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Session parlementaire | Motion Moser: confusion croissante entre détention pénale et détention administrative [25.3105]

Le 16 décembre 2025, le Conseil national examinera, en tant que deuxième conseil, une motion qui demande d’adapter les bases légales et la pratique en matière de renvoi afin de garantir l’efficacité de la détention et du renvoi des multirécidivistes dans les domaines de l’asile et de l’immigration. Elle entend ainsi contribuer à la sécurité publique. Il s’agit de la motion 25.3105 « Sécurité publique. Détention et expulsion de criminels multirécidivistes relevant du domaine de l’asile ». Nous relayons ci-dessous l’analyse juridique détaillée des efforts politiques actuels rédigée par Lars Scheppach et Meret Hofer (direction ODAE-Suisse).

Les questions liées à l’asile et la migration reviennent fréquemment – si ce n’est systématiquement – sur la table des sessions parlementaires. Afin d’attirer l’attention sur les enjeux que peuvent soulever certaines motions déposées, asile.ch collabore avec diverses organisations pour proposer des analyses et décryptages des objets parlementaires. Tous les articles en question sont regroupés, sur notre site, sous le tag «session parlementaire».

Photo de Tingey Injury Law Firm sur Unsplash

Pourquoi est-ce que les considérations pénales ne doivent pas entrer en ligne de compte dans le cadre de la détention administrative

Une analyse juridique détaillée des efforts politiques actuels dans le contexte de la motion Moser.

Un discours dangereux

Ce qui peut sembler anodin à première vue est, à y regarder de plus près, difficilement défendable, notamment sur le plan juridique. Tiana Angelina Moser justifie notamment sa motion par le constat que les mesures prises à l’encontre des délinquants relevant du domaine de l’asile seraient insuffisantes. Outre les sanctions pénales, la loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) permettait également de prendre des mesures coercitives telles que la détention administrative.

Le discours autour de la motion est marqué par la criminalité et les abus. Lors de la dernière session, l’autrice de la motion a évoqué des « personnes qui exploitent le système pour commettre des délits » et qui ne sont pas « suffisamment incarcérées ». Malgré les instruments existants dans le droit pénal et dans la loi sur les étrangers et l’intégration, la pratique montrerait que les mesures coercitives, telles que la détention administrative, ne seraient pas suffisamment utilisées pour garantir l’exécution des renvois.

La détention administrative est à plusieurs reprises mentionnée dans le même souffle que la délinquance et les abus. Cela met clairement en évidence l’amalgame dangereux entre détention administrative et détention pénale. La détention administrative poursuit en effet un objectif précis. Son seul objectif est de garantir le départ du détenu. Il en résulte que la détention administrative doit être clairement dissociée des considérations pénales. Les infractions pénales doivent impérativement être sanctionnées par le droit pénal. Le Tribunal fédéral suisse a explicitement déclaré que la détention administrative n’avait aucun lien avec le droit pénal et ne pouvait être ordonnée à titre préventif au sens pénal (ATF 134 I 92, Cons. 2.3.3 ; 139 I 206, Cons. 2.4).

Si un instrument supplémentaire de détention était mis en place pour punir les étrangers criminels, en plus de la détention pénale, cela violerait l’interdiction de la discrimination (art. 8, al. 2, Cst.). Il y aurait également un risque que la détention soit ordonnée à titre préventif, ce qui constituerait une violation flagrante du principe de la présomption d’innocence et serait incompatible avec notre État de droit démocratique.

Pratique courante

Dans la pratique actuelle, on constate que, contrairement à la jurisprudence du Tribunal fédéral, la détention administrative remplit souvent une fonction qui va au-delà de la garantie du renvoi. Ainsi, les personnes ayant des antécédents pénaux ou celles que les autorités considèrent comme un risque pour la sécurité sont prioritairement placées en détention. Dans certains cantons, elle est utilisée comme moyen de dissuasion et de contrôle (supposé) préventif de la criminalité, par exemple en incarcérant de manière ciblée des ressortissants de certaines nationalités ou des groupes de migrants considérés comme socialement indésirables (Miaz et Achermann, 2021).

Une telle pratique est clairement illégale et viole de manière flagrante l’interdiction de la détention arbitraire (art. 9 Cst.art. 31, al. 1,Cst.) ainsi que le principe d’égalité devant la loi (art. 8, al. 1, Cst.). Il convient de mettre un terme à cette pratique illégale des autorités cantonales plutôt que de l’encourager.

