Amnesty | CFA : Mieux protéger les droits des enfants
Trois ans après la publication d’un rapport sur les mauvais traitements infligés aux demandeur·euses d’asile par le personnel de sécurité des centres fédéraux pour requérant·es d’asile (CFA) et sur les manquements structurels de l’État à prévenir ces incidents par des mécanismes proactifs de protection et de surveillance, Amnesty International a documenté de nouveaux cas de potentielles violations des droits humains. Nous relayons ce rapport qui contient des témoignages de violences à l’encontre de jeunes non accompagné·es qui indiquent l’utilisation de mesures coercitives et de privation de liberté contraires aux droits humains. En outre, il met en lumière les mesures prises par les autorités depuis 2021 et les lacunes dans ces mesures.
Le rapport (au format PDF) a été publié sur le site de Amnesty International Suisse le 22 octobre 2024.
Suisse / Centres fédéraux d’asile Mieux protéger les droits des enfants
Communiqué de presse du 22 octobre 2024, Berne
Qu’en est-il de la prévention de la violence dans les centres fédéraux d’asile? La situation s’est-elle améliorée depuis le rapport d’un ancien juge fédéral qui avait pointé les dysfonctionnements dans ces structures d’accueil en 2021? Amnesty International a documenté de nouveaux incidents de violence à l’encontre de jeunes non-accompagnés au centre Les Rochat qui révèlent des problèmes persistants.
Parce qu’ils ne disposent pas encore de tous les outils nécessaires pour faire face aux situations les plus difficiles, les enfants doivent faire l’objet d’une protection particulière. C’est d’autant plus vrai pour ceux qui ont vécu des traumatismes profonds, notamment sur le chemin de l’exil. Qui plus est, l’État a une obligation spécifique envers les mineur·e·x·s non. accompagné·e·x·s. Il est donc important que lorsqu’ils entrent dans le long processus d’asile en Suisse, le personnel en charge de les accompagner les traite de façon digne. Celui des centres fédéraux pour requérants d’asile (CFA) n’échappe pas à la règle.
Trois ans après le rapport du juge fédéral Niklaus Oberholzer qui confirmait de nombreuses préoccupations exprimées par Amnesty International en 2021, notamment au sujet du manque de surveillance des agent∙e∙x∙s de sécurité et de rapports non fiables sur les cas de violence dans les CFA, Amnesty International a documenté de nouveaux cas de possibles violences contre des jeunes non accompagnés au centre fédéral d’asile des Rochat (VD).
« Un agent de sécurité (…) a tiré sur le bras avec lequel je tenais mon téléphone. (…) Il est tombé sur le sol et s’est brisé. Je lui ai demandé pourquoi il avait fait ça et que j’en avais besoin pour appeler mon père. (…) Alors l’agent de sécurité m’a fait une clé de bras et m’a immobilisé par terre sur le ventre, a mis son genou sur mon dos et a tordu mes mains sur le dos. »
Fazal, mineur migrant non-accompagné
Sur la base des témoignages de cinq mineurs au sujet des traitements qu’ils ont reçus au CFA des Rochat (VD), entre mars et mai 2023, ainsi que sur les déclarations d’un ancien collaborateur qui travaillait dans les CFA de Suisse romande, il ressort de cette nouvelle enquête que les autorités usent de mesures de contrainte et à de privation de liberté qui pourraient être contraires aux droits humains. Ainsi, les cinq enfants interrogés par l’organisation ont tous été placés en détention pendant plusieurs heures dans une pièce et sous la contrainte. Quatre d’entre eux ont également décrit avoir subi des clés de bras, avoir été plaqués au sol ou encore été aspergés de spray au poivre.
« Amnesty International est préoccupée par ces témoignages qui suggèrent que le personnel de sécurité a eu recours à des mesures de privation de liberté illégales ainsi qu’à des mauvais traitements. Des mesures d’autant plus choquantes lorsqu’elles visent des enfants, sur lesquels rester enfermé 8 heures dans une pièce vide aura un impact important sur son développement », déclare Kishor Paul, spécialiste de l’asile et des migrations à Amnesty Suisse.
