L’édito | 41 % d’enfants: une réalité qui change tout
Sophie Malka
41 %. En 2024, près de la moitié des demandes d’asile comptabilisées en Suisse émanaient d’un enfant[1]Save the Children, Asylstatistik 2024 : 41 Prozent der Gesuche sind von Kindern, 17.02.25. Comme en 2023. Comme en 2022…

Ce chiffre, il faut le répéter, le rappeler, encore et encore. À chaque intervention publique sur l’asile, à chaque propos stigmatisant et mensonge proféré sur la thématique migratoire.
Il ne s’agit pas de jouer avec la corde sensible. Il s’agit de rappeler les faits. De demander à ce que toute loi ou décision politique sur l’asile soit pensée à partir de cette réalité-là: ce 41 % qui doit désormais occuper une place centrale dans la réflexion, dans les discours, dans les actes.
Tentons l’exercice d’interroger la pratique depuis ce point précis:
- EST-CE NORMAL de mettre un enfant dans un lieu de semi-détention pendant plusieurs mois en attendant que ses parents soient fixés sur leur demande de protection?
- EST-CE NORMAL de considérer que ce même enfant ne puisse pas sortir de cet environnement semi-carcéral pour aller à l’école?
- EST-CE NORMAL de menacer un enfant de renvoi, au motif que ses parents sont à l’aide sociale suite à la perte de leur travail et au motif qu’ils ne trouvent pas un nouvel emploi? [2]Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse, Prise de position. Initiative parlementaire. La pauvreté n’est pas un crime, 7.03.25
- EST-CE NORMAL de faire vivre un enfant dans la précarité extrême de l’aide d’urgence, tout en interdisant à ses parents de travailler?
- EST-CE NORMAL d’aller chercher un enfant de 10 ans en escorte policière dans son lit pour le renvoyer dans un pays dans lequel il a vu ou vécu des brutalités policières?
- EST-CE NORMAL de décider que même si un enfant est atteint d’une maladie grave, qui ne peut notoirement pas être soignée dans ce même pays faute de traitement disponible, on l’y expulse quand même?
Questionnez des personnes pas forcément acquises à la cause. Invitez-les à imaginer de telles pratiques appliquées à leurs enfants, leurs ados? La réponse serait sans doute autre que celle qui sort des urnes à chaque votation sur l’asile.
Les récents renvois en Croatie médiatisés par une enquêtrice de Blick dans une série de reportages percutants (p. 2); la scolarisation des enfants envisagée à l’intérieur du futur Centre fédéral du Grand-Saconnex à Genève (p. 10), une pratique en place ailleurs en Suisse: tous ces actes témoignent que nous sommes dans une anormalité. Une anormalité rendue possible par un long travail de déshumanisation.
Initiée par l’extrême-droite, dont les éléments de langage et les idées ont infusé jusqu’au sommet de l’État et dans l’administration, cette déshumanisation présuppose la construction d’un archétype que l’on peut aisément stigmatiser: un homme, jeune, à la peau foncée. Une représentation affublée de tous les fantasmes et travers, lorsqu’elle n’est pas présentée comme menaçante ou criminelle[3]Les photos sur le site de l’UDC montrent bien le processus de criminalisation.. C’est cette image qui s’est imposée dans les débats politiques, les médias, l’opinion. C’est cette image biaisée qui a permis de faire avaler l’inacceptable[4]asile.ch, Quand l’inacceptable devient légal, Sophie Malka, n°198 / juin 2025, d’inscrire dans la loi des pratiques qu’on ne pourrait imaginer pour nos propres enfants, pour nos aîné·es, pour nos sœurs et nos mères. C’est cette image, trompeuse, qu’il s’agit de renverser.
Pour imaginer pouvoir repenser le système d’asile.
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Notes
↑1 | Save the Children, Asylstatistik 2024 : 41 Prozent der Gesuche sind von Kindern, 17.02.25 |
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↑2 | Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse, Prise de position. Initiative parlementaire. La pauvreté n’est pas un crime, 7.03.25 |
↑3 | Les photos sur le site de l’UDC montrent bien le processus de criminalisation. |
↑4 | asile.ch, Quand l’inacceptable devient légal, Sophie Malka, n°198 / juin 2025 |