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Emploi

4.1/ Le permis F est un atout faussement « provisoire »

Dans l’Union européenne, «l’admission provisoire» (permis F) est nommée «protection subsidiaire». Un nom qui veut (presque) tout dire, puisqu’appliqué aux personnes ne pouvant obtenir le statut de réfugiées pour des motifs de persécution individuelle, mais dont le besoin de protection est fondé sur des motifs collectifs comme la fuite d’une guerre, de conflits ou de violences généralisées, par exemple. Des cas où en Suisse, c’est un permis F qui est octroyé, la Confédération ayant l’interdiction de les renvoyer sous peine de violer ses obligations internationales.

«Va-t-il partir ? Je ne me suis jamais posé la question. Le but, c’est que nos collaborateurs restent dans l’entreprise et puissent perpétuer notre savoir-faire. C’est ce que je souhaite avec Henok. Il est volontaire, indépendant et travaille vraiment bien. Nous sommes une entreprise familiale, et il fait partie de la famille.» 

Jeff Stutz, responsable de Stutz Électricité S.A

Un renvoi généralement illégal

Dans les faits, une admission provisoire est prononcée quand la demande d’asile est rejetée, mais l’exécution du renvoi n’est pas licite, pas raisonnablement exigible ou pas possible (Voir Personne admise provisoirement dans le glossaire). La personne reçoit alors le permis F-étranger.

Pour qu’une personne avec le permis F-étranger puisse être renvoyée dans son pays d’origine, il faudrait donc que l’exécution du renvoi soit cumulativement «licite, raisonnablement exigible et possible». Des conditions souvent difficiles à remplir quand la personne provient d’un pays engagé dans une crise ou une guerre prolongée ou au sein duquel la situation qui a provoqué la fuite n’est pas près de s’améliorer (par exemple: Afghanistan, Syrie, Éthiopie, Érythrée).

Quant aux personnes «admises à titre provisoire», mais à qui le statut de réfugié est reconnu (permis F-réfugié), il est avéré «[…] qu’elles restent généralement en Suisse de manière durable.»[1]Données mentionnées dans le Rapport final – Évaluation du potentiel des réfugiés et des personnes admises à titre provisoire, établit sur mandat du Secrétariat d’État aux migrations … Lire la suite

Il est donc exceptionnel que des personnes titulaires du permis F soient renvoyées dans leur pays d’origine par les autorités suisses.

«Mon maître de stage pensait que je repartirais dès que la situation dans mon pays se serait calmée. Mais je suis réfugié politique. Pour que je puisse rentrer, il faudrait que le gouvernement tombe et que le suivant décide d’annuler toutes les condamnations politiques. Cela n’arrivera jamais.» 

O. réfugié kurde de Turquie

En cas de levée de l’admission provisoire

Même si les autorités décident de lever l’admission provisoire d’une personne, toute une procédure s’enclenche pour la personne avant qu’une décision de renvoi puisse véritablement être prise. En effet, les personnes vivent généralement depuis de nombreuses années en Suisse, certaines y ont grandi, et l’intégration de la personne au sein de la société pèsera lourd dans la pesée des intérêts que les autorités sont tenues d’examiner. Si la personne travaille, ce sera un argument contre une décision de levée effective du renvoi.

  • Pour les statuts S: en cas de levée du statut S, le Conseil fédéral a fixé un délai de départ de 12 mois pour les personnes titulaires du statut S qui travaillent (décision du 20 septembre 2024). En outre, si le statut devait être levé entre-temps, les apprenti es peuvent rester en Suisse jusqu’au terme de leur formation (décision du 1er mars 2023).
  • Pour les admissions provisoires : il ‘n’existe pas de délai de départ fixe pour les personnes admises «provisoirement» qui travaillent en cas de levée de leur statut. La décision est prise au cas par cas par les autorités. En principe, le permis est renouvelé tous les 12 mois. A noter qu’au bout de 5 ans de séjour en Suisse, les personnes admises à titre provisoire peuvent demander une autorisation de séjour. Une condition pour l’obtenir est «d’être bien intégré et financièrement indépendant: dès lors, les intéressés ont fortement intérêt à exercer une activité lucrative», nous explique le SEM dans un échange de courriers (septembre-novembre 2025). 
    En cas de levée de l’admission provisoire, le délai de départ peut être prolongé afin de permettre à une personne de terminer sa formation professionnelle initiale en Suisse.

