Aller au contenu
Notre regard

Refuser l’engrenage

Le 10 octobre dernier, un référendum contre les mesures urgentes de la loi sur l’asile a été lancé, après des débats nourris au sein des milieux de défense du droit d’asile. Des débats qui ne doivent pas faire oublier l’essentiel: la teneur des mesures urgentes adoptées le 28 septembre dernier et le devoir de les combattre, quelle que soit la stratégie privilégiée.

La révision s’attaque au noyau dur du droit des réfugiés

Jusqu’ici, les partis bourgeois prétendaient s’attaquer aux «faux réfugiés» pour mieux accueillir, disait-on, les «vrais réfugiés». Et pour expurger les «tricheurs» de la procédure d’asile, ils ont inscrit dans la loi d’innombrables motifs de non-entrée en matière et inventé l’aide d’urgence –synonyme de misère, peu importe les victimes collatérales. Aujourd’hui, ces partis ne s’encombrent plus de cette rhétorique. C’est précisément aux personnes répondant clairement à la définition du réfugié que s’attaquent les nouveaux durcissements de la loi. Des durcissements qui entameront irrémédiablement, faute d’un véritable combat politique, le noyau dur de notre droit d’asile.

Ainsi de la suppression de la désertion comme motif d’asile (lire notamment VE 139 et 122). La mesure est dirigée contre les déserteurs érythréens, une communauté qui figure parmi les premières en termes de taux de reconnaissance du statut de réfugié en Suisse et en Europe. Ils remplissent toutes les conditions qui découlent de la définition du réfugié de la Convention de Genève de 1951, de la loi suisse et de la jurisprudence. Exclure de l’asile des personnes qui sont exposées à de «sérieux préjudices», c’est la négation du droit d’asile.

La suppression des procédures d’ambassade s’inscrit dans cette même logique (voir encadré). Les chiffres révèlent qu’elles concernent des personnes particulièrement menacées, qui, une fois autorisées à venir en Suisse, se voient majoritairement reconnaître un statut dans notre pays. Des réfugiés que nos politiques ont préféré livrer aux passeurs et autres escrocs qui tirent bénéfice du fructueux marché de la migration et du malheur humain, que la Forteresse Europe ne cesse de rendre plus lucratif.

Vers la politique des camps d’internement

Pour compléter ce tableau s’ajoutent trois autres mesures, dont la portée réelle doit être analysée en lien avec le reste de la révision en cours [1]. Trois mesures qui ouvrent la voie à des dérives des plus inquiétantes.

Des « centres spéciaux » devraient dorénavant voir le jour. Y seront hébergé-e-s celles et ceux qui, parmi les demandeurs d’asile, porteraient atteinte à l’ordre public ou à la sécurité, ou dont le comportement entraverait le bon fonctionnement des structures d’accueil et de procédure. Un régime spécial, entériné par le Parlement sans qu’aucun consensus n’ait permis de comprendre qui étaient les requérants visés. Des délinquants ou de criminels? Non, puisque pour eux, comme pour tout autre personne commettant un délit en Suisse, la détention pénale s’impose en tant que première réponse. Ceux qui s’opposeraient à leur renvoi de Suisse? Non plus, puisque pour eux, les mesures de contraintes (détention administrative) existent déjà. Restent donc tous les autres, les «récalcitrants», dont le comportement enfreindrait une ligne invisible de tous, hormis du fonctionnaire qui aura le pouvoir de décider de leur envoi ou non dans un centre dit spécial, sans qu’aucun contrôle judiciaire ne vienne limiter son pouvoir. Quant aux centres eux-mêmes, difficile de savoir s’il s’agira de bunkers, de centres spécifiques ou de lieux d’internement. Ce que l’on sait, c’est que les premières velléités de mise en œuvre de tels centres vont dans le sens de centres fermés et que l’UDC a déjà annoncé son intention de faire voter, par voie d’initiative, l’enfermement pur et simple de tous les requérants d’asile, quel que soit leur comportement. [2]

Et n’en déplaise à ceux qui attendent encore qu’un miracle jaillisse des tiroirs du Département fédéral de justice et police, où mijote la révision annoncée par la ministre socialiste, ce dernier projet, corrélé aux mesures urgentes, nous achemine sans détour vers la mise en place de centres fédéraux de procédure et d’hébergement fermés, en d’autres termes, de camps d’internement pour requérants d’asile.

Dérogations à la séparation des pouvoirs et aux droits populaires

Première pierre à l’édifice, l’article 26a des mesures urgentes qui autorise dorénavant la Confédération à utiliser ses infrastructures pour héberger des requérants d’asile, contre l’avis des communes et cantons où elles sont situées. Une mesure temporaire, justifiée par l’augmentation des demandes d’asile et le manque de places d’hébergement, mais dont le groupe de travail sur les mesures d’accélération a déjà programmé la pérennisation [3]. L’article 112b, adopté in extremis au nombre des mesures urgentes, vient consolider le dispositif. Cette dérogation exceptionnelle à la séparation des pouvoirs autorise désormais le DFJP à tester de nouveaux modèles procéduraux énoncés par voie d’ordonnance, sans l’aval du Parlement. La boucle est bouclée. Grâce aux mesures urgentes, le Conseil fédéral peut dès à présent mettre en œuvre les grandes lignes du projet Sommaruga, sans repasser par le Parlement ou par le peuple, un précédent inouï. Et instaurer par ce biais des centres à large capacité, imposés aux cantons et communes, au prix d’une prévisible escalade qui livrera en pâture les requérants à la vindicte populaire et pavera la voie à l’initiative de l’UDC. Celle-ci finira de transformer ces centres en structures quasi-carcérales, les plus isolées possibles des zones urbaines.

C’est donc bien aujourd’hui, aux travers des mesures urgentes, que se jouent les futurs développements de la révision de la loi sur l’asile. Et c’est aujourd’hui qu’il faut refuser, avec toutes les forces qu’il nous reste, la logique implacable des camps d’internement et défendre les fondements du droit d’asile: la protection de celles et ceux qui cherchent refuge contre les persécutions. Et rappeler encore et toujours que défendre les réfugiés commence par défendre leurs droits et que défendre leurs droits, c’est défendre les droits de toutes et tous.

Marie-Claire Kunz


Notes:

[1] Pour rappel, trois projets de révision distincts sont en cours: le projet 3, qui concerne les mesures urgentes et contre lequel le référendum est lancé ; le projet 1, qui concerne la révision ordinaire en cours d’examen au Parlement duquel les mesure urgentes ont été séparées ; le projet 2, en cours d’élaboration auprès du DFJP, suite à la scission de la révision décidée par le parlement au printemps 2011.

[2] Voir notamment les propositions d’Yvan Perrin, relayées dans l’article du 10 novembre 2012 paru dans Le Matin, « Neuchâtel viole la constitution ».

[3] Voir notamment le compte-rendu du rapport intermédiaire du groupe de travail publié dans la Sonntagzeitung du 18 novembre 2012, http://www.sonntagszeitung.ch/home/artikel-detailseite/?newsid=235603.