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Notre regard

Témoignage | Toujours à l’aide d’urgence, 20 ans après 

Témoignage recueilli par Elise Shubs, EPER

En 2004, en parallèle à l’introduction de la nouvelle loi régissant l’aide d’urgence et la création des personnes « déboutées de l’asile », Elise Shubs a rédigé un mémoire universitaire sur la manière dont l’arrêt abrupt de l’aide sociale et le passage à l’aide d’urgence a été vécue par une partie des personnes requérantes d’asile déjà en Suisse depuis souvent plusieurs années, perdant tout ce qu’ils avaient construit jusque-là. Le mémoire s’appuyait notamment sur le témoignage de T, depuis 20 ans à l’aide d’urgence, que Elise Shubs a rencontré à nouveau en septembre 2024.

«J’ai dû quitter mon pays, la Sierra Leone, à cause de la guerre. J’ai d’abord essayé de fuir en Côte d’Ivoire, puis en Guinée. J’ai essayé de me protéger. C’était une époque très dure. Je suis allé après au Ghana, mais le pays a aussi flambé. Il y avait un bateau de la Croix rouge sur lequel j’ai pu monter. Je pensais qu’on allait aux USA, mais je me suis retrouvé à Gêne, en Italie. Je suis arrivé en Suisse en 2001 après un long périple. J’ai toujours dit que je venais de Sierra Leone. Les autorités ne m’ont jamais cru et on toujours dit que je venais du Libéria.

En 2004, j’ai reçu « La lettre ». J’avais un travail, un appartement, des biens et je prenais des cours de français. Ma conseillère juridique m’a dit que depuis le 1er avril je ne recevrais plus d’argent ou d’assistance. Que je ne pourrais plus travailler. Ils me mettaient à la rue. J’avais vraiment peur. J’étais totalement confus. J’étais encore en formation. Même le bon pour mes cours s’arrêtait. Et les tickets de train aussi. J’avais une télévision, un DVD, une machine à laver. Je les ai donnés à des amis. Quand cela est arrivé, j’étais à Lausanne. FAREAS (EVAM) a fermé la porte de chez moi à clé et ils ont changé la serrure. J’ai pris deux sacs de mon appartement. Un petit avec les affaires de l’école et quelques autres dossiers.

J’ai d’abord vécu dans le Bunker pour les déboutés à Lausanne ouvert de 19 h à 8 h du matin. Puis à la Caserne d’Yverdon, au Foyer de Vennes et du Simplon à Lausanne, puis au Foyer à Leysin. J’ai vécu en foyer d’aide d’urgence de 2004 à 2021 – 17 ans ! À cause des conditions de vie, je suis souvent malade. Je vais souvent à l’hôpital.

Depuis 2021, grâce à mon avocate, j’ai enfin obtenu un petit studio rien que pour moi. À l’aide d’urgence, je n’ai accès ni aux cours de français, ni aux formations et je n’ai pas le droit de travailler. La vie dans les foyers d’aide d’urgence, c’est la catastrophe. Les conditions sont épuisantes. Je suis malade depuis plusieurs années. À Leysin par exemple, tout était loin. Quand je rentrais avec le dernier train, la cuisine du foyer était fermée et je ne pouvais pas me faire à manger. Parfois les Securitas viennent dans les chambres. Ils ne toquent pas, ils entrent. Ils regardent tout ce que tu as. Parfois je ne retrouvais plus certaines de mes affaires. Des étudiants m’avaient donné un ordinateur. On me l’a pris un jour où je n’étais pas là.
Cela fait donc 20 ans que je dois me rendre au Service de la population du canton de Vaud (SPOP) tous les mois, parfois toutes les semaines, cela varie. J’essaie de faire le plus d’activités pour ne pas rester à la maison. J’essaie de donner des coups de main tant que je peux pour rester actif.

En 2016, j’étais au foyer de Leysin. La police est venue m’arrêter et ils m’ont mis dans un vol spécial pour le Libéria. Arrivé à l’aéroport au Libéria, les policiers là-bas n’ont pas voulu que je reste. Ils ont discuté 5 minutes avec moi et ont dit aux policiers suisses qu’avec mon accent je ne venais pas du Libéria mais de la Sierra Leone. Moi j’étais tellement épuisé, je voulais juste qu’ils me laissent là-bas. Mais ce n’était pas possible. J’ai été renvoyé en vol spécial jusqu’à Genève. Mon avocate a essayé de faire des démarches. Mais rien n’a marché. Je n’arrive pas à avoir un permis ici. Je n’ai plus rien, ni personne en Sierra Leone et en plus le pays ne m’accepte pas !

Je reçois 9.50 par jours depuis 20 ans. Je fais beaucoup de bénévolat (activités communautaires) pour l’EVAM. Je le faisais déjà avant mon renvoi raté. Je fais ça tous les jours et par tous les temps. Ça m’occupe. J’aimerais qu’ils me gardent ! Qu’ils m’engagent !

J’ai fait beaucoup de traductions pour les Ukrainien·nes car ils ne comprennent pas le français. J’ai beaucoup travaillé dans les foyers. Puis après, dans un truc de location de vélo à Villeneuve, puis la déchetterie à Vevey, puis le nettoyage dans le bus. Je bosse toujours à 100 %. J’ai gardé tous mes certificats de travail pour si jamais une fois j’en ai besoin. J’en ai beaucoup. Mais avec toutes les activités communautaires que je fais, mon argent de 9.50.- par jour reste le même. Je ne reçois rien en plus. Mais au moins ça m’occupe et ça m’occupe la tête.

Je dois aller toutes les deux semaines à l’hôpital. J’ai beaucoup maigri. Ils ne trouvent pas pourquoi. Je ne mange pas bien car je ne n’ai pas le temps avec toutes mes activités. C’est dur dans la tête, de ne pas devenir fou. Je suis épuisé. Je suis stressé. Mais je fais tout pour rester en meilleur santé possible.

Je commence à être un peu âgé. En tout cas, avec mon parcours, je me sens âgé. Je suis électricien de base, mais ici c’est difficile. J’aimerais tellement pouvoir travailler. Mais je n’ai pas le droit. Et en plus, je ne sais pas comment faire un entretien. J’ai appris le français, mais je n’ai jamais eu de cours, ni des formations, rien. Que puis-je faire ?