« Taskforce multirécidivistes »

La « Taskforce multirécidivistes », lancée en juin 2025, montre que ce phénomène n’est pas isolé. Cette initiative vise à garantir que toutes les mesures possibles, telles que le placement en détention administrative, soient appliquées à l’encontre des étrangers « qui posent particulièrement problème » et qui ont commis des infractions à plusieurs reprises. Elle a pour mission de coordonner de manière optimale les différentes étapes de la procédure. Cette approche contribue également à confondre détention pénale et détention administrative. L’Observatoire suisse du droit d’asile et des étrangers (ODAE-Suisse) s’inquiète de ces évolutions et rappelle que la détention administrative ne doit pas être utilisée pour lutter contre la criminalité, et qu’elle doit être clairement séparée des considérations pénales.

Des conséquences graves

Une confusion croissante entre détention pénale et détention administrative aurait des répercussions directes sur le quotidien dans les centres de détention administrative. Or, si de plus en plus de personnes placées en détention administrative ont effectivement un passé pénal, le personnel devra adopter une attitude plus sécuritaire et répressive. Cela serait fatal pour les autres détenus et irait à l’encontre des dispositions légales relatives à la détention administrative. La Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) stipule en effet explicitement que les personnes en détention administrative doivent, en règle générale, être hébergées séparément des détenus pénaux, dans des établissements spécialement prévus à cet effet (principe de séparation, art. 81, al. 2, LEI).

La Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) semble partager cette préoccupation. Lors de sa dernière visite au centre de détention administrative pour étrangers (ZAA) à Zurich en février 2024, la délégation a appris que l’établissement recevait des demandes d’admission de personnes faisant l’objet d’un titre de détention pénale. À ce sujet, la CNPT s’exprime comme suit : « Si tel devait être le cas à l’avenir, cela limiterait considérablement les progrès positifs observés ces dernières années. Le directeur du ZAA et ses collaborateurs devraient alors travailler avec des personnes en détention administrative en vertu du droit des étrangers et avec des personnes condamnées pénalement. La Commission considère que ce mélange est extrêmement problématique. »

Exécution du renvoi immédiat après la détention

La motion demande également que l’exécution du renvoi des délinquants expulsés de Suisse ou de l’espace Schengen ait lieu immédiatement après leur détention. Cela devrait toutefois déjà être le cas en règle générale, et lorsque ce n’est pas le cas, cela se heurte à la réalité. Lorsque l’exécution du renvoi n’intervient pas à l’issue de la détention, c’est généralement dû à l’absence d’accord de réadmission, à des identités non clarifiées ou à des obstacles à l’exécution. Dans la plupart des cas, il n’est pas possible de passer outre ces circonstances, ou cela serait incompatible avec les normes juridiques en vigueur.

En ce qui concerne la détention administrative elle-même, le droit en vigueur exige déjà que l’exécution du renvoi intervienne à l’issue de la détention. Le but de la détention administrative est en effet de garantir l’exécution du renvoi. La détention administrative est soumise à la condition impérative qu’il existe une perspective réaliste, tant sur le plan factuel que juridique, que le renvoi soit exécuté dans un délai raisonnable. Si l’exécution du renvoi n’est pas prévisible, la détention administrative est illégale, car son objectif — garantir le départ — ne peut être atteint (ATF 127 II 168).

Limiter la marge d’appréciation des tribunaux ?

Selon l’autrice de la motion, les mesures coercitives, telles que la détention administrative, sont trop rarement utilisées, non seulement en raison de la longueur des procédures d’obtention des documents, mais aussi parce que l’examen judiciaire de la proportionnalité conduit à la levée des ordonnances de détention. Elle souhaite limiter cette marge d’appréciation par la loi, afin que la sécurité publique pèse davantage dans la balance par rapport aux droits fondamentaux de la personne concernée.

À cet égard, il convient de souligner que la détention administrative, comme toute autre privation de liberté, constitue l’une des atteintes les plus graves à la liberté personnelle des personnes concernées (art. 10, al. 2, Cst.) et doit répondre à des critères juridiques clairs. Toute atteinte de l’État aux droits fondamentaux, et donc à la liberté personnelle, doit ainsi être proportionnée (art. 36, al. 3, Cst.). Chaque décision de détention doit faire l’objet d’un examen au cas par cas afin de déterminer si la détention est appropriée, nécessaire et ne constitue pas une charge excessive pour la personne concernée (interdiction des mesures excessives). La détention ne doit être envisagée qu’en « dernier recours » et doit être aussi brève que possible.

