Éditorial | Dépasser les traumatismes, (re)construire sa vie
« La façon dont nos sociétés accueillent les personnes forcées à migrer est un indicateur des bouleversements sociaux à venir. »
Rescapé des atrocités de la Deuxième Guerre mondiale, le psychiatre Boris Cyrulnik a reconstruit sa vie en cherchant à comprendre ce qui permet à un enfant qui a connu les pires horreurs de renaître de ses traumatismes. Son parcours exceptionnel de « résilient », il le partage avec d’autres, que certains pensaient bons pour la casse et qui s’en sont brillamment sortis. Et il s’en sert pour tenter d’identifier les conditions de cette résilience.
Son expérience résonne singulièrement au moment où la Suisse, comme l’Europe, cherche par tous les moyens à repousser plutôt qu’à remédier. A décourager plutôt qu’à entourer. Le message de Cyrulnik : celles et ceux qui arrivent « fracassés » par les horreurs et les violences ne sont pas « foutus » si l’on veut bien s’occuper d’eux, leur apporter ce lien dont tout être humain a besoin pour se construire, et, ici, se reconstruire.
Les attaches affectives et familiales, l’attention, l’écoute, l’empathie sont des conditions de cette remise en marche, à côté d’un soutien institutionnel. Si l’un et l’autre sont déficients, si l’indifférence s’ajoute à l’abandon, les perspectives de guérison et d’intégration n’iront qu’en s’éloignant.
Cette édition tente d’explorer quelques facettes de ce qui permet de s’extraire de l’emprise des traumatismes pour reprendre pied dans l’existence. La libération de la parole et de la mémoire par le récit, avec le projet Face migration et son film Tout sauf un jeu d’enfant (VE 161, p. 10).
L’accompagnement individuel mené par l’association Reliance et ses tutrices et tuteurs (VE 161,p. 5), qui tentent d’aider les mineur-e-s non accompagné-e-s, à « donner du sens » à ce qu’ils ont vécu et à élaborer un projet de vie, facteur essentiel à la résilience selon Cyrulnik (VE 161, p.2).
Loin d’être de simples emplâtres, les actions de solidarité qui misent sur la proximité et la convivialité révèlent ici leur pertinence et un effet indéniable sur le sentiment de dignité et d’exister de la personne qui en bénéficie.
Mesurer la portée de l’action individuelle et de proximité permet aussi de se prémunir contre un sentiment d’impuissance ou d’angoisse face à la marche du monde et à la montée des populismes. Désarroi face aux votes dits protestataires qui, paradoxalement, portent au pouvoir des personnalités agissant contre l’intérêt du plus grand nombre, la cohésion sociale et le respect des droits de tout-e-s. Symptôme d’une perte de confiance des populations en Europe, aux États-Unis, à l’égard des élites, des médias et des politiques, cette défiance se nourrit de l’individualisme exacerbé, de la perte de lien social et du manque d’emprise sur sa propre existence.
C’est donc dans la restauration de ces liens et des valeurs de solidarité que nous pouvons agir, à la mesure de nos moyens.
Évidemment, l’engagement personnel ne saurait seul assumer la responsabilité d’un accueil propice à la résilience. Aux acteurs politiques, institutionnels et économiques de repenser fondamentalement leurs pratiques. Et de remettre les valeurs que sont la dignité humaine et le respect de tous les individus au centre de leur action.
SOPHIE MALKA