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Notre regard

Face à l’attente : « C’est très stressant et aussi irrespectueux »

Zaher* est né en 2005. Il vient d’Afghanistan, pays qu’il a fui alors qu’il avait 16 ans. Arrivé en Suisse en septembre 2022, il y a déposé une demande d’asile. Depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021, la Suisse ne renvoie plus personne en Afghanistan. Les jeunes hommes afghans qui demandent l’asile en Suisse se voient octroyer au minimum une admission provisoire. Ce statut permet d’accéder aux mesures d’intégration et au marché du travail. Avant cela, avec le statut N de requérant·e d’asile, les intéressé·es ne bénéficient souvent que de cours de langue et de programmes d’occupation. Soit parce que l’accès au travail est empêché par les autorités cantonales [1]Les titulaires du permis N ont, selon la Loi sur l’asile, le droit de travailler dès la sortie des centres fédéraux d’asile, à certaines conditions. La pratique varie selon les cantons., soit qu’il constitue un obstacle pour les employeurs et employeuses de par l’incertitude sur l’issue de la procédure d’asile. Les jeunes Afghans acquièrent en général très rapidement un bagage suffisant pour la communication quotidienne et ont une grande envie de se former et de travailler. Pour y parvenir, il faut donc obtenir une décision du Secrétariat d’État aux migrations (SEM), l’autorité d’asile.

Zaher a été entendu sur ses motifs d’asile en décembre 2022. Depuis, il attend. Nous avons interpellé sept fois le SEM entre mars 2023 et mars 2024 pour simplement nous enquérir de l’avancement de sa procédure. Aucune de ces missives n’a reçu la moindre réponse. Il a donc fallu saisir l’autorité judi­ciaire, le Tribunal administratif fédéral (TAF), qui a demandé au SEM de prendre position. Silence. C’était au mois de mai 2024. Inter­pellé à nouveau en juillet, le TAF a informé qu’il traitera dès que possible ce dossier. Zaher attend toujours et se sent de plus en plus oublié. Nous l’avons rencontré.

Zaher qu’attendais-tu en arrivant il y a bientôt deux ans en Suisse ?

« Je pensais obtenir un permis rapidement afin de pouvoir me projeter dans l’avenir, faire des études, travailler, devenir autonome et construire ma nouvelle vie. C’est trop dange­reux pour moi de retourner dans mon pays ».

De quelles aides as-tu pu bénéficier ?

« J’ai reçu et reçois encore très peu d’aide. On me donne un toit dans un foyer et des repas. C’est difficile de ne pas pouvoir choi­sir ce qu’on mange. Avant on pouvait cui­siner ensemble une fois par semaine au foyer. Je ne sais pas pourquoi cela n’est plus possible. Je reçois toutes les deux semaines 80 francs comme argent pour les autres besoins.

Pendant une année j’ai pu suivre des cours de langue à raison de 3 heures par jour. J’ai assez vite atteint le niveau A2 tant à l’oral qu’à l’écrit. Et maintenant j’ai passé les examens pour entrer à l’école pro­fessionnelle artisanale et industrielle. C’est bien. Mais j’aurais aimé pouvoir travailler ou commencer un apprentissage bien plus vite.

J’avais suivi un stage dans le jardinage qui s’était très bien passé : le patron était prêt à m’engager. Impossible avec mon permis N. De même, j’aurais pu travailler comme aide de cuisine, mais là aussi mon permis a tout bloqué. Pareil dans l’industrie forestière ou dans un garage. À chaque fois, mon permis m’a bloqué. On ne me laisse que faire occa­sionnellement des travaux de jardinage où on me donne 10 francs pour 2 heures et demie [dans le cadre de programmes d’occu­pation, ndlr]. Mais c’est rare. »

Qu’aimerais-tu encore dire par rapport à ta situation ?

« Je ne comprends pas pourquoi je n’ai tou­jours pas de permis. J’ai été entendu en décembre 2022. Beaucoup de mes camarades ont reçu le permis rapidement après leur audition. Il me semble qu’une année avec le permis N devrait être un absolu maxi­mum, le temps d’apprendre la langue et comprendre comment les choses se passent ici. Quand j’en peux plus, je contacte le juriste responsable de mon dossier pour qu’il relance le SEM. On n’a jamais reçu de réponse. C’est très stressant et aussi irres­pectueux. Aussi à l’égard du juriste. Même le Tribunal semble ne rien faire. C’est incom­préhensible. J’ai un ami à Aarau dans la même situation. Quand il est à bout, je lui dis « patience », et quand je suis à bout, c’est lui qui me dit « patience ». Il en faut vrai­ment beaucoup, car comment se projeter dans une vie sans permis de séjour ? Je veux être autonome et utile ».

Propos recueillis par MICHAEL PFEIFFER, juriste Caritas Suisse

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Notes
Notes
1 Les titulaires du permis N ont, selon la Loi sur l’asile, le droit de travailler dès la sortie des centres fédéraux d’asile, à certaines conditions. La pratique varie selon les cantons.