Les restrictions légales en matière de détention visent à empêcher les détentions arbitraires. Elles sont fondamentales pour garantir le respect de nos valeurs constitutionnelles et démocratiques. Même si le législateur crée de nouvelles bases légales, les droits constitutionnels et leurs critères de protection doivent impérativement être respectés.

Extension des motifs de détention et des places de détention ?

Enfin, l’autrice de la motion entend élargir les motifs légaux de détention et garantir un nombre suffisant de places dans les cantons. À cet égard, il convient de noter qu’un élargissement des motifs de détention et du nombre de places disponibles ne permettrait pas de répondre aux questions soulevées et serait peu judicieux, car il entraînerait une hausse des coûts, une prolongation de la durée de détention et une charge supplémentaire pour les tribunaux. La demande d’augmentation du nombre de places de détention ignore par ailleurs les exigences spécifiques auxquelles doivent répondre les établissements de détention administrative, ainsi que les coûts élevés qui y sont associés. De plus, la motion fait abstraction du fait que des organisations internationaux spécialisés, tels que l’OMS et le HCR, recommandent, au regard des contraintes subies par les personnes concernées, de recourir à la détention avec retenue et d’examiner des mesures moins sévères.

Les droits des personnes concernées en détresse

Une autre motion vise également à restreindre les droits constitutionnels des personnes concernées. La motion 24.3831 de Lukas Reimann remet en cause le contrôle judiciaire actuel de la détention administrative. Elle prévoit notamment que le premier examen de la détention ne soit plus effectué d’office, mais uniquement à la demande de la personne détenue. Parallèlement, l’autorité judiciaire pourrait renoncer, dans certains cas, à une audience orale et à un examen écrit. Cela affaiblirait considérablement le contrôle judiciaire de la privation de liberté.

Contrairement à la motion Moser, le Conseil fédéral semble ici conscient, dans sa prise de position, du rôle de la détention administrative en tant qu’acte administratif et de la menace qu’elle fait peser sur les principes de l’État de droit. Il déclare : « La détention administrative relevant du droit des étrangers n’est pas ordonnée à la suite d’une infraction. Elle sert, en cas de besoin, à garantir l’exécution d’un renvoi, d’une expulsion ou d’une expulsion pénale (art. 75 ss LEI). La privation de liberté qui en découle constitue une atteinte grave aux droits fondamentaux des personnes concernées. L’examen rapide de la légalité et de l’adéquation de cette détention par un tribunal constitue un principe fondamental de l’État de droit. »

Conclusion

Les motions 25.3105 et 24.3831 reflètent un discours politique dans lequel les questions de politique migratoire sont de plus en plusdébattues sous l’angle de la politique de sécurité. Les mesures de contrainte relevant du droit des étrangers, telles que la détention administrative, sont ainsi soumises à une pression croissante pour répondre à des attentes de plus en plus répressives. Or, cela est en contradiction avec leur finalité légale.

Le mélange entre détention pénale et détention administrative sape les principes de l’État de droit et renforce les pratiques discriminatoires en matière d’exécution des peines. On constate déjà aujourd’hui que la détention administrative est utilisée de factocomme un instrument de dissuasion et de contrôle de certains groupes. La volonté d’augmenter le nombre de places en détention administrative tout en réduisant le contrôle judiciaire relève d’une rhétorique politique symbolique et non d’un concept de prévention de la criminalité fondé sur des données factuelles.

L’ODAE-Suisse met en garde contre toute instrumentalisation de la détention administrative à des fins de politique sécuritaire. Au lieu de durcir les mesures, il est nécessaire de renforcer les garanties de l’État de droit, de développer des alternatives à la détention et d’engager un débat nuancé sur les causes de l’insécurité, qui ne se limite pas à des généralisations liées à la migration.

Référence bibliographique

Les explications juridiques et théoriques de cet article sont tirées du rapport spécialisé « Enfermé‑e : La détention fondée sur le droit des étrangers en Suisse » de l’Observatoire suisse du droit d’asile et des étrangers (ODAE-Suisse). Elles y sont étayées par des sources détaillées.

Lars Scheppach et Meret Hofer (direction ODAE-Suisse)

Ci-dessous, vous trouvez le communiqué de presse de l’ODAE sur le rapport « Enfermé·e – la détention fondée sur le droit des étrangers en Suisse » du 19 juin 2025.