Statistiques de l’asile. Attention à la surenchère
Chères et chers journalistes,
Le Comptoir des médias revient à vous avec une newsletter spécifiquement dédiée au traitement médiatique des chiffres de l’asile. Les communications régulières des autorités ne doivent pas faire oublier que les chiffres sont à prendre avec des pincettes et nécessitent une mise en contexte pour être correctement appréhendés par le grand public. Nous vous proposons ci-dessous une série de ressources utiles pour décrypter ces chiffres et les contextualiser. N’hésitez pas à partager avec nous vos questions ou éventuelles difficultés dans ce domaine.
Bonne lecture!
Giada de Coulon, responsable du Comptoir des médias
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Les statistiques de l’asile. Attention à la surenchère
Le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) communique régulièrement autour des données statistiques de l’asile et des étrangers, via son service de statistiques interne (indépendant de l’Office fédéral de la statistique). Certaines données sont publiées et font l’objet d’un communiqué de presse une fois par mois. Tel est particulièrement le cas du nombre de demandes d’asile. Régulièrement reprises par les médias, ces informations nourrissent les représentations que les particuliers se font des requérant.e.s d’asile. Or, ces nombres effraient autant qu’ils interrogent lorsqu’ils sont détachés d’un contexte historique, législatif et humain. L’exemple d’un traitement médiatique concernant les arrivées du mois de juillet 2020 nous (r)appelle à la vigilance.
Baisse importante des demandes d’asile
La représentation graphique de l’évolution des demandes d’asile sur ces vingt dernières années montre que les demandes d’asile fluctuent grandement, selon les foyers de tensions dans le monde principalement.
Elle permet également de visualiser qu’en 2019 les demandes d’asile en Suisse « n’avaient jamais été aussi basses depuis 12 ans » (Le Matin, Les demandes d’asile ont fortement baissé en Suisse. 31.01.2020).
Ce constat s’est accentué lors de la phase aiguë de pandémie qui s’est étendue en Europe au printemps, qui a engendré la fermeture des frontières européennes et a empêché les personnes en quête de protection de se déplacer:
« Au deuxième trimestre 2020, les flux migratoires internes en Europe ont fortement diminué en raison des mesures prises pour lutter contre le coronavirus, telles que les contrôles aux frontières ou l’interdiction de voyager à l’intérieur de certains pays. De début avril à fin juin, la Suisse a enregistré 1314 demandes d’asile, soit une baisse de presque 60 % par rapport à la même période de 2019. » (SEM, Asile statistique du 2ème trimestre, 10.08.2020)
Une information qui laisse présager un nombre total de demandes d’asile en 2020 encore en baisse par rapport à 2018 et 2019.
« Les demandes d’asile ont presque doublé en juillet »
Pourtant, quelques jours après cette information et suite au communiqué mensuel du SEM, des articles de quotidiens romands titraient : « Les demandes d’asile ont presque doublé en juillet », faisant apparaître en filigrane la peur de l’invasion.
Celles-ci passant de 606 à 1055, cette affirmation était véridique. Néanmoins, vu que le nombre de demandes déposées en juin 2020 était lui-même presque réduit de moitié par rapport à juin 2019 et qu’il y a toujours -dû à une tendance saisonnière- une augmentation de départs à la belle saison, le doublement était pour ainsi dire attendu.
Le communiqué du SEM accompagnant ces chiffres montrait d’ailleurs que l’augmentation entre les deux mois successifs pouvait-être explicitée de manière très pragmatique
« Une augmentation due principalement à la levée progressive des restrictions aux frontières, introduites au printemps pour prévenir la propagation du coronavirus. Le nombre de demandes est en baisse de 19,5 % (-256 demandes) par rapport à juillet 2019. » (SEM, Asile : statistique du mois de juillet 2020, 20.08.2020). Titrer sur le « doublement » du nombre de demandes d’asile transmet donc une information trompeuse, dans la mesure où cela ne permet pas au public d’apprécier correctement la situation.
Communiquer sur des nombres, rester vigilant
Les registres statistiques sont des outils de communication puissant. Publier chaque mois combien de personnes ont déposé une demande d’asile en Suisse est un choix et a un impact sur l’opinion publique. La reprise régulière par certains médias de cette information en a sûrement encore davantage.
Aux nombres s’ajoutent les mots : l’utilisation récurrente par les médias de termes pour qualifier la venue de personnes requérant l’asile en Suisse, tels que: « vague, afflux, arrivée massive, etc. » n’est pas anodin. Elle vient renforcer l’idée reçue qu’un nombre démesuré de personnes demande une protection à la Suisse. Brandir des étendards effrayants ne permet pas qu’un débat serein sur l’accueil puisse avoir lieu au sein d’une population informée. Il est dès lors important d’offrir une mise en perspective régulière des chiffres pour que ceux-ci redeviennent ce qu’ils sont : des sources d’information.
Pour toutes ces raisons, nous avons à cœur de proposer aux journalistes des outils pour relayer l’information à partir des statistiques officielles de manière concise, claire et contextualisée.
