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Notre regard

Audit | Prise en charge des mineurs non accompagnés: un avenir hypothéqué

Encadrement, scolarité, santé, alimentation, projets de vie et professionnels, conditions d’hébergement. La Cour des comptes du canton de Genève a dressé en février 2018 un panorama de la prise en charge des requérants d’asile mineurs non accompagnés (RMNA) [1]. Sa lecture fait souvent froid dans le dos si l’on s’imagine un instant qui sont ces jeunes: des enfants et adolescent-e-s seul-e-s, sans parents, sans ressource. Florilège.

© Valdemar VERISSIMO

Des spécialistes ou militants y verront peut-être des manques. Certains, la non-reconnaissance de leur investissement personnel. D’autres, le soulagement de voir écrit noir sur blanc des aberrations qu’ils dénonçaient depuis longtemps.

Émanant d’un organe de contrôle de la bonne gestion de l’État, ce rapport ne peut être taxé de militant ; il peut servir au-delà du canton de Genève, malgré des lois, pratiques et institutions cantonales disparates; surtout, il s’accompagne de recommandations assorties de délais de mise en œuvre et la perspective d’un suivi, à tout le moins pour se conformer aux obligations légales.

L’audit offre en effet un tableau très complet du cadre légal et de la situation sur le terrain. S’il salue des efforts pour absorber l’arrivée importante de jeunes en 2015 et 2016, il met le doigt sur les graves lacunes de l’État dans leur prise en charge et leurs conséquences sur la vie d’une partie d’entre eux. Des jeunes dont «il est fort probable qu’une majorité […] restera à terme en Suisse».

La dilution de l’autorité parentale

Alors qu’un représentant légal devrait jouer le rôle de parent de substitution, la Cour constate que le Service de protection des mineurs (SPMi), chargé de ce rôle, est sous-doté. Celui-ci laisse de facto d’autres acteurs se charger de tâches découlant de l’autorité parentale, sans en être clairement investis: évaluation des besoins, scolarisation, état de santé, procédure d’asile, recherche de parents, gestion financière.

Le tuteur devrait rencontrer le jeune à son arrivée pour lui expliquer ce qui l’attend, le rassurer, l’accompagner. Mais «la charge de travail du SPMi durant la période 2015- 2017 n’a pas permis d’organiser [le] premier entretien avant plusieurs mois après leur arrivée dans le canton. Ce délai a pu atteindre neuf mois dans certains cas.»

La Cour donne jusqu’au 31 décembre 2018 au Département de l’instruction publique (DIP) pour définir un cahier des charges en matière d’autorité parentale, définir des conventions de délégation de compétences avec les acteurs concernés et réévaluer la charge de travail des représentants légaux du SPMi.

Un foyer de l’Étoile inadapté

Cristallisant les défaillances, le foyer de l’Étoile est un mastodonte en préfabriqué surdimensionné pour la mission à laquelle il a été affecté dans l’urgence de 2015 et l’arrivée non anticipée d’un grand nombre de jeunes exilés isolés. En bordure d’un gros carrefour quasi autoroutier, quelque 150 adolescents de plus de 15 ans y sont logés, quelle que soit leur situation ou leur vulnérabilité. Si les besoins de base ont été assurés -un toit, de quoi se nourrir-, l’idée d’y organiser une vie et des activités sociales collectives pour cultiver les liens et un sentiment d’appartenance y fait défaut, relève la Cour des comptes. Une salle commune accessible uniquement sur demande; comme seul moment collectif, le petit déjeuner; un encadrement largement insuffisant. La Cour appelle à une présence éducative auprès des jeunes, au sein du lieu de vie.

Les jeunes ont «besoin d’être dans un environnement proche d’une cellule «familiale» afin de pouvoir mieux absorber et régler les traumatismes et les troubles psychiques qu’ils ont vécus». Or, ils se retrouvent à gérer un quotidien pour lequel ils ne sont pas préparés et auquel ils devraient être accompagnés par une présence beaucoup plus soutenue [2]. Tant la scolarité que la santé des jeunes, pour lesquelles l’État a un devoir légal de protection, sont fortement perturbées par ces conditions d’hébergement, les manques ou incohérences relevés en matière de suivi médical et scolaire, mais aussi par la procédure d’asile, souligne la Cour.

