Innovation | Des îles flottantes dans la Méditerranée pour échapper à la mort
Marco Danesi, asile.ch
C’est tout l’intérêt d’un journal traditionnel (en papier, qui plus est) : publier des articles inattendus dont le sujet surprend. C’est le cas du magazine T du Temps. En le feuilletant, j’ai découvert un texte où l’on parle d’un architecte lausannois qui a imaginé des plateformes de sauvetage pour les personnes migrantes en perdition dans les flots de la mer.
A lire également: «Un Lausannois imagine des«bouées» géantes pour sauver les migrants en détresse», Alexandre Duyck, Le Temps (13 mai 2025)
Marco De Francesco a conçu des bouées géantes, flottant dans la mer Méditerranée. Les personnes migrantes en difficulté lors des traversées entre les côtes africaines et italiennes pourraient s’y abriter, en attendant les secours. Un article du magazine T du 13 mai 2025 (Le Temps) raconte pourquoi et comment l’artiste, architecte, illustrateur, dessinateur de presse lausannois a eu cette idée.

Utopique, apolitique, mais réaliste
Le projet Sea-You est « utopique, apolitique, mais réaliste », déclare Marco de Francesco. Ces bateaux-plateformes, appelés « Vigilantes », formeraient de véritables archipels d’îlots, certains fixes, d’autres mobiles, avec des phares permettant de les localiser jusqu’à 25 kilomètres à la ronde, des radars, des sonars (pour la détection d’objets sous l’eau) et même des lidars (technologie qui utilise des faisceaux laser pour mesurer des distances et des mouvements précis en temps réel). Ils seraient équipés pour accueillir et abriter chacun quelques dizaines de personnes. Avec le designer Jean-Philippe Bonzon, Marco De Francesco a même conçu une couchette qui peut se transformer en table, et en flotteur si besoin.
À leur bord, on y trouverait de la nourriture, des vêtements, issus des filières de recyclage, des produits hygiéniques et des médicaments. Ces bouées seraient solides, résistantes, insubmersibles, précise encore Le Temps, offrant une très grande sécurité aux naufragé·es dans l’attente d’être secouru·es et conduit·es sur la terre ferme.
Si la technologie n’est pas un problème, indique l’architecte au Temps, les choses sont plus compliquées sur le plan administratif et juridique. Le positionnement des plateformes en mer risque de représenter un véritable casse-tête tant les enjeux territoriaux, économiques, sécuritaires semblent à première vue bloquants et insolubles. Sans oublier les politiques migratoires restrictives, sinon répressives, des pays côtiers – l’Italie et la Libye, notamment.
Et puis, reste le nerf de la guerre : l’argent. Il en faudra beaucoup. Pour en trouver, l’architecte se démène comme un beau diable. Pour surmonter les obstacles, Marco De Francesco cherche à solliciter des soutiens d’envergure, même les plus improbables, comme celui du Vatican, qui n’a cependant pas répondu à l’appel, avoue-t-il. A ce jour, cependant, il pourrait déjà compter sur l’appui de quelques grandes ONG internationales.
Quoi qu’il en soit, ces bouées géantes sont à la fois porteuses d’espoir et expression d’un échec collectif. Porteuses d’espoir, parce que ces radeaux de secours, s’ils étaient réalisés un jour, promettent de sauver des vies. Expression d’un échec collectif, car elles accusent dramatiquement l’absence criante de solutions et de perspectives, humanitaires, sociales, économiques et politiques, face aux personnes migrantes livrées aux aléas des courants marins et de la météo. Au point de devoir compter sur l’initiative de personnes indignées ou sur l’activisme d’ONG corsaires pour éviter au moins de multiplier les victimes sur les routes de l’exil.
Une mer de barrières juridiques
Les questions juridiques – d’une rare complexité, notamment en ce qui concerne le statut, les emplacements, voire les déplacements, de ces objets flottants d’un genre inédit – sont un véritable casse-tête. La mer, contrairement à une vision à la fois naïve et romantique, n’est pas un espace de liberté, disponible à loisir. « L’usage » des eaux, des fonds marins et des côtes sont pris en réalité dans un filet serré de législations, codes et règlements les uns plus contraignants que les autres, explique Marco De Francesco, joint au téléphone après la lecture de l’article consacré par T, le magazine du quotidien Le Temps, à ses plateformes de secours pour les migrants naufragés dans la Méditerranée.
Quoi qu’il en soit, indique le site internet de « Sea-You », les plateformes seront positionnées en principe dans une zone SAR – zone où un État à la responsabilité de coordonner les opérations de recherche et de sauvetage -, située entre l’Afrique du Nord et les côtes italiennes sans être pour autant ancrées au fonds marin. Et ce pour échapper aux restrictions en vigueur dans les eaux territoriales de pays côtiers (jusqu’environ 22km au large) ainsi que dans les zones économiques exclusives (espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains et économiques en matière d’exploitation et d’usage des ressources naturelles jusqu’à 370 km depuis la côte). En Méditerranée, les zones SAR sont réparties entre plusieurs pays, notamment l’Italie, Malte, la Libye et la Tunisie. La zone SAR libyenne est un site d’intervention majeur pour les navires de sauvetage, mais elle est également source de dysfonctionnements, d’abus et de violences largement documentés.
Une fois déployées, les Vigilantes seront en principe stationnaires. Toutefois, et si nécessaire, elles pourront se déplacer de manière autonome vers des zones SAR voisines (maltaise ou italienne), limitant ainsi les risques de confrontation avec des patrouilleurs hostiles, libyennes le cas échéant.
Marco De Francesco, malgré ces difficultés, se montre cependant optimiste quant à ses chances de succès. L’architecte et illustrateur lausannois, animé depuis 4 ans par une volonté inébranlable d’aboutir, peut en effet compter sur un vif intérêt pour le projet de la part de certains ONG ainsi que de particuliers. Il croit à la force de l’utopie pour se défaire des obstacles administratifs et légaux et fédérer à la manière d’un rhizome celles et ceux qui veulent « défendre une éthique universelle du respect de la vie humaine ».
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