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Notre regard

Droit des réfugiés | Et les enfants dans tout ça?

La définition du réfugié consacrée dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés est demeurée inchangée depuis son adoption. Formulée dans les années 50, elle reflète aujourd’hui encore une époque où l’attention se portait particulièrement sur l’homme adulte. Celui-ci était perçu comme l’instigateur principal des changements sociaux, économiques ou politiques. Et il paraissait le plus exposé à la répression des pouvoirs politiques, dont les agissements eux-mêmes répondaient à certains schémas, inscrits dans les guerres traditionnelles entre États ou dans les visions politiques polarisées de la guerre froide. L’espace réservé aux autres représentants du genre humain est ainsi resté marginal dans la construction de la protection internationale. Pourtant, près de la moitié des réfugiés, déplacés internes et apatrides réper- toriés de par le monde sont des femmes et près de la moitié également, des enfants. Des groupes qui ont peu à peu gagné en visibilité et en émancipation dans la reconnaissance de leurs droits au plan international, plaçant le droit des réfugiés face à ses limites et l’obligeant à développer de nouvelles approches, pour les inclure dans cette protection.

droitenfant C’est ainsi qu’en 2002, le HCR publiait ses premières lignes directrices sur la prise en compte des motifs d’asile liés au genre, indicatrices de l’évolution du droit des réfugiés en cours dans ce domaine. En Suisse, il faudra également attendre cette période et en particulier la crise des Balkans, théâtre d’exactions massives à l’encontre des femmes au nom de l’épuration ethnique, pour qu’une véritable attention leur soit portée dans la procédure d’asile. Sont alors introduites des garanties procédurales permettant aux femmes d’être entendues sur leurs motifs d’asile propres, par des personnes de même sexe, au même titre que les hommes, et en toute confidentialité. En 1998, la loi sur l’asile est modifiée, ajoutant à sa définition du réfugié (article 3), les motifs de fuite spécifiques aux femmes. Finalement, l’adoption en 2006 par le Tribunal administratif fédéral (TAF) de la théorie dite de la «protection», qui permet la prise en compte de persécution émanant d’acteurs non-étatiques, achèvera cette évolution, les persécutions liées à la sphère privée et familiale pouvant dorénavant être reconnues sous certaines conditions.

Une telle évolution tarde à se concrétiser pour les enfants. Ceux-ci, tout comme les femmes, sont exposés à des persécutions bien spécifiques. Des persécutions dont l’impact sur un enfant paraît d’autant plus violent que ses capacités émotionnelles ou cognitives sont encore en construction: mutilations génitales féminines, pires formes de travail des enfants définies par l’Organisation internationale du travail, mariage précoce, crimes d’honneur, infanticide, violences familiales, esclavage, enrôlement forcé de mineurs dans les conflits armés ou dans des trafics illicites,… Autant de violations que le droit des réfugiés peine à prendre en compte, soit en raison d’une doctrine insuffisamment développée en la matière, soit en raison de l’invisibilité pure et simple de ces enfants dans les procédures d’asile, en particulier lorsqu’ils sont membres d’une unité familiale composées d’adultes.

En effet, les autorités sont la plupart du temps promptes à assumer que les enfants n’ont pas de revendications distinctes de celles des adultes qui les accompagnent. S’ils sont mineurs non accompagnés, les autorités accorderont certes plus d’attention à leur parcours individuel, mais elles considéreront la plupart du temps que leur intérêt dicte avant tout leur rapprochement avec leur parenté dans le pays d’origine. Elles se dispenseront alors d’accorder une réelle attention aux potentielles violations des droits dont ils ont été victimes ou qu’ils risquent de subir en cas de retour. Des motifs qui pourraient les autoriser à prétendre à la reconnaissance, à titre individuel, de leur qualité de réfugié.

Entrée en vigueur en 1990, la Convention relative aux droits de l’enfant a jeté un éclairage nouveau sur ces êtres trop souvent réduits au statut d’objets passifs, incapables d’exercer leur droits par eux-mêmes et dépendants de la seule protection des adultes. Le principe fondamental de ce traité repose en effet sur la reconnaissance de l’enfant en tant que sujet actif de droit. Un changement de paradigme porté par deux dispositions: l’article 12, consacrant le droit de l’enfant à être entendu dans les affaires qui le concernent et l’article 3 édictant la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant comme une considération primordiale. Un intérêt dont la détermination doit se faire avec l’enfant, et non par les seuls adultes, en lui permettant de donner son opinion, selon les recommandations du Comité des droits de l’enfant.

Droits procéduraux octroyés aux enfants

Sous l’impulsion de ce traité, une nouvelle évolution du droit des réfugiés est aujourd’hui en cours, à l’instar de celle qui a prévalu pour les femmes. Fin 2009, le HCR publiait de nouvelles lignes directrices sur les demandes de protection émanant de mineurs, accompagnés ou non (1). L’organisation y préconise tant le rôle actif des enfants dans la procédure et la nécessité de les entendre avec des moyens adaptés, que la prise en compte de leurs motifs de fuite spécifiques. Les enjeux d’une telle attention durant la procédure sont fondamentaux, puisqu’elle déterminera à terme la protection nécessaire à leur situation et le lieu où ils construiront leur avenir.