Principe de proportionnalité

Le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) vérifie périodiquement si le ou la titulaire du livret F remplit les conditions d’octroi de l’admission provisoire prévues par la loi. Si ce n’est plus le cas, il lève l’admission provisoire et ordonne l’exécution du renvoi. 

En principe, une admission provisoire ne peut être levée que si les trois conditions suivantes sont remplies:

  • si l’exécution du renvoi est jugée licite; 
  • si la personne a la possibilité de se rendre dans un État tiers, de retourner dans son pays d’origine ou dans le pays de sa dernière résidence;
  • si ce déplacement est « raisonnablement » exigible.

Le SEM va ensuite «procéder à une pesée des intérêts privés et publics en présence»[2]Communiqué de presse concernant l’arrêt E-3822/2019 – Asile: arrêt concernant la levée de l’admission provisoire, Tribunal administratif fédéral, page visitée le 26.07.2025. et le principe de proportionnalité doit être appliqué. Dans un arrêt (E-3822/2020) le Tribunal administratif fédéral conclut que:

«Il relève que l’examen qui doit être fait par le SEM lors de la levée de l’admission provisoire n’est pas le même que celui qui est effectué lors de l’octroi de ce statut. En effet, la perte de l’admission provisoire, sur la base de laquelle un projet de vie a pu être fondé, peut entraîner des changements importants en lien avec la situation de personnes qui se trouvent légalement en Suisse, parfois depuis de nombreuses années. Le principe de proportionnalité, qui vaut de manière générale en matière de révocation d’autorisations de séjour, doit, selon le tribunal, également trouver application lors de la levée de l’admission provisoire prévue à l’art. 84 al. 2 de la Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI).»[3]Idem..

Le principe de proportionnalité s’applique également au statut S. Leurs titulaires peuvent rester durablement en Suisse avec ce statut; ou dans un second temps, s’ils ou elles demandent et obtiennent un autre titre de séjour. Le permis B est par exemple accessible si la personne peut prouver une bonne intégration. L’indépendance financière, et donc un travail, deviennent des prérequis clés.

Les admis provisoires de longue durée

En Suisse, on peut vivre avec un permis F dit «provisoire» plus de 10 ans. On parle alors d’«admis provisoires de longue durée». Il s’agit souvent de femmes, de familles, de personnes âgées et d’enfants. Les hommes célibataires entrés plutôt jeunes en Suisse (à 20 ans environ) auront plus de chance d’obtenir une autorisation de séjour (Efionayi-Mäder & Ruedin, 2014, p. 4[4]Données mentionnées dans le Rapport final – Évaluation du potentiel des réfugiés et des personnes admises à titre provisoire, établit sur mandat du Secrétariat d’État aux migrations … Lire la suite.

Transformation du livret F en séjour durable (permis B)

De quoi parle-t-on exactement?

Concrètement, une personne admise provisoirement (permis F) peut demander, après 5 ans en Suisse, la transformation de son livret F en permis B (autorisation de séjour), qui octroie plus de droits et de libertés (voir encadré).

Les autorités examinent le niveau d’intégration, la situation familiale et l’exigibilité d’un retour dans l’État d’origine ou de provenance pour motiver sa décision[5]Article 84a, Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI), page consultée le 26.07.2025.. L’intégration de la personne est déterminée selon divers critères clarifiés par une ordonnance (OASA), qui mentionne la «participation à la vie économique ou l’acquisition d’une formation» comme critère pour obtenir le permis B[6]Chapitre 6a192 Critères d’intégration de l’Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA), du 24 octobre 2007 (État le 1er janvier … Lire la suiteSelon un échange de courriers avec le Secrétariat d’État aux migrations, ce dernier confirme que «l’exercice d’une activité lucrative fait partie des conditions de transformation de l’admission provisoire en autorisation de séjour durable».

