Éditorial | «Ne jamais capituler!»
Sophie Malka
On peut être découragé·e par des schémas qui se répètent sans cesse, une misère humaine exploitée, des politiques migratoires arcboutées sur leurs principes sécuritaires. La crise politique entre la Pologne et la Biélorussie dans laquelle des êtres humains de tous âges sont pris au piège, la prise de Kaboul par les talibans, les décès en Méditerranée, dans la Manche: l’actualité ne laisse que peu de répit et donne souvent envie d’éteindre nos écrans et de se ruer vers autre chose, n’importe quoi, plus humain, optimiste, joyeux, lumineux. Vers la vie plutôt que la noirceur. Vers la joie plutôt que ce sentiment d’impuissance et de honte qui nous étreint, nous qui vivons du bon côté de la frontière.
Ce besoin de légèreté est salutaire et humain. Comme une profonde respiration, s’y adonner par moments préserve de l’habitude, de la résignation, de la banalisation. Et permet de rester mobilisé·e dans la durée, de ne pas céder au découragement devant un système politique qui semble figé, tout puissant et incapable de se réinventer.
On ne niera pas que dans l’asile, les nouvelles sont rarement réjouissantes. Mais il y a des victoires, des vies changées, des lignes qui bougent, comme vous le lirez au fil de cette édition. Et si elles bougent, c’est grâce à l’engagement d’associations et d’individus pour la défense des droits fondamentaux.
Ainsi du travail du Centre suisse pour la défense des migrant·es (CSDM), dont les longues procédures auprès des organes supranationaux finissent par payer (notre analyse p. 2). La récente condamnation de la Suisse par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU aidera les défenseurs et défenseuses juridiques dans leurs recours contre des renvois iniques.
De même, l’audit du juge Oberholzer sur les violences dans les centres fédéraux n’aurait pas été réalisé sans la pression répétée de la société civile 1. Le Secrétariat d’État aux migrations a tout fait pour écarter les regards extérieurs et disqualifier les critiques des associations. Celles-ci ont tenu bon. Malgré ses limites, ce rapport reconnaît (enfin !) que la violence est induite par le système, en particulier par l’externalisation de tâches étatiques en matière de sécurité (nos décryptage et analyse p. 8 et 10).
Ces avancées sont là pour témoigner que l’engagement, sous toutes ses formes, a un impact. Qu’il est essentiel d’exprimer son désaccord, de ne pas laisser le terrain au discours de la peur, du tout sécuritaire. De dire qu’il n’est pas concevable de vivre dans un système d’asile qui écrase au lieu de protéger. Vous pouvez le faire en signant le référendum sur Frontex (notre dossier p. 12) et la pétition féministe lancée à l’échelle européenne (p. 20). C’est en alliant nos compétences que nous réussissons à faire avancer les choses. À notre échelle, nous essayons de montrer que chaque voix compte, de faire le lien entre les actrices et acteurs de l’asile, d’apporter au débat un peu de hauteur.
Lors de notre assemblée générale, une lectrice, habitante d’une petite commune zurichoise, a relevé l’importance de nos dessins de couverture. Elle disait combien le trait humoristique l’aidait à prendre de la distance, à rester engagée malgré le sentiment d’être bien seule à se battre pour améliorer le sort des personnes qu’elle accompagne. Le théologien Pierre Bühler soulignait aussi dans nos colonnes combien l’humour pouvait prendre les contours d’« une force spirituelle de résistance». Il concluait par un vivifiant : «Surtout, ne jamais capituler !» 2
1 Il faut citer ici le rôle de Droit de rester, Amnesty, Solidarités sans frontières, 3RosengegenGrenzen, Bleiberecht, Solidarité Tattes, la plateforme pour la société civile dans les centres fédéraux, Exilia et bien d’autres.
2 Pierre Bühler, Asile et humour, VE 157, avril 2016. À relire sans modération !
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