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Notre regard

Chère Élisabeth,…

On peut l’avouer, votre élection au Conseil fédéral a été la meilleure nouvelle de 2022 pour les milieux de l’asile. Il faut dire que votre prédécesseure à la tête de votre département avait davantage d’affinité avec la police qu’avec la justice. Sa ligne ultra-dure en matière migratoire n’a probablement pas déplu à l’UDC.

Schweizerische Bundeskanzlei / Matthieu Gafsou

On lui accordera le formidable accueil des ressortissant·es d’Ukraine, avec l’octroi de droits auxquels devraient pouvoir prétendre toutes les personnes en besoin de protection. Sans doute qu’au vu du climat politique suisse, un·e socialiste à la tête du DFJP au moment du déclenchement de la guerre n’aurait permis une telle ouverture. Mais son manque d’empathie –et c’est un euphémisme– à l’égard des réfugié·es provenant d’autres «cultures», la gestion uniquement répressive de la migration, la volonté de verrouiller toute marge de manœuvre cantonale ont été la marque de fabrique de Karin Keller-Sutter.

Qu’il s’agisse de sanctionner les rares cas où les cantons n’ont pas procédé à un renvoi jugé humainement intolérable –seul Neuchâtel ayant osé contester l’amende; du refus de laisser les communes volontaires accueillir les hommes, femmes et enfants bloqué·es dans ces camps de la honte mis en place dans les îles grecques avec le soutien de la Suisse et de l’Europe; du verrouillage des visas humanitaires, unique possibilité de voie légale sûre pour les proches des Afghan·es résidant en Suisse; ou de la pression mise dans le dossier Frontex pour refuser tout contrôle démocratique sur l’activité d’une agence aux pratiques sulfureuses[1]Nos décryptages et analyses parus notamment dans nos éditions VE 187/avril 2022, VE 189 / oct. 2022 et VE 190/déc. 2022: c’est un mur qu’a dressé Madame Keller-Sutter durant ses 4 ans à la tête du DFJP, flirtant parfois avec la légalité pour procéder à des renvois (voir enquête p.8).

Et ce mur, elle l’a aussi consolidé par la parole. Un mur d’exclusion, de xénophobie,  de discrimination. En (ab)usant de la rhétorique de l’invasion[2]Nos décryptages et analyses parus notamment dans nos éditions VE 187/avril 2022, VE 189 / oct. 2022 et VE 190/déc. 2022, suscitant forcément le rejet, pour annoncer tel accord policier ou justifier son refus d’accueil des Afghan·es. En jouant une population contre une autre, survalorisant les Ukrainien·nes sans avoir la moindre idée des compétences des autres exilé·es, pour refuser toute amélioration des droits des titulaires d’autres statuts[3]Nos décryptages et analyses parus notamment dans nos éditions VE 187/avril 2022, VE 189 / oct. 2022 et VE 190/déc. 2022. En activant le ressort du soupçon à l’égard des intentions des personnes en quête de protection, délégitimant justement leur besoin d’un lieu sûr. Voire en renforçant cette culture du soupçon qui a court au sein du Secrétariat d’État aux migrations (voir opinion p. 2).

Alors si nous savons qu’il y aura forcément des déceptions, que diriger ce département est un défi pour votre sens de l’humanité, que vous subirez une pression énorme de la majorité de droite et que nous ne manquerons pas de garder un regard critique  sur  les actions du DFJP, nous souhaitons ici le rappeler: les mots ont un impact, d’autant plus lorsqu’ils sont portés au plus haut niveau de l’État. Qu’il est important de contextualiser historiquement les statistiques des arrivées: pour 2022, et hormis les réfugié·es d’Ukraine, celles-ci sont dans la normalité [4]Comptoir des médias. 25’000 demandes d’asile. Retour à la normale…. Que la plupart des personnes arrivant en Suisse ont des motifs légitimes et reçoivent une protection, les chiffres officiels le montrent. Et que la politique migratoire doit être calibrée sur cette réalité-là, plutôt que sur un soupçon d’abus. En ressortirait une intégration améliorée, des coûts réduits et une meilleure cohésion sociale. Cette voie-là, personne ne l’a tentée avant vous.

Avec nos meilleurs vœux pour les années à venir.

L’équipe et le comité de Vivre Ensemble

Notes
Notes
1 Nos décryptages et analyses parus notamment dans nos éditions VE 187/avril 2022, VE 189 / oct. 2022 et VE 190/déc. 2022
2, 3 Nos décryptages et analyses parus notamment dans nos éditions VE 187/avril 2022, VE 189 / oct. 2022 et VE 190/déc. 2022
4 Comptoir des médias. 25’000 demandes d’asile. Retour à la normale…