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Notre regard

Nigéria | Le Biafra, un conflit ignoré

D’après l’organisation de prévention des conflits Crisis Group, le Nigéria est traversé par de multiples problèmes sécuritaires. L’insurrection islamiste Boko Haram dans le nord-est, qui a déplacé plus de deux millions de personnes et créé une crise humanitaire massive ; le mécontentement et le militantisme de longue date des peuples Ogonis et Ijaw contre l’exploitation pétrolifère dans le delta du Niger, violemment réprimés ; la violence croissante entre éleveurs et communautés agricoles qui s’étend de la ceinture centrale vers le sud; et l’agitation séparatiste du Biafra dans le sud-est des Igbo. S’ajoutent les violences liées au genre et des brutalités policières systémiques. En octobre 2020, derrière le hashtag # ENDSARS, de grandes manifestations contre l’impunité d’une unité spéciale de la police ont été réprimées dans le sang. De 2009 à 2019 (statistiques du Secrétariat d’État aux migrations), 14 970 ressortissant·e·s du Nigéria ont demandé l’asile en Suisse. Seules 18 personnes d’entre elles ont obtenu un permis B réfugié. ( Voir: Le Nigéria et la Suisse | Reconnaissance des motifs d’asile: un fait objectif ou politique? )

Comme de nombreux pays africains, les frontières nationales du « Niger eria » traduit littéralement par « territoires Nègres », ont été artificiellement dessinées et baptisées par les colons anglais. Ces derniers ne sont évidemment pas arrivés sur des terres vierges d’histoire, de religions et de réalités ethniques. Le pays du Biafra, habité par le peuple Igbo, recouvrait, avant la colonisation, la région du Sud-est et du Sud-ouest camerounais. En janvier 1966, six ans après l’indépendance du pays, un coup d’État mené par différents groupes militaires installe au pouvoir le général Johnson Aguiyi-Ironsi, d’origine Igbo. Le fait que le pouvoir soit entre les mains de cette ethnie attise dans tout le pays des discours racistes et de haine. Le 29 juillet 1966, un second coup d’État est mené par des militaires du nord du Nigéria. Celui-ci est extrêmement violent : 240 militaires (dont le général Ironsi), pour la plupart Igbos, sont assassinés. Une extermination physique des Igbos et des populations originaires du Sud vivant au Nord est alors programmée. « Les médias nationaux et internationaux ont une responsabilité dans le déferlement de violence : les élites du Nord créent de toutes pièces de fausses informations, exagérant les attaques menées contre les populations du Nord dans l’Est, pour les diffuser sur Radio Cotonou et par le biais du service Hausa de la BBC, dans le but d’exciter la haine. Selon la presse britannique, ce sont près de 30 000 Igbos qui ont été exterminés en septembre 1966. Ces exterminations mènent à la guerre civile. »[1]

Le monde connaît le nom de cette région à cause de la « guerre du Biafra » (1967 – 1970) et la famine provoquée par le blocus instauré par Lagos qui fera entre 600000 et un million de morts parmi les civils. Suite à ce désastre humain et à la défaite des Biafrais, des mouvements séparatistes se créent. Parmi eux se dégagent deux groupes principaux: le MASSOB créé en 1990 puis l’IPOB (Peuple indigène du Biafra) en 2012.À mesure que l’IPOB, qui prône un changement non violent, prend de l’ampleur au Nigéria et en diaspora, ses membres hiérarchiques ou sympathisants deviennent des cibles du gouvernement. La marche pacifique du 30 mai 2016 dans le cadre de la commémoration du Biafra à Onitsha fait partie des quelques exactions majeures commises contre eux par les autorités. La police nigériane a encerclé et tiré à l’aveugle sur les marcheurs, tuant et blessant des centaines de personnes. Dans son enquête sur la fusillade, Amnesty International déclare: « On ignore combien de personnes exactement ont été tuées, en partie parce que l’armée nigériane a emmené les blessés et les corps des tués. » Le rapport du gouvernement britannique, qui compile les informations sur les risques encourus par les ressortissants nigérians, documente une stratégie de répression qui se durcit. Il cite en exemple l’opération Python Dance lancée en 2017 : ciblant toutes les personnes membres ou suspectées d’être membres d’une organisation biafraise, elle a provoqué une escalade des violences, tuant des centaines de sympathisants d’IPOB. Le gouvernement tente d’arrêter leur leader, Nnamdi Kanu, qui a dû fuir le pays et vit désormais en exil, puis qualifie l’IPOB d’organisation terroriste. Conséquence: l’ensemble des activités du mouvement sont déclarées illégales ; même la possession de matériel de l’IPOB peut entraîner des arrestations et des poursuites, explique le Bureau d’appui européen en matière d’asile (EASO) dans un rapport. L’accusation de trahison portée contre plusieurs membres engendre un risque de peine de mort au Nigéria. Fin 2019, la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires relevait avoir reçu de nombreux témoignages d’assassinats, de violences et de disparitions, commises par les forces militaires depuis 2015, et n’avoir reçu aucune réponse satisfaisante du gouvernement. Le reste du pays étant tout sauf un refuge pour eux, de nombreux sympathisants et leurs familles persécutées se retrouvent sur les routes de l’exil. En Suisse, elles peinent à faire reconnaître leurs motifs de persécution.

ÉLISE SHUBS

[1] Charles Abbott, Douglas A. Anthony, « Poison and Medicine: Ethnicity, Power, and Violence in a Nigerian City, 1966-86 », The International Journal of African Historical Studies, vol. 36 no 1, p. 133, 2003, doi:10.2307/3559324

Carte des territoires revendiqués par la république du Biafra. Eric Gaba

DONNEES SOCIO-DEMOGRAPHIQUES

République fédérale du Nigéria
Capitale : Abuja
Population : 214 millions d’habitants, pays le plus peuplé d’Afrique, compte 250 éthnies
Surface : 923 768 km2
Langues officielles : anglais, yoruba, ibo, hausa
Religions : islam, christianisme, croyances autochtones

SOURCES CITÉES