Critère d’intégration selon l’ordonnance (OASA):

  • Respect de la sécurité et de l’ordre publics
  • Ne pas représenter une menace à la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse 
  • Respecter les valeurs de la Constitution
  • Compétences linguistiques du canton de domicile
  • Participation à la vie économique ou acquisition d’une formation[7]Une dérogation aux critères ci-dessus peut être prononcée au regard de la santé de la personne, si elle est dans une situation de pauvreté malgré un emploi, si elle doit assumer des charges … Lire la suite.

L’exercice d’une activité lucrative est un critère important pour obtenir un permis B[8]Une fortune personnelle ou une prestation de tiers qui permet de couvrir les coûts de la vie sont également reconnues comme une «participation à la vie économique» selon l’ordonnance (art. … Lire la suite. Une condition qui peut être remplie grâce à une activité indépendante ou salariée.

Le permis B, vers plus de sérénité

Le permis B permet le regroupement familial sans délai (pour la famille nucléaire), de voyager à l’étranger (sauf dans le pays d’origine) et permet également à la personne de se projeter dans sa nouvelle vie.

Une personne admise à titre provisoire (permis F) pourrait être renvoyée dans son pays si la situation dans ce dernier, qui avait motivée sa fuite, s’améliore et qu’après examen de sa situation individuelle et familiale, il était estimé qu’un renvoi n’était pas disproportionné.. Avec un permis B, la question d’un potentiel renvoi ne se pose pas, hormis pour des raisons relevant du pénal qui s’appliquent à tous les autres étrangers, quelle que soit leur nationalité. Pour les permis F-étranger, obtenir un permis B offre donc plus de perspective et de sérénité. Pour l’employeur·euse aussi.

N.B : Les permis B-réfugié et F-réfugié bénéficient déjà de ces politiques plus souples.

« Trouver du travail avec un permis F était très difficile, la plupart des employeurs ne donnaient jamais suite à mes candidatures. Un jour, un employeur a été franc avec moi. Il m’a dit que j’avais l’air très motivé et qu’il aurait aimé me prendre, mais qu’avec le permis F, il n’était pas sûr que je reste à Genève longtemps. J’ai fait beaucoup de petits jobs pendant 6 ans, et maintenant que j’ai un permis B, j’ai beaucoup plus d’opportunités d’emploi et ai enfin pu signer un CDI. »

A., 33 ans, a vécu durant 6 ans avec une admission dite «provisoire»
Notes
Notes
1 Données mentionnées dans le Rapport final – Évaluation du potentiel des réfugiés et des personnes admises à titre provisoire, établit sur mandat du Secrétariat d’État aux migrations (SEM), Domaine de direction Immigration et intégration – Division Intégration, par Berner Fachhochschule / socialdesign, Berne, mai 2016, p.15.
2 Communiqué de presse concernant l’arrêt E-3822/2019 – Asile: arrêt concernant la levée de l’admission provisoire, Tribunal administratif fédéral, page visitée le 26.07.2025.
3 Idem.
4 Données mentionnées dans le Rapport final – Évaluation du potentiel des réfugiés et des personnes admises à titre provisoire, établit sur mandat du Secrétariat d’État aux migrations (SEM), Domaine de direction Immigration et intégration – Division Intégration, par Berner Fachhochschule / socialdesign, Berne, mai 2016, p.14
5 Article 84a, Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI), page consultée le 26.07.2025.
6 Chapitre 6a192 Critères d’intégration de l’Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA), du 24 octobre 2007 (État le 1er janvier 2025), consultée le 26.07.2025.
7 Une dérogation aux critères ci-dessus peut être prononcée au regard de la santé de la personne, si elle est dans une situation de pauvreté malgré un emploi, si elle doit assumer des charges familiales ou si elle a été victime de violence ou de mariage forcé (Art, 77f, Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA), du 24 octobre 2007 (État le 1er janvier 2025), consultée le 26.07.2025.
8 Une fortune personnelle ou une prestation de tiers qui permet de couvrir les coûts de la vie sont également reconnues comme une «participation à la vie économique» selon l’ordonnance (art. 77e, OASA).