Dans cette dynamique, plusieurs pays européens ont adapté leur législation migratoire. Ainsi, la législation suédoise prévoit que les enfants soient entendus quel que soit leur âge, dans la mesure où ils disposent des capacités nécessaires à un tel entretien et sont désireux de s’y soumettre. Un document a même été publié par les autorités à leur intention, pour les informer de leurs droits et des différentes étapes de la procédure, ainsi que pour leur permettre d’identifier les autorités auxquelles ils seront confrontés. En Norvège également, la loi prévoit dorénavant l’audition systématique de l’enfant dès l’âge de 7 ans et au cas par cas pour les plus jeunes, qu’il soit accompagné de ses parents ou non. Les actes de persécution spécifiques aux enfants y sont également mentionnés, en tant que motifs d’asile recevables.

Et en Suisse ? Aucune disposition spécifique n’a pour l’heure été envisagée malgré les multiples révisions de la loi sur l’asile. Seule la jurisprudence en matière d’asile a permis une prise en compte, certes limitée et inégalement appliquée, de l’intérêt supérieur de l’enfant dans les décisions. Aux yeux des juges suisses, l’intérêt supérieur de l’enfant peut devenir prépondérant en matière de renvoi lorsque celui-ci serait trop rigoureux en termes de déracinement, eu égard à l’intégration poussée de l’enfant en Suisse. En revanche, aucune décision n’apprécie pour l’heure de manière différenciée les persécutions dont les enfants peuvent être victimes et la protection à laquelle ils pourraient prétendre. Quant au droit d’être entendu des enfants, la loi sur l’asile reste muette. Seule une directive administrative prévoit que les enfants âgés de 14 ans et plus sont entendus par les autorités. Mais ils doivent avoir atteint cet âge à leur arrivée ou au moment où l’audition est planifiée. Une fois cette audition passée, et même si ils sont encore en Suisse dans l’attente d’une décision à leur 14 ans, ils n’auront tout simplement aucun contact avec les personnes entre les mains desquelles leur destin se noue. Ils resteront sans influence sur leur avenir, assimilé à celui des adultes qui les accompagnent ou qui en sont responsables.

Interpellé sur cette question en en 2010, puis en 2012, le Conseil fédéral n’a pour l’instant pas donné suite aux demandes du Parlement, estimant que les garanties nécessaires existent déjà et que le droit d’être entendu de l’enfant est exercé adéquatement par ses représentants avant cet âge.

Marie-Claire Kunz


Note:

(1) HCR, PRINCIPES DIRECTEURS SUR LA PROTECTION INTERNATIONALE: Les demandes d’asile d’enfants dans le cadre de l’article 1A(2)et de l’article 1(F) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, décembre 2009.

La Suisse et la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE)

En ratifiant la Convention relative aux droits de l’Enfant en 1997, la Suisse s’est engagée à en garantir l’application pour toute personne résidant sur son territoire. Le Comité des droits de l’enfant, chargé d’en surveiller la mise en œuvre, devrait passer au crible en janvier 2015 les trois rapports que la Suisse lui a soumis l’an passé – avec passablement de retard. Mais Berne devrait déjà recevoir, ce mois de juin 2014, des questions complémentaires émises dans le cadre d’un pré-examen de la situation.

On peut s’attendre à des questions sur la protection des enfants migrants et demandeurs d’asile, ce point ayant fait l’objet de recommandations spécifiques lors de l’examen de 2002. Le comité avait à l’époque déploré les garanties insuffisantes accordées aux mineurs non accompagnés, ainsi que les limitations du droit au regroupement familial, au détriment de l’intérêt supérieur des enfants. Un rapport alternatif d’ONG suisses, soumis au Comité des droits de l’enfant, revient sur ces questions, sans véritable constat d’amélioration. Il sou- ligne également le manque d’attention porté à la précarité des jeunes demandeurs d’asile et les restrictions dont ils sont victimes en matière d’accès à la formation.

Seule modification réelle depuis lors, la révision de la loi sur l’asile entrée en vigueur en février 2014 prévoit que les demandes d’asile émanant des mineurs non accompagnés soient traitées de manière prioritaire (1). Autre avancée à venir, le Conseil national et après lui le Conseil des Etats ont voté en faveur d’une motion (2) visant à la ratification du troisième protocole facultatif à la CDE. Celui-ci prévoit un mécanisme de plainte individuelle auprès du comité onusien, en faveur des enfants victimes de violations de leur droit. Le Conseil fédéral est maintenant chargé de ratifier le protocole, officiellement entré en vigueur le 14 avril 2014.

Marie-Claire Kunz


Notes:

(1) Nouvel article 17 al. 2bis LAsi

(2) Motion 12.3623 déposée par la Conseillère nationale Amherd Viola le 15 juin 2012.