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Préjugés

NCCR | Les fausses représentations orientent la politique migratoire et sapent la démocratie

Les fausses croyances liées à l’immigration et à la présence des étrangères et étrangers sont profondément enracinées chez de nombreuses personnes, expliquent deux chercheurs dans un article du blog NCCR-on the move. Fondées sur la crainte de menaces émanant de groupes extérieurs, ces représentations éronnées sont souvent difficiles à corriger car les personnes sont réticentes à accepter des informations contradictoires. Cela exacerbe la polarisation, sape les principes du discours pluraliste et constitue une menace sérieuse pour la démocratie. Comment lutter contre ces préjugés? Les auteurs avancent qu’à côté du fact-checking, un travail de lobbying doit être mené pour contrer les discours politiques exacerbant et jouant sur les stéréotypes, une politique véritablement inclusive doit être menée par les pouvoirs publics et les lieux de rencontre doivent être privilégiés.

Nous avons librement traduit cet article paru sur le site du NCCR-on the move le 12 juillet 2022 sous le titre « Misperceptions Drive Immigration Politics and Undermine Democracy« 

Signataires de l’article: Marco Bitschnau et Philipp Lutz, auteur de Misperceptions about Immigration: Reviewing Their Nature, Motivations and DeterminantsCambridge University Press:  02 May 2022

NCCR | Les fausses représentations orientent la politique migratoire et sapent la démocratie

De nombreuses personnes ont une représentation erronée de l’immigration. Elles en décrivent la nature, les effets et la gestion de manière excessivement sombre. Fondées sur la crainte de menaces émanant de groupes extérieurs, ces fausses croyances sont profondément enracinées et souvent difficiles à corriger car les personnes sont réticentes à accepter des informations contradictoires. Cela exacerbe la polarisation, sape les principes délibératifs du discours pluraliste et constitue une menace sérieuse pour la démocratie.

Photo prétexte by little plant on Unsplash

En politique, les perceptions sont primordiales. Les croyances sont plus pertinentes que les faits, l’imagination triomphe sur la réalité et l’apparence prime sur la réalité… Tout cela se manifeste de diverses manières sur la scène politique. Pourtant, dans certains cas – plus souvent qu’on ne le croit – ces perceptions sont incompatibles avec les données disponibles. Dans ces cas, on parle plutôt de perceptions erronées que de perceptions.

Les perceptions erronées sont la norme en matière de migration 

L’immigration se prête particulièrement bien à de tels préjugés. Notre article de synthèse montre à quel point les gens nourrissent un large spectre de croyances inexactes sur différents aspects de cette problématique.

Ainsi de la surestimation de la proportion d’immigrants dans leur quartier et leur pays. Ou des suppositions erronées sur la religion ou le niveau d’éducation des immigrés: les gens croient à tort que les immigrés pèsent lourdement sur l’aide sociale. Certaines personnes se laissent même séduire par des théories du complot, comme l’idée d’un remplacement intentionnel de la population européenne par des immigrants d’Afrique et du Moyen-Orient.

Ces thèses, ainsi que d’autres stéréotypes touchant à la question migratoire, se retrouvent sur tous les continents et dans tous les segments de la population. Toutefois, elles sont généralement moins répandues parmi les personnes à l’esprit libéral et très instruites. Leur caractéristique la plus remarquable est peut-être qu’elles comportent un biais négatif fort et constant. Les gens voient l’immigration sous un jour plus négatif (et ses implications comme plus désavantageuses) que ce que les faits suggèrent.

Comment le sentiment de peur alimente les représentations erronées

Il est clair que ce biais n’est pas le résultat de variations aléatoires (auxquelles on peut s’attendre de la part de citoyens non informés) mais qu’il est orienté. Mais d’où naît-il exactement ? Selon la littérature sur les comportements, la réaction standard d’un groupe autochtone à la présence d’un groupe étranger (immigré) est de se sentir menacé. Par conséquent, les autochtones qui en font l’expérience sont incités à protéger leur identité de groupe, à défendre leurs intérêts économiques et à éviter les risques potentiels pour la sécurité.

Les préoccupations des populations autochtones quant à un supposé non-respect des normes majoritaires par les immigrants, à la perte d’emplois et aux activités criminelles les amènent à se focaliser exclusivement sur les messages négatifs diffusés sur la migration. Les perceptions erronées émanant de ce rejet profondément enraciné, elles sont notoirement difficiles à corriger. Souvent, les gens s’accrochent à leurs perceptions erronées même après avoir été exposés aux faits ; leurs préjugés profondément ancrés les rendent réfractaires à toute nouvelle information.

Les fausses représentations en matière de migration sont nocives pour la démocratie

Ce constat n’aurait qu’une importance limitée si les perceptions erronées n’étaient qu’une particularité psychologique parmi d’autres. Mais elles sont également problématiques d’un point de vue démocratique. Les idées reçues déforment nos croyances et nous empêchent de traiter les informations factuelles avec précision (ce qui est crucial pour le débat démocratique). Elles exacerbent donc la polarisation et nuisent aux efforts visant à trouver un terrain d’entente au-delà des clivages politiques. Il est difficile de s’entendre sur une solution si l’on ne peut s’entendre sur la nature et l’étendue du problème. Et il est encore plus difficile de s’entendre sur une solution, si une partie importante de la population a des opinions déconnectées de la réalité.

En outre, le biais négatif des perceptions erronées de l’immigration façonne également les réponses sociales et politiques à cette question. Dans le pire des cas, cela peut conduire à davantage de discrimination et porter atteinte de manière évitable aux populations immigrées et à leurs communautés. De nombreux préjugés donnent également lieu à des politiques inefficaces qui alimentent un dangereux climat de crise et de perte de contrôle.

Alors, que peut-on faire pour relever ce défi ? Comment pouvons-nous combattre les préjugés ?

Ce que les démocraties peuvent faire

Malheureusement, la réponse est loin d’être évidente. Bien que la vérification des faits et la destruction des mythes restent les contre-stratégies les plus courantes, leur succès est plutôt limité, du moins dans les cas où les décideurs politiques n’ont pas pris en compte la motivation sous-jacente des perceptions déformées (c’est-à-dire la crainte subjective de l’immigration). Au lieu de s’appuyer sur de telles stratégies, il peut s’avérer plus fructueux de promouvoir des discours qui atténuent les différences perçues entre la population autochtone et les immigrants, de mettre en œuvre des politiques qui favorisent les contacts entre les groupes et de défendre l’inclusion des personnes migrantes dans la société.

Nous devons toutefois nous garder d’être trop confiants. Il n’existe pas de panacée capable de faire disparaître du jour au lendemain les perceptions erronées au sujet de la migration. Parce qu’elles sont le reflet de peurs et d’anxiétés profondément ancrées, elles resteront probablement un élément central de la politique migratoire dans un avenir proche.

Ce billet de blog a été adapté d’un article de  » the Loop  » publié le 29 juin 2022 par le NCCR -on the move. 

Marco Bitschnau est doctorant à l’Université de Neuchâtel et fellow du nccr – on the move, où il travaille sur le projet Mobility, Diversity, and the Democratic Welfare State : Contested Solidarity in Historical and Political Comparative Perspective.

Philipp Lutz est professeur assistant à la Vrije Universiteit Amsterdam et chercheur contribuant au projet du nccr – on the move Migration Governance through Trade Mobilities.