Solidarité sans frontières | L’obsession des expulsions
Sophie Guignard, Solidarité sans frontières (SOSF)
Le mercredi 18 décembre, le Conseil des États se prononcera sur une motion visant à exécuter les décisions de renvoi plus rapidement et plus systématiquement. Cette demande, déposée par un élu du Centre, est notamment motivée par ce que le parti de la famille évalue comme un manque de rigueur de la part des cantons dans l’exécution des renvois des personnes déboutées. Dans un article d’opinion que nous relayons ci-dessous, Solidarité sans frontières rappelle la réalité des renvois mis en oeuvre par la Suisse : courants, violents et surtout non-adaptés. L’organisation revient sur ce qu’elle nomme «l’obsession des expulsions» pour rappeler clairement qu’il s’agit d’une fausse solution.
Les questions liées à l’asile reviennent fréquemment – si ce n’est systématiquement – sur la table des sessions parlementaires. Afin d’attirer l’attention sur les enjeux que peuvent soulever certaines motions déposées, asile.ch collabore avec diverses organisations pour proposer des analyses et décryptages des objets parlementaires. Tous les articles en question sont regroupés, sur notre site, sous le tag «session parlementaire».
L’obsession des expulsions
Daniel Fässler, élu du Centre a déposé une motion demandant au Conseil fédéral d’exécuter les décisions de renvoi plus rapidement et plus systématiquement. Le centriste déplore notamment que tous les cantons n’exécutent pas les renvois avec le même zèle et qu’un jugement du Tribunal Fédéral ait donné gain de cause à l’un de ces cantons.
Les renvois vont déjà bon train
Le Conseil fédéral propose de rejeter la motion. Motif: la Suisse est déjà au top. Effectivement: les expulsions comme priorité politique en vue de régler une crise de la migration qui tient plus de la prophétie auto-réalisatrice que du scénario avéré a depuis longtemps le vent en poupe. Elle a obtenu cette année cependant un élan supplémentaire: en janvier Beat Jans travaillait au WEF à intensifier les renvois forcés vers l’Irak, le futur directeur du Secrétariat d’État aux Migrations (SEM), Vincenzo Mascioli a réussi à imposer les expulsions vers l’Afghanistan, en utilisant l’argument classique : la criminalité. Un article de Basil Weingartner dans la WOZ a démontré peu de temps après que le danger pour la sécurité publique était pourtant à relativiser. Enfin, le Conseil fédéral annonce une augmentation de 20% des départs de Suisse par rapport à l’année précédente.
La réalité des renvois
La Suisse dispose et use de moyens très violents pour effectuer ses expulsions: les vols spéciaux et l’aide d’urgence. Exécuter les décisions de renvoi plus rapidement et plus systématiquement reviendrait à augmenter encore cette violence. Les vols spéciaux coûtent en moyenne 13’000 CHF par personne renvoyée, hors escorte policière (pour laquelle il faut compter au bas mot au moins la moitié de cette somme), la Commission nationale de prévention de la torture rapporte chaque année des usages non proportionnés de la violence et des personnes risquent la retraumatisation par leur expulsion. Nous estimons qu’il y a au moins deux vols spéciaux par mois à destination de la Croatie pour les expulsions Dublin. Quant à l’aide d’urgence, le rapport et avis de droit mandatés par la Commission fédérale des Migrations montrent très clairement que ce système est en contradiction avec la Convention des droits de l’enfant et la Constitution suisse.
Fausse solution
Un parti qui prône la liberté, la solidarité et la responsabilité doit s’efforcer de faire des propositions en accord avec ces valeurs. Pour le cas du droit d’asile cela demande certes un effort d’imagination, tellement le débat a été infecté par les extrêmes droites, mais il faut tenir bon. Si crise ou chaos de l’asile il y a en Suisse, ce n’est en tout cas pas à cause du nombre des arrivées, en comparaison européenne extrêmement bas. C’est parce que le système est ralenti par les recours fait à des décisions prises à la hâte, c’est parce que certains permis empêchent une autonomisation socio-économique des personnes, les condamnant à rester dans le système de l’asile, plutôt que d’accéder à un statut égal à celui de la population suisse, c’est parce que certaines décisions de renvoi gravissimes sont maintenues, alors que le SEM a la possibilité d’user d’une clause humanitaire.
Encore une chose : le jugement du TF déploré par Fässli concerne justement un renvoi non exécuté par le canton de Neuchâtel pour ne pas séparer un jeune père de sa compagne et de son enfant à naître. Quo vadis le parti de la famille ? Montrer de la fermeté en matière d’asile est apparemment plus important que de considérer les cas particuliers, faire preuve d’empathie et prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde de droits fondamentaux comme celui à la vie de famille. C’est ni solidaire, ni responsable.