Tendre le micro aux personnes exilées
Chères et chers journalistes,
Dès aujourd’hui, le Comptoir des médias vient à vous avec une newsletter spécifiquement dédiée aux questions du traitement médiatique de la migration. Par ses décryptages thématiques, la valorisation de publications importantes ou l’analyse d’écueils récurrents dans les médias, ce rendez-vous vous permettra d’enrichir votre connaissance et compréhension du domaine de l’asile en Suisse. Nous vous proposerons également des pistes pour un traitement humain, diversifié et factuel des questions d’asile dans vos médias respectifs.
N’hésitez pas à nous faire part de vos impressions. Bonne lecture!
Tendre le micro aux personnes exilées
Une nécessité pour traiter de migration et quelques règles à connaître
Le Comptoir des médias travaille depuis 2013 avec les journalistes pour réduire la propagation de préjugés portant sur le domaine de l’asile. Si le traitement journalistique de la thématique est rendu complexe par un appareil juridico-administratif conséquent, par un débat politique hautement émotionnel, un excellent moyen de rester au plus proche de la réalité est d’interviewer les personnes réfugiées sur les questions qui les concernent. Faire le lien avec la situation des droits humains dans leurs pays d’origine, la situation qu’elles ont fuie, mais aussi restituer les expériences, compétences et parcours de vie de ces individus est une façon de casser les stéréotypes liés au statut et à l’étiquette qu’ils et elles peuvent avoir ici en Suisse.
Bien entendu, tendre le micro aux personnes exilées comporte des risques pour ces personnes et demande ainsi de prendre quelques précautions et de respecter quelques principes éthiques et déontologiques. Nous vous en rappelons ci-dessous les aspects essentiels, dont le détail figure dans notre Mémo[ts] à l’attention des journalistes pour parler d’asile et de migration. Nous tenons également à votre disposition, sur demande, une liste de contacts des personnes de terrain de l’asile pour permettre la rencontre.
Au préalable, nous vous proposons quelques exemples récents parus et diffusés dans les médias romands, et expliquons les raisons de notre choix.
- Nouvo RTS | « Les enfants de l’exil » (Série de trois épisodes, février à mai 2020). Nicolas Gagliardone est allé à la rencontre de plusieurs jeunes migrants non accompagnés. Des parcours de vie chaotiques, des situations bloquées : les jeunes l’expriment par leurs mots et leurs regards. Il y a ces amis d’Ali, jeune afghan qui a mis fin à ces jours en mars 2019, qui demandent humblement qu’il n’y ait plus d’autres suicides. Ces voix gagnent à être entendues par celles et ceux qui sont apeurés de croiser ces jeunes hommes dans nos rues, tout simplement parce qu’ils-elles n’ont jamais eu l’occasion de les rencontrer.
- Le Nouvelliste | « La Turquie n’obtient pas l’adresse valaisanne d’une journaliste kurde » (02.06.2020). Gilles Berreau a convié au sein de la rédaction une femme d’origine kurde de Turquie dont le recours vient d’être admis par le Tribunal administratif fédéral. Décision : l’État du Valais ne doit pas transmettre son adresse valaisanne aux autorités turques qui avaient formulé une demande d’entraide judiciaire à la Suisse. L’article fait découvrir la voix d’une femme, journaliste dans son pays, qui explique que son activité professionnelle a eu pour conséquence son exil. Ce portrait d’une femme formée, entreprenante permet d’offrir un visage alternatif à l’image des femmes réfugiées, souvent présentées comme victimes et peu qualifiées.
- La Télé | « L’isolement des requérants d’asile face au coronavirus » (03.04.2020). Noémie Desarzens a interviewé des personnes requérantes d’asile logeant dans des centres fribourgeois pour donner à entendre leur réalité. Exposées à l’isolement et à des conditions de vie permettant difficilement de suivre les mesures de protection contre la pandémie, leur parole est essentielle pour décrire un cadre de vie et des lieux difficiles d’accès aux quidams.
Ces reportages mettent l’accent sur les réalités méconnues des personnes relevant de l’asile en Suisse. En donnant la parole aux personnes exilées, ces journalistes permettent également à leur public de développer un sentiment d’empathie voire d’identification envers des parcours de vie régulièrement proches de nos réalités. Ne pas restreindre l’actualité de l’asile à des chiffres, des modifications législatives ou des campagnes politiques permet de donner un visage plus humain aux personnes concernées.
Interviewer des personnes réfugiées requiert de prendre certaines précautions
Lors de leur fuite ou sur la route de l’exil, les personnes réfugiées se sont souvent retrouvées dans des situations de persécutions et de maltraitance qui continue d’avoir un impact sur leur vie. La précarité statutaire de leur séjour en Suisse amène également des sentiments d’angoisse qui pourraient resurgir lors d’une prise de parole. Il appartient dès lors au/à la journaliste de trouver le bon équilibre entre la recherche d’informations et le respect de l’intimité de la personne.
De plus, l’exposition d’une personne réfugiée ou requérante d’asile dans la presse et sur les réseaux sociaux, y compris dans les médias locaux, peut signifier pour la personne concernée des risques: de mettre en danger la famille restée au pays; de s’exposer à des menaces ou à des attaques par des sympathisant·e·s voire par des agent·e·s du régime en Suisse; ou de porter préjudice à sa procédure d’asile ou à sa situation personnelle en Suisse.
Une déclaration publique peut avoir des conséquences importantes pour les personnes interviewées, et celles-ci n’en mesurent pas toujours l’impact.
C’est pourquoi il est primordial, pour le journaliste de :s’assurer que les personnes prêtes à témoigner, ou à être prises en photo, sont conscientes des risques liés à leur médiatisation
- respecter le désir d’anonymat et s’assurer que l’identité des réfugié·e·a désireux·ses de s’exprimer de manière anonyme ne soit pas reconnaissable (flouter les visages et les voix)
- vérifier que toutes les personnes identifiables sur une photo ou une vidéo ont donné leur accord
- être au fait de la situation prévalant dans les pays d’origine (État de droit, pluralisme, respect des droits humains, conflits internes, infrastructures de santé, contexte économique, etc.).
En savoir plus, consultez les pages dédiées dans notre glossaire.
Liste de contacts pour les journalistes
Le Comptoir des médias tient à votre disposition une liste de professionnels de terrain, par canton, régulièrement mise à jour. Disposés à répondre aux médias, ils peuvent favoriser une rencontre avec des personnes exilées dans un cadre propice à un échange serein et constructif. Contactez-nous.
Exilia, la chaîne Youtube qui donne la parole aux personnes exilées
En partenariat avec Vivre Ensemble, depuis le début de l’année 2020 « Exilia, Voix d’asile » diffuse des témoignages de personnes réfugiées en Suisse à travers de vidéos ou des podcasts. Une démarche innovante à découvrir et faire connaître.