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Notre regard

L’édito | Remettre le curseur à sa place

Sophie Malka

Normalement, le fait que des fonctionnaires helvétiques donnent rendez-vous en douce sur le tarmac de l’aéroport de Genève à une délégation talibane pour négocier un quelconque accord aurait dû faire scandale [1]SEM, Le nombre des départs contrôlés se maintient au même niveau qu’en 2024, 22 août 2025 (p. 7) C’est qu’il ne s’agit pas d’un acte commercial mais bien de discuter du renvoi de personnes contre leur gré avec un régime dont la légitimité n’est pour l’heure reconnue que par la Russie. On sait pourquoi. 

Normalement, quand un État montre des signes de dérives toujours plus autoritaires, emprisonne et organise des procès contre ses dissident·es, la Suisse devrait être un refuge pour les personnes qui fuient ce régime. Tel n’est pas le cas pour la Turquie, bien au contraire : le Secrétariat d’État aux migrations tend à « normaliser les pratiques judiciaires autoritaires, à dépolitiser les motifs d’asile et à durcir les critères de reconnaissance du statut de réfugié, au détriment des personnes réellement menacées », analyse un juriste. (p. 20) 

La Turquie et l’Afghanistan figurent en tête du nombre de demandes d’asile depuis quelques années, et pas uniquement en Suisse. De ce simple fait, ces nationalités sont devenues la cible du Secrétariat d’État aux migrations. Comme l’a été l’Érythrée il y a quelques années. L’administration sort donc de sa mission d’examiner en toute neutralité le besoin de protection des personnes pour faire de la politique : elle met tout en place pour que la Suisse soit moins « attractive ». La fameuse « politique de dissuasion ». 

Elle le fait en rognant sur les principes fondamentaux du droit (procédure 24 h). Elle le fait en s’arrangeant avec la réalité du terrain: ses propres analyses-pays contredisent son discours que la situation se serait améliorée en Afghanistan.(p. 4) Des renvois à tout prix, pour faire du chiffre. Une politique menée avec la bénédiction du ministre de tutelle Beat Jans, un socialiste qui cherche depuis son arrivée à la tête du Département fédéral de justice et police à éviter les foudres de l’UDC. Pari qu’il devrait savoir perdu d’avance. 

Alors que les digues sautent, que les règles du droit international sont contestées et bafouées partout dans le monde au détriment des populations civiles, il serait au contraire nécessaire de montrer que les valeurs humanistes desquelles la Suisse se réclame ne sont pas que du vent. Aujourd’hui, la mythique « tradition humanitaire » est devenue le slogan-phare de la droite et de l’extrême-droite, qui le brandissent chaque fois qu’elles s’attaquent aux principes fondamentaux du droit d’asile. 

Et le pire, c’est que le mensonge et l’amalgame ne sont plus l’apanage de l’UDC. Au-delà d’éléments de langage, les contre-vérités et propos stigmatisants émaillent certains objets déposés au Parlement par des élu·es de la droite libérale, à l’instar des attaques dans le domaine de la santé portées par la PLR Jacqueline de Quattro [2]asile.ch, Motion 24.4292. Le « phénomène du tourisme médical ». Mais quel tourisme médical?, Sophie Malka, 9 septembre 2025, qui se répand dans les médias à longueur de chroniques. Les préjugés infusent et le degré d’acceptabilité des atteintes aux droits fondamentaux par la population augmente [3]asile.ch, Quand l’inacceptable devient légal, Sophie Malka, n°198 / juin 2024

En s’attachant à déconstruire les faux-discours (p. 2), la communication des autorités (p. 26) et à décrire l’impact de ces politiques, asile.ch cherche, avec la collaboration indispensable des actrices et acteurs du terrain, à résister à la lente érosion du droit d’asile. Et à rappeler où devrait se situer le curseur.


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Notes
Notes
1 SEM, Le nombre des départs contrôlés se maintient au même niveau qu’en 2024, 22 août 2025
2 asile.ch, Motion 24.4292. Le « phénomène du tourisme médical ». Mais quel tourisme médical?, Sophie Malka, 9 septembre 2025
3 asile.ch, Quand l’inacceptable devient légal, Sophie Malka, n°198 / juin 2024