Des témoignages choquants
Fazal* a raconté qu’il a été aspergé de spray au poivre à deux reprises parce qu’il essayait de quitter la « chambre d’hébergement temporaire », une petite pièce à l’entrée, dans laquelle il était enfermé pour être sorti de sa chambre à minuit pour recharger son téléphone portable : « J’avais mal aux yeux et je ne voyais presque rien. Ils m’ont apporté de l’eau pour me rincer les yeux. Comme je ne voyais pas les agents de sécurité à la porte, j’ai essayé de sortir à nouveau. (…) Ils m’ont demandé où j’allais, m’ont poussé dans la pièce et ont utilisé le spray au poivre une deuxième fois. » Il a ajouté : « Un agent de sécurité (…) a tiré sur le bras avec lequel je tenais mon téléphone. (…) Il est tombé sur le sol et s’est brisé. Je lui ai demandé pourquoi il avait fait ça et que j’en avais besoin pour appeler mon père. (…) Alors l’agent de sécurité m’a fait une clé de bras et m’a immobilisé par terre sur le ventre, a mis son genou sur mon dos et a tordu mes mains sur le dos. »
Amir* a raconté à Amnesty International qu’un jour, il est arrivé en retard au CFA parce que le bus était tombé en panne. À son retour, on lui refuse l’entrée dans le centre et il est emmené dans une pièce avec un lit métallique. « Ils m’ont dit de rester là, mais j’ai refusé parce que je me sentais étouffer. J’étais dans tous mes états. Je sentais le stress monter et j’avais peur. Je criais parce que je voulais sortir. Je me sentais piégé dans ce petit espace. J’avais l’impression d’être en prison et je n’avais qu’une envie : sortir. J’avais soif. J’ai demandé de l’eau, mais ils ne voulaient rien me donner. »
Des pratiques reconnues comme illégales
Les témoignages selon lesquels des enfants ont été détenus dans les « chambres d’hébergement temporaire » pour les sanctionner sont particulièrement alarmants. Ces locaux servent de lieu d’hébergement alternatif notamment pour les personnes susceptibles de perturber les autres habitant.e.x.s du centre et devraient pouvoir être quittés. Cette pratique fait de facto de ces chambres des cellules de sécurité, en contradiction à la fois aux directives internes du CFA des Rochat mais aussi aux obligations de la Suisse en vertu du droit international. Des préoccupations partagées par la Commission nationale de prévention de la torture.
Par ailleurs, selon les standards du droit international, le spray au poivre est une substance dangereuse qui ne doit pas être utilisée dans des espaces confinés et jamais contre une personne qui a déjà été maîtrisée.
Avancées timides
à la suite du rapport de l’ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer et des recommandations urgentes formulées par Amnesty en 2021, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) avait pourtant annoncé une série de mesures pour prévenir la violence dans les CFA. Parmi celles-ci, le recrutement de un·e·x à deux « responsables de la prévention de la violence et de la sécurité des personnes » par région, la mise en place de « bureaux de signalement externe » ou l’adoption d’une base légale relative à l’usage de la contrainte par les agents de sécurité dans les CFA. Amnesty salue un pas dans la bonne direction, tout en s’inquiétant du manque de ressources allouées par le SEM qui mettent en péril l’efficacité et la mise en œuvre de certaines mesures, et l’ont contraint à en abandonner d’autres.
L’organisation a identifié un certain nombre de lacunes qui subsistent. Si la révision de la loi sur l’asile (LAsi) réglemente désormais le recours aux mesures de contrainte, Amnesty demande cependant qu’aucun jeune de moins de 18 ans ne puisse être enfermé dans une cellule de sécurité et que la loi l’interdise en conséquence. Dans le domaine du suivi des incidents, il arrive toujours que certains incidents ne fassent pas l’objet d’un rapport, ou que l’impartialité des informations qu’ils contiennent ne puisse être pas garantie. Par ailleurs, l’augmentation de personnel du SEM pour la surveillance, telle qu’elle avait été recommandée en 2021, n’a pas pu avoir lieu faute de ressources suffisantes. Les mécanismes de plainte, ensuite, et en particulier le projet pilote de bureau de signalement dans chaque CFA, ne seront finalement pas déployés dans tous les centres, au profit d’une structure centralisée pour l’ensemble de ceux-ci. La formation du personnel de sécurité – notamment en matière de gestion de conflit ou de médiation – n’a pas non plus été améliorée de façon significative. Enfin, il semble que les demandeur·euse·x·s d’asile ne disposent pas d’informations sur les possibilités de recours internes.
« Aussi bien les témoignages d’incidents individuels que le retard dans la mise en œuvre des recommandations de 2021, permettent de conclure que les problèmes structurels dans les CFA n’ont pas encore fait l’objet d’améliorations satisfaisantes de la part du SEM. Amnesty estime donc que les autorités n’ont pas pleinement respecté leur obligation de prendre des mesures efficaces pour prévenir les violations des droits humains », ajoute Kishor Paul.
Recommandations :
Pour éviter que de nouvelles violences telles que celles documentées au Rochat ne se reproduisent, Amnesty International a émis une série de recommandations listées dans son rapport. L’organisation demande notamment au SEM de renforcer les formations pour les agents de sécurité en prenant en compte les besoins spécifiques des mineurs non-accompagnés. Elle recommande aussi d’augmenter la présence d’employé·e·x·s du SEM dans les Centres fédéraux de l’asile afin d’améliorer le suivi de la prise en charge dans les centres, et d’étendre la création d’instances indépendantes et transparentes pouvant recueillir des plaintes.
* Les noms des personnes interviewées ont été modifiés afin de préserver leur anonymat