuel·les ou répression des Kurdes a vu bon nombre de ses ressortissant·es obtenir une protection.

Le Conseiller aux États Damian Müller (PLR) n’est pas en reste. Ses propositions parlementaires ne s’embarrassent pas de la conformité avec le droit international. La perversité réside dans l’argumentation: expulser les «migrants économiques» vers un État tiers «compte tenu du manque accru de places d’hébergement pour les requérants d’asile»[2]Damian Müller, Sous-traitance de l’asile : une mise au point, Le Temps, 8.09.23[!] Lui qui, en juin, s’en est donné à cœur joie avec ses collègues de droite du Conseil des États en refusant les containers visant à anticiper des arrivées prévues à l’automne proposés par la Conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider. La fronde était partie d’un élu du Centre, issu du même canton que la Ministre des finances Karin Keller-Sutter, soupçonnée de tirer les ficelles[3]24heures, Les villages de containers sont à deux doigts de s’écrouler, Vincent Quiquerrez, 2 juin 2023, Tages Anzeiger, Keller-Sutter vereitelt Baume-Schneiders Asylpläne, Charlotte Weiser, … Lire la suite.

Photo de Mika Baumeister sur Unsplash

Créer le « chaos » pour dénoncer le chaos. L’UDC boit du petit lait. En Allemagne, un observateur analyse les conséquences de cette stratégie: « Les chrétiens-démocrates soufflent sur les braises car ils reprennent des thèmes populistes comme l’immigration […]. Cela a pour effet de normaliser les positions de l’AfD sur ces sujets. Les électeurs n’ont donc plus de réticence à soutenir ce parti, car ils préfèrent toujours l’original à la copie »[4]Le Temps, En Allemagne, l’extrême droite au sommet, 5 juin 2023.

Partout en Europe, l’extrême droite soutient des mesures antisociales, antidémocratiques, s’oppose aux sanctions contre Poutine. Sans répondre aux préoccupations de la population.

Leur dérouler le tapis rouge par simple calcul électoral devrait être sanctionné dans les urnes. Pour la démocratie. Et pour notre avenir commun.

SOPHIE MALKA


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Notes
Notes
1 Jacqueline de Quattro, Immigration : une marmite sous pression, Le Matin Dimanche, 10.09.23
2 Damian Müller, Sous-traitance de l’asile : une mise au point, Le Temps, 8.09.23
3 24heuresLes villages de containers sont à deux doigts de s’écrouler, Vincent Quiquerrez, 2 juin 2023, Tages Anzeiger, Keller-Sutter vereitelt Baume-Schneiders Asylpläne, Charlotte Weiser, 27.04.23
4 Le Temps, En Allemagne, l’extrême droite au sommet, 5 juin 2023