Détention | Genève: capitale des droits humains… ou hub d’expulsion?
La future restructuration de la procédure d’asile, actuellement élaborée par le Département fédéral de Justice et Police (DFJP), prévoit que des cantons puissent se spécialiser dans certaines étapes de la procédure: enregistrement des demandeurs d’asile; hébergement et intégration; ou détention administrative et renvoi. Sous l’impulsion du Conseiller d’Etat en charge de la sécurité Pierre Maudet, qui collabore étroitement avec la Confédération pour cette restructuration, le canton de Genève a pris l’orientation de jouer un rôle d’hub d’expulsion. Il prévoit à terme 168 nouvelles places de détention administrative, au lieu des 40 places actuelles. Vous aviez été choqué-e-s par le film Vol Spécial et les souffrances de la vingtaine de détenus du centre de détention de Frambois? Imaginez ces problématiques multipliées par sept ou par huit!
Un budget de 70 millions de francs dédiés à la construction de ce méga-centre a été adopté par le Parlement genevois en automne dernier. Le projet prévoit également des cellules pour l’enfermement de familles, quand bien même la détention d’enfants se révèle clairement illégale. L’idée est de faire de Genève le canton responsable de la détention et de l’expulsion de tous les demandeurs d’asile déboutés de Suisse romande. Si le canton du bout du lac continuera d’accueillir des demandeurs d’asile en procédure ordinaire et des réfugiés, il négocie actuellement avec la Confédération de sorte à en recevoir moins, au pro rata du nombre des renvois qui auront pu être exécutés. Plus d’expulsions signifiera donc moins de charges d’accueil et d’intégration – on voit d’ici l’aspect malsain d’une telle incitation, qui dopera le zèle des personnes chargées d’exécuter les renvois.
Cette évolution vers une Genève-hub d’expulsion soulève plusieurs questions. La première, évidente, est celle de l’adéquation entre cette orientation et ce qu’est Genève au plus profond de ses tripes. Genève a une longue tradition d’accueil des réfugiés, qui remonte au moins à l’époque de la Réforme. C’est la ville d’Henry Dunant, fondateur de la Croix-Rouge. C’est la ville où de nombreuses organisations internationales défendant les droits humains ont leur siège. Et à chaque votation sur l’asile ou les étrangers, le canton s’illustre par un score parmi les plus favorables à une Suisse ouverte.
Gestion des flux…
Par ailleurs, nous assistons à une nouvelle victoire de la gestion comme objectif politique. Les hommes et femmes politiques qui ont pensé ce projet n’incarnent aucune valeur et ne nourrissent pas la vision d’une société plus juste et plus humaine. Ils sont des manutentionnaires soucieux de mettre en place un dispositif rationnel pour exécuter une politique de détention et d’expulsion qui n’est plus remise en question. La peur de se montrer en porte-à-faux par rapport à une base électorale marquée par des années de discours xénophobes est palpable.
On peut aussi se demander concrètement qui va être enfermé dans ces 168 cellules alors qu’aujourd’hui existe «seulement» une quarantaine de places? On peut craindre que la politique de renvoi se durcisse fortement, amenant les autorités à avoir recours aux expulsions forcées de manière plus systématique. Mais alors à quel prix, car les renvois coûtent extrêmement chers, et avec quel succès dans la mesure où les obstacles qui s’opposent aujourd’hui à l’exécution des renvois (absence de papiers, de laissez-passer, d’accords de réadmission) ne disparaîtront pas par magie?
Autre question: ce projet genevois bénéficie d’un généreux subventionnement de la Confédération (au moins 60% du montant total). En parallèle, la restructuration de l’asile sur le plan fédéral dans lequel il s’inscrit est encore loin de voir le jour et la mise en route du chantier peut sembler à cet égard prématuré. Vu le problème de surpopulation carcérale chronique que le canton de Genève connaît en matière pénale, y aurait-il une stratégie visant à faire construire des cellules de détention administrative avec l’aide de la Confédération, pour ensuite les consacrer en partie à la détention pénale, y compris pour séjour illégal?
Enfin se pose la question la plus urgente: quelle résistance allons-nous mettre en place face à ce projet? Comment allons-nous le dénoncer? Différentes pistes sont à l’étude au sein de la Coordination Stopexclusion. Les lectrices et lecteurs de Vivre Ensemble en sauront bientôt davantage. La teneur et la force de la réaction dépendra finalement de chacun de nous.
Aldo Brina
Chargé d’information du CSP-Genève et président de Stopexclusion
Plus d’info: www.stopexclusion.ch et www.mageneve.ch
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