Aller au contenu
Notre regard

L’aide d’urgence au quotidien. Indigne, insupportable

Karine Povlakic, juriste, EPER

L’aide d’urgence est, après la suppression de l’aide sociale, le «minimum vital pour survivre» selon les termes du Tribunal fédéral, pour «inciter les requérants d’asile déboutés à quitter effectivement la Suisse» dans les plus brefs délais. Il s’agit donc d’un moyen de pression sur les gens qui ont reçu une réponse négative à leur demande d’asile. Cette pression s’exerce sur les conditions de vie, les moyens économiques et, par voie de conséquence, sur la liberté de mouvement et l’intégration sociale, car sans argent, pas de déplacements ni d’activités partagées.


À ces conditions très sévères en soi s’ajoutent les difficultés d’un hébergement précaire. À l’exemple de cette famille de deux grands-parents, la mère malade d’un cancer et son fils de 7 ans. Soumis à l’aide d’urgence, ils séjournent dans un centre collectif où ils se partagent deux petites chambres. Les sanitaires et la cuisine sont communs, toujours encombrés aux heures de départ à l’école le matin pour les douches, et aux heures de préparation des repas pour la cuisine. L’hygiène n’est pas adéquate pour les personnes affaiblies sur le plan immunitaire comme c’est le cas des personnes en traitement de chimiothérapie.

Les difficultés liées à l’organisation du quotidien sont éprouvantes. Il faut toujours porter le nécessaire dans la cuisine, surveiller ses affaires pour qu’elles ne disparaissent pas et ramener les plats chauds dans la petite chambre par les couloirs. Les espaces communs ne sont pas des lieux d’habitation, mais de passage uniquement, où tout doit être réinstallé et désinstallé à chaque usage. Le plus difficile est le bruit des autres occupants du centre d’hébergement, surtout la nuit, et les mouvements des uns et des autres qui perturbent la tranquillité.

Le manque d’espace et d’ameublement empêche également de créer un centre de vie où la famille pourrait se réunir. Elle ne dispose que d’une petite table, insuffisante pour les repas en commun, et de quelques meubles de rangement trop petits pour recevoir toutes leurs affaires qui sont amoncelées dans les espaces disponibles, au-dessus de l’armoire ou sous le lit. Cela crée une sensation de surcharge et de désordre.

Dans le canton de Vaud, les gens à l’aide d’urgence, qui ne reçoivent pas d’argent en espèce, doivent prendre de la nourriture choisie par l’EVAM au guichet du rez-de-chaussée. Ils remettent chaque jour une liste d’aliments cochés et on leur donne le colis un peu plus tard. Les fruits ne sont pas mûrs, les légumes de mauvaise qualité, les viandes congelées et il n’y a très vraisemblablement aucun aliment de production biologique ou locale.

Or, les personnes malades ont besoin de choisir leurs aliments selon ce qu’elles estiment bon pour elles, pour l’amélioration de leur état. Elles doivent avoir une certaine autonomie. Les gens doivent pouvoir prendre soin d’eux-mêmes dans un contexte d’insécurité et d’incertitude quant à leur devenir. Le besoin primordial de s’occuper de soi-même ne se réduit pas au fait de s’alimenter trois fois par jour.

Ces conditions d’existence «incitatives à quitter la Suisse», très contraignantes, portent atteinte à des libertés humaines essentielles. Le manque d’autonomie et d’espace de vie propre ou de repos entraîne un épuisement moral et une dégradation de la santé physique également.

Le régime de l’aide d’urgence sévit depuis 20 ans maintenant en Suisse. Certaines personnes y sont soumises depuis le début. De nombreuses familles ont vu leurs enfants naître et grandir dans ces conditions restrictives. Les conséquences sociales sont énormes pour tout un pan de la population ainsi marginalisée sur le long terme, comme une perte durable des capacités d’intégration professionnelle, le retrait social ou l’impossibilité de développer sa vie en contribuant à la vie collective. L’aide d’urgence est un régime de survie inacceptable, qui brise les personnes auxquelles il est appliqué.


L’information a un coût. Notre liberté de ton aussi. Pensez-y !
ENGAGEZ-VOUS, SOUTENEZ-NOUS !!