Quand l’UDC cherche à faire oublier ses inconséquences institutionnelles sous le masque d’un parti d’opposition
En présentant leurs 45 propositions devant la presse, Christophe Blocher et ses pairs n’ont eu de cesse de dénoncer l’inefficacité de la politique d’asile du Conseil fédéral, et de Simonetta Sommaruga en particulier, appelant à l’adoption de mesures urgentes. Jamais le mot «bilan» n’y a été prononcé. Un bilan qui s’imposerait pourtant: celui d’une politique d’asile qui, bien qu’ils la fustigent, n’en reste pas moins leur œuvre. Car depuis 15 ans, c’est sous la pression de l’UDC que la loi sur l’asile a été remaniée et révisée, intégrant ses propositions de manière plus ou moins estompée au rythme des motions et interpellations urgentes déposées au Parlement.
A en croire l’UDC, il y aurait eu un âge d’or: celui de l’ère Blocher au DFJP. Une période durant laquelle les demandes d’asile ont atteint leur taux le plus bas. Après Blocher, place à la débâcle et au chaos. Un chaos dont la maîtrise devait pourtant être assurée par les lois sur l’asile et sur les étrangers, façonnées et défendues par l’ex-Conseiller fédéral. Des lois dont il affirmait qu’elles résoudraient nombre des problèmes du domaine de l’asile et répondaient par anticipation aux défis qu’engendrerait une future augmentation des demandes, dont la baisse était avant tout conjoncturelle. « Les chiffres ont baissé partout en Europe, parce que pour le moment il n’y a pas de guerre en Europe. Mais cela n’exclut pas que nous soyons soudainement contraints de faire face à 40’000 ou 50’000 demandes », soutenait alors le tribun à La Liberté (1). D’où l’urgence d’adopter ces deux lois miraculeuses, décriées aujourd’hui pour leur inefficacité, alors que le nombre de demandes en 2011 n’atteint que 22’551 (2).
Et dans cet éphémère eden du contrôle migratoire, les solutions miracles d’aujourd’hui, pourtant inscrites de longue date au programme du parti, n’ont pas trouvé matérialisation: ni la signature d’accords de réadmission avec les principaux pays d’origine (3); ni les centres d’internement pour requérants asociaux ou délinquants; ni l’augmentation des places de détention administrative.
Alors que les mesures mises en œuvre par Blocher sont aujourd’hui démantelées. On pense en particulier aux admis provisoires, dorénavant placés au rang d’abuseurs: plus de droit au regroupement familial, plus d’accès à la régularisation pour cas de rigueur après 5 ans. Un démantèlement aujourd’hui défendu par Blocher. Il affirmait pourtant en 2006 des admis provisoires qu’ils avaient de bonnes raisons d’être en Suisse et que « 95% de ces gens restent ». Un constat justifiant la mise en place d’un: « système qui permettrait aux personnes dont on sait que, objectivement, elles ne repartiront jamais chez elles, de travailler plus tôt, de regrouper leur famille et d’avoir accès une formation » (4)?
D’autres propositions s’acharnent sur l’une des cibles privilégiées de l’UDC: le Tribunal administratif fédéral (TAF), dont les jurisprudences contrarient régulièrement ses projets. En 2006, pour faire passer les nouvelles lois, Blocher s’était réfugié derrière le pouvoir du TAF, invoquant le droit de recours comme garantie contre toute application inhumaine et réintroduisait l’effet suspensif aux recours contre les décisions de NEM. Aujourd’hui, l’UDC veut supprimer cet effet suspensif (5) et des- saisir le TAF de ses compétences en faveur d’une instance de recours rattachée au DFJP, tout en verrouillant les possibilités de réouverture des dossiers en cas d’erreur d’appréciation ou de fait nouveau.
Ces propositions, si elles étaient suivies par la CIP-N, conduiraient inévitablement à une augmentation des recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Reste à savoir si nos parlementaires feront preuve, pour une fois, si ce n’est d’un peu de lucidité face aux énormités qui leur sont soumises, au moins d’un peu de mémoire.
Marie-Claire Kunz
(1) Interview de Christophe Blocher, La Liberté, 09.08.2006
(2) Communiqué de presse de l’ODM du 19.01.2012, montée en flèche du nombre de demandes
(3) Si Christophe Blocher a effectivement conclu des accords de réadmission, ils concernent des pays de moindre importance par rapport aux principaux pays de provenance des réfugiés. Aucun accord avec les pays africains n’a été conclu.
(4) Interview de Christophe Blocher, Le Temps, 18.11.2004
(5) Une proposition vise à supprimer l’effet suspensif pour les recours contre les décisions de non-entrée en matière et sur réexamen. Une autre prévoit de déléguer à des tiers un examen préliminaire de la demande, qui, si elle n’est pas manifeste- ment fondée, sera classée sans décision, ni recours.