Très concrètement, un jeune de 15 ans reçoit quelque 400 francs en début de mois, avec lequel il doit subvenir à ses besoins de base (nourriture, vêtements, téléphone, loisirs,…). Il le dépense souvent rapidement par peur de se le faire voler. Personne ne lui apprend à organiser son budget ni ne supervise son alimentation.

De même, «la prise de médicaments n’est pas vérifiée», l’hygiène, les horaires, notamment pour se lever le matin pour aller à l’école ne font l’objet d’aucun suivi… affectant santé et scolarité.

Absence d’une politique générale

Au cœur et à l’origine de ces défaillances de l’État, le constat que «les besoins propres des RMNA n’ont jamais fait l’objet d’une analyse spécifique» et que les départements en charge de ces jeunes n’ont pas une position commune, voire s’opposent sur le statut à leur accorder. Avec d’un côté l’Hospice général, en charge de l’hébergement et l’encadrement, qui défend l’idée qu’un RMNA est «avant tout un migrant […]»; et de l’autre le Département de l’instruction publique et les services de santé qui le considère d’abord comme un enfant, un jeune en devenir. Un problème que soulevait un an plus tôt un groupe de travail de l’État de Genève dans un rapport assorti de recommandations restées lettre morte [3]. Celui-ci insistait pour loger les mineurs isolés dans des foyers à taille humaine «et d’accorder les normes d’encadrement avec celles d’un foyer éducatif» ; alors que l’Hospice général y estime que «ses besoins ne sont pas les mêmes que ceux des jeunes suisses en foyer éducatif»…

La Cour pointe ici l’un des nœuds du problème et charge le Département de l’instruction publique de se concerter d’ici le 1er janvier 2019 avec l’ensemble des «acteurs compétents» pour évaluer les besoins spécifiques de cette population en matière d’hébergement, d’encadrement social et éducatif, de santé, de formation scolaire et d’insertion professionnelle. Sur la base de cette analyse, le Conseil d’État devra prendre position sur le statut à leur accorder – «mineur», «migrant», ou «population spécifique avec besoins spécifiques» – et trancher entre le modèle de l’Hospice général ou celui du Département de l’instruction publique. Les douze recommandations du rapport – portant sur divers aspects de la question – feront l’objet d’un suivi par la Cour des comptes.

À voir maintenant si les travailleurs sociaux, personnel de santé, enseignants, familles-relais, et les acteurs associatifs qui se sont mobilisés pour répondre aux besoins urgents de ces jeunes et ont tissé des liens avec eux, parfois au-delà de leur domaine d’action initial, seront écoutés dans cette phase d’analyse du DIP.

À voir également si l’attention, nécessaire, portée aux RMNA ne se fera pas au détriment des besoins de ceux d’entre eux qui arrivent à leur majorité, une étape souvent synonyme d’abandon et de descente aux enfers.

SOPHIE MALKA

[1] Rapport de février 2018 à consulter sur le site de la Cour des comptes. A noter qu’un rapport de suivi est également publié. Les mises à jour sont consultable sur la page Rapports d’audit et d’évaluation 2018 (voir audit n°136)
[2] L’Hospice général avait jusqu’au 31 juillet 2017 pour accroître la présence d’éducateurs au foyer et développer un projet éducatif institutionnel.
[3] Conseil d’État genevois, Task Force, Troisième rapport concernant les conditions d’existence des mineurs requérants d’asile dans les centres d’accueil, mars 2017

Diverses sources sur la prise en charge des mineurs non accompagnés en Suisse :

Voir également nos éditions de Vivre Ensemble :


RMNA : requérant d’asile mineur non accompagné

Enfant ou adolescent âgé de moins de 18 ans qui se trouve hors de son pays d’origine et n’est accompagné-e ni d’un parent, ni d’un-e représentant-e légal-e ou coutumier-e. En raison de sa minorité et de son isolement, il ou elle a droit à des mesures spéciales de protection durant toute la procédure (par exemple désignation d’une personne de confiance, audition adaptée, conditions d’hébergement et d’encadrement adéquates, etc.) garanties notamment par la Convention des droits de l’enfant.

Vivre Ensemble, Mémo[ts] de l’asile et des migrations, mars 2017