Criminalité | Mieux comprendre les statistiques
Raphaël Rey, CSP Genève
La session parlementaire de printemps amènera les chambres à se prononcer sur deux motions UDC visant, encore une fois, la figure du «requérant d’asile criminel». Le premier texte (24.3716 et 24.4429) entend exclure des procédures ou lever les autorisations de séjour des personnes en procédure d’asile, admises à titre provisoire ainsi que des réfugié·es ayant été condamné·es pour un crime au sens du Code pénal ou de la loi sur les stupéfiants. La seconde motion (24.3734 et 24.4495), elle, demande à limiter systématiquement la liberté de mouvement des requérant·es d’asile «criminel·les», que ce soit par «l’assignation à des centres spécifiques, la détention ou la surveillance permanente à l’aide de moyens appropriés». Ces motions portent gravement atteinte aux droits fondamentaux des personnes et les solutions proposées sont inutiles et discriminatoires.

Alors que les deux motions s’appuient avec une facilité déconcertante sur l’annonce statistique que plus de 56% des délinquant·es en Suisse seraient des étranger·ères, il convient d’aller plus loin dans l’analyse. D’abord, de nombreuses études universitaires ont démontré que cette surreprésentation est avant tout due à différentes formes de discrimination policière et judiciaire (profilage racial, peines plus lourdes pour les ressortissant·es étranger·ères, …), ainsi qu’à la criminalisation croissante de l’immigration irrégulière. Ainsi, en cas d’entrée ou de «séjour illégal», le droit des étrangers prévoit depuis 2005 des peines allant jusqu’à un an de prison (art. 115 LEI). Les statistiques montrent d’ailleurs que le nombre de condamnations pour infraction à la LEI a considérablement augmenté ces dernières années [1]Journals ou ODAE Romand.
Surtout, ces études montrent que la surreprésentation statistique des étranger·ères dans la criminalité n’est en réalité pas due à leur nationalité ou à leur statut, mais à d’autres facteurs : les principaux étant le sexe, l’âge, le niveau socio-économique et le niveau de formation. Autrement dit, les jeunes hommes pauvres et peu formés sont plus enclins à commettre des délits que les autres groupes de population, et ce indépendamment de la nationalité. Les personnes étrangères et requérantes d’asile étant surreprésentées dans cette catégorie, elles le sont aussi dans la criminalité. En bref, une lecture basique des statistiques qui consiste à dire que les étranger·ères sont plus enclin·es à commettre des infractions que les nationaux·ales est fausse, et toute mesure qui vise le statut ou la nationalité est aussi bien inutile que discriminatoire.[2]asile.ch
Une menace pour les droits fondamentaux
Si ces motions s’appuient sur des statistiques erronées, elles proposent des solutions qui le sont tout autant. Elles s’avèrent inutiles car, que ce soit en matière de révocation du statut ou d’entrave à la liberté de mouvement, les bases légales existent déjà.
Selon l’art. 53 LAsi, l’asile est refusé au/à la réfugié·e qui en serait indigne en raison d’actes répréhensibles, qui aurait porté atteinte à la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse ou qui la compromettrait ou encore qui serait sous le coup d’une expulsion. Des restrictions similaires sont prévues lorsqu’il s’agit de la révocation ou de l’extinction de l’asile, de l’octroi ou de la levée de l’admission provisoire. Notons que ces possibilités trouvent néanmoins leurs limites dans l’interdiction de refoulement prévue par le droit international et européen (art. 33, al. 1, de la Convention relative au statut des réfugiés et art. 3 de la Convention européenne des droits de l’homme).
Quant à la liberté de mouvement, rappelons qu’il s’agit d’un droit fondamental garanti par l’art. 10, al. 2, de la Constitution fédérale. Et là encore, plusieurs bases légales cantonales permettent déjà de l’entraver, les cantons ayant la compétence des tâches de poursuite pénale et d’exécution des peines. Autrement dit, un·e requérant·e d’asile ayant commis un crime est soumis aux mêmes lois pénales que tout·e résident·e du pays. Aucune raison ne justifie que des lois spéciales s’appliquent pour les personnes étrangères, d’autant plus qu’elles font déjà face à des pratiques pénales et judiciaires discriminatoires (tel que le profilage racial, comme évoqué plus haut).
Des motions à rejeter de toute urgence
Parce qu’elles constituent de graves violations au droit international et constitutionnel, mais surtout parce qu’elles se trompent de cible, nous recommandons sans hésiter au Conseil national et au Conseil des États de rejeter ces motions.
Si la Suisse souhaite réduire la criminalité sur son territoire, ce n’est certainement pas en s’attaquant à des groupes de personnes selon leur statut ou nationalité et en sapant les droits fondamentaux de tou·xtes qu’elle y arrivera.
Décrypter les préjugés autours de la criminalité des personnes issues de l’asile
- Nous vous renvoyons également vers notre page décryptant la prétendue criminalité des personnes réfugié·es.
- Aux côtés du point de vue d’un criminologue sur la question, vous retrouverez un long article décryptant les statistiques. Y figure également une liste de ressources documentaires.
- Enfin, nous vous suggérons de lire l‘article de Luca Gnaedinger à propos de la criminalisation de l’immigration et de la surreprésentation des personnes issues de l’asile au sein de la population carcérale.
Notes
↑1 | Journals ou ODAE Romand |
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↑2 | asile.ch |