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Croix-Rouge Suisse | Visas humanitaires: obstacles majeurs et critères restrictifs

La Croix-Rouge suisse avait annoncé, en fin d’année dernière, la suspension de son service de conseil en matière de visas humanitaires en raison des refus quasi systématiques du SEM. Elle affirmait en effet ne plus vouloir « donner de faux espoirs » à ses bénéficiaires[1]« Sept ans de conseil en matière de visa humanitaire: Conclusions et recommandations » Croix-Rouge Suisse, décembre 2021. Le 11 avril, l’organisation a publié son bilan d’activités de l’année 2021 concernant les visas humanitaires, que nous relayons ci-dessous. Celui-ci démontre que le durcissement des critères exigés par le SEM, cumulé aux obstacles pratiques au dépôt d’une demande (notamment l’accès à une ambassade), a de fait rendu caduque cet outil de protection.

Crédit photo : Sean McEntee, flickr

L‘article original a été publié sur le site de la Croix-Rouge le  11 avril 2022

Visas humanitaires: obstacles majeurs et critères restrictifs

Croix-Rouge Suisse, 11 avril 2022

En 2021, nous avons été submergés par les demandes de soutien. Au total, nous avons reçu plus de 4’800 demandes. Près de 4’100 portaient sur l’obtention d’un visa humanitaire et les quelque 300 autres sur les moyens de se rendre en Suisse ou le regroupement familial.

A la mi-août au plus tard, le service Migration était complètement débordé, notamment en raison des demandes de personnes originaires d’Afghanistan. Pourtant, le nombre de visas délivrés par le Secrétariat d’Etat aux migrations est infime par rapport au nombre de demandes reçues par le SEM et la CRS.

L’obtention d’un visa humanitaire se heurte à de multiples obstacles que l’on peut classer en deux catégories: les difficultés d’ordre pratique d’une part et les critères très restrictifs du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) de l’autre.

Visas humanitaires: l’année 2021 en chiffres

Plus de 4’000 demandes nous sont parvenues entre août et décembre 2021. Un peu plus de 3’400 d’entre elles concernaient des personnes originaires d’Afghanistan.

En 2021, le SEM a octroyé moins d’une centaine de visas humanitaires (94 pour être précis), dont 37 à des ressortissantes et ressortissants afghans et ce, bien qu’il ait reçu 10 000 demandes concernant l’Afghanistan.

Sur cette période, nous avons déposé auprès du SEM des demandes de préavis pour 84 personnes – 73 d’entre elles ont ensuite reçu une réponse négative. Pour les onze autres, le SEM considérait que le cas méritait d’être examiné. Par la suite, l’une de ces personnes (une Afghane mineure non accompagnée) a pourtant vu sa demande rejetée à Islamabad. Nous avons alors déposé une opposition et un visa lui a finalement été accordé. Nous organisons actuellement son arrivée en Suisse. Cependant, aucune demande de préavis n’a reçu de réponse clairement positive.

Difficultés d’ordre pratique

Le cas de l’Afghanistan a montré que, malgré un soutien professionnel, les visas humanitaires sont très rarement octroyés en Suisse. Sur 4100 demandes d’assistance adressées à la CRS, seules six ont débouché sur la délivrance d’un visa en 2021.

Sortir du pays, une entreprise quasiment impossible

Les demandes de visa humanitaire doivent être déposées en personne auprès d’une représentation suisse. Mais à l’heure actuelle, il n’en existe plus en Afghanistan et il est très difficile de sortir du pays légalement. Les possibilités sont limitées et nombre de personnes n’ont pas en leur possession les documents d’identité nécessaires.

Des preuves pour la plupart détruites

La présentation de «preuves» constitue une difficulté supplémentaire. La charge de la preuve incombe entièrement à la personne qui demande un visa humanitaire. Pour prouver l’existence d’une menace concrète et sérieuse, il convient de fournir plusieurs documents. Or il arrive que les personnes n’en dispose plus, soit parce que ces papiers ont été détruits lorsque les talibans ont incendié la maison familiale, soit parce qu’eux-mêmes les ont fait disparaître en espérant se protéger, notamment lorsque leur contenu attestait une collaboration avec les Etats-Unis ou l’ancien gouvernement.

Et même lorsqu’une personne est en mesure de présenter de nombreux documents prouvant par exemple qu’elle a travaillé pour le régime précédent ou qu’elle est menacée par les talibans, elle n’a pas l’assurance d’obtenir un visa. Les lettres de menace des talibans – facilement falsifiables, puisque manuscrites – ne sont notamment pas reconnues comme preuve.

Critères restrictifs

Il est quasiment impossible de satisfaire aux critères d’octroi de visa humanitaire, qui ont encore été durcis ces dernières années. Dans la pratique, nous avons vu des cas être rejetés en 2021, alors qu’ils avaient donné lieu à un préavis positif auparavant.

Les propos qui suivent illustrent bien le désespoir d’une femme résidant en Suisse et dont la sœur a reçu un préavis négatif. Au téléphone avec notre Service de conseil en matière de visas humanitaires, elle s’exclamait: «Mais pourquoi appeler ça un visa humanitaire, alors? C’est évidemment une urgence humanitaire: ma sœur va mourir!»

Ce que nous faisons

Lobbying et plaidoyer

Nous nous engageons pour que le dispositif du visa humanitaire soit utilisé dans les faits. Il revêt une fonction cruciale, qui est de garantir aux personnes menacées l’accès à une protection internationale.

Dans un communiqué aux médias publié mi-août, nous avons demandé publiquement des solutions rapides pour protéger les personnes vulnérables en Afghanistan. Nous entretenons un dialogue avec les services compétents du SEM et avec le monde politique.

Informations concernant le visa humanitaire

En Suisse, de nombreuses personnes craignent pour la vie des membres de leur famille et de leurs amis résidant en Afghanistan. Nous leur fournissons des informations sur les démarches préalables au dépôt d’une demande de visa.

Vu le faible nombre de réponses positives délivrées, nous avons décidé de suspendre l’activité de notre Service de conseil en matière de visas humanitaires fin 2021. Actuellement, nous préparons la réorientation de notre action en recrutant des collaboratrices et collaborateurs ainsi qu’en recentrant nos ressources sur le regroupement familial.

Service de conseil en matière de visas humanitaires en 2021

3’600fiches informatives envoyées
Nous avons transmis près de 3’600 fois les informations complètes sur le visa humanitaire.
84demandes de préavis
Nous avons soumis 84 demandes de préavis au SEM – 73 se sont soldées par une réponse négative.
530consultations approfondies
Nous avons étroitement soutenu plus de 530 personnes dans leur démarche pour l’obtention de visa humanitaire.

Les voix du Service de conseil en matière de visas humanitaires

Les téléphones du Service de conseil en matière de visas humanitaires n’ont pas arrêté de sonner entre la mi-août et la fin décembre 2021. Et même si du personnel supplémentaire a été engagé et formé, la charge de travail demeure très importante. Le plus difficile, ce ne sont pas les heures supplémentaires, mais les récits des personnes qui appellent et le sentiment d’impuissance qu’ils font naître.

Le plus terrible, ce n’est pas la charge de travail, mais le stress émotionnel. Lire tant de récits de persécutions sans espérer pouvoir aider entraîne cynisme, détachement, démotivation et épuisement. Ce qui continue de nous faire avancer, c’est l’esprit de cohésion et d’entraide qui anime les membres de notre équipe.

Une collaboratrice du Service de conseil

Les Afghans et Afghanes qui séjournent déjà en Suisse souffrent beaucoup du manque de perspectives offertes à leurs proches: le stress subi par ces personnes est énorme, c’est leur santé psychique qui est en péril. Il est certain que cela pèsera sur leur intégration si la situation n’évolue pas.

Un collaborateur du Service de conseil

Toutes les situations sont urgentes et dramatiques. Il est difficile de fixer des priorités.

Une collaboratrice du Service de conseil

Possibilités autres que le visa humanitaire

Programmes de réinstallation et regroupement familial

Il existe deux autres voies légales d’entrée en Suisse: les programmes de réinstallation et le regroupement familial. Ces dispositifs sont eux aussi appliqués de façon limitée et très restrictive. Les contingents de réinstallation sont, pour leur part, avant tout destinés à des personnes enregistrées depuis longtemps comme réfugiées dans un Etat tiers. Dans le cadre du programme 2020/2021, la Suisse avait décidé d’accueillir jusqu’à 2000 réfugiés. Dans les faits, elle n’en avait pourtant réinstallé que 1380 en décembre 2021. Nous plaidons pour que ce contingent soit augmenté en Suisse comme dans d’autres Etats et que les places prévues soient effectivement attribuées. Les besoins sont importants, comme le montrent notamment le nombre de demandes d’asile et l’ampleur des mouvements de population irréguliers.

Autres organisations qui soutiennent les personnes en danger

Notes