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Le Courrier | Sunil reçoit finalement un permis d’établissement

Sunil, qui se bat depuis 10 ans pour que sa cause soit entendue par les autorités suisses, a finalement reçu un permis d’établissement valable un an et reconductible à condition de parfaire son français. Le Courrier, dont nous diffusons l’article ci-dessous, est allé à sa rencontre. Effaçant derrière lui la crainte d’un renvoi au Bangladesh où sa vie aurait été gravement menacée, la décision du SEM laisse place au soulagement. Cette heureuse nouvelle met cependant aussi en lumière les violences administratives que subissent les personnes objectivement en danger dans leur pays. En effet, il a notamment été placé en détention administrative à Frambois malgré un dossier exemplaire.

Cet article a été reproduit grâce à l’aimable autorisation du quotidien Le Courrier. L’accès à cet article ne doit pas faire oublier que l’information a un coût et ce sont les abonné-e-s au Courrier qui garantissent son indépendance. L’article peut être consulté sur leur site internet

Genève, le 17.10.2022M. SunnilLe Courrier / J.-P. Di Silvestro

Épilogue heureux pour Sunil

Le Secrétariat d’Etat aux migrations a octroyé un permis de résidence au ressortissant bangladais dont l’histoire avait ému Genève ce printemps. Le début d’une nouvelle vie.

C’est un parcours du combattant qui finit bien. Après dix ans passés à Genève, entre demande d’asile et crainte du renvoi, Sunil, un ressortissant bangladais dont la situation avait ému l’opinion publique en juin dernier, a obtenu mi-octobre un permis d’établissement. Un précieux sésame délivré par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) après un dédale juridique fastidieux. 

L’ombre du renvoi de Sunil s’éloigne définitivement à la faveur d’un permis B valable un an et reconductible, pour peu qu’il fasse la preuve d’ici là d’une amélioration de son niveau de français. C’est un homme soulagé et reconnaissant que Le Courrier a rencontré.

Tirer un trait sur l’angoisse

«Je suis plein de gratitude envers les communautés suisse et bengali, le Parti socialiste genevois et les médias qui m’ont soutenu», répond Sunil lorsqu’on lui demande quels sentiments l’habitent. Il n’exprime ni colère, ni ressentiment contre les autorités suisses qui l’ont pourtant conduit jusque dans une cellule de prison. Le bref courrier administratif lui octroyant une autorisation de séjour tire un trait sur plusieurs années angoissantes. «Avant, j’étais tout le temps nerveux. J’avais des problèmes de santé, des douleurs récurrentes, je dormais mal. J’étais comme un prisonnier», confie celui qui a passé en juin dernier plusieurs jours en détention administrative.

C’est que, dans un premier temps, Sunil avait dû encaisser un refus du SEM relatif à sa demande d’asile. Une décision alors inattendue. «Je pensais que la Suisse considérerait mes problèmes au Bangladesh et qu’elle irait investiguer. Mais je me suis rendu compte que les autorités suisses ne se souciaient pas de ma situation. Moi, je savais que je serais tué si je retournais dans mon pays.» Journaliste et membre de la minorité hindoue, Sunil n’avait cessé de prévenir qu’il était exposé à de graves représailles en raison de ses activités.

L’argument aura-t-il fini par résonner auprès des autorités fédérales? «Le SEM ne motive pas ses décisions lorsqu’il entre en matière sur l’octroi d’un permis. On peut en tous cas dire que l’intégration de Sunil a été jugée très bonne, suffisamment pour rendre le cas de rigueur possible», décrit son avocate, Sophie Bobillier. Le permis est cependant assorti d’une condition: dans l’année à venir, Sunil devra démontrer qu’il peut s’exprimer simplement en français en obtenant un niveau A2 sur l’échelle des compétences linguistiques. «Ça ne m’inquiète pas. Je vais déjà régulièrement, après mon travail, à des cours de français. Progresser dans cette langue est une opportunité pour moi», souligne le principal concerné.

Maltraitance administrative

Le permis de résidence acquis s’accompagne également d’un droit de travailler. Pour Sunil, qui fait la plonge depuis huit ans à la Brasserie Lipp, pas question de quitter son actuel établissement. Mais il se verrait bien derrière les fourneaux plutôt que les éviers. «Pour faire de la cuisine indienne», précise-t-il. Un pari osé dans une institution de tradition française. Patron du restaurant, Frédéric Gisiger se réjouit quant à lui de la régularisation de cet employé de longue date: «Il pourra enfin venir l’esprit tranquille au travail. Comme lui, nous étions suspendus au bon vouloir des autorités. Nous avons vécu par procuration ce que lui vivait au plus profond de lui, craignant de le voir partir du jour au lendemain.»

Pour Sunil, l’avenir a repris des couleurs ce mois d’octobre. Il envisage désormais de trouver un autre logement, et espère qu’un jour sa femme et sa fille, qu’il n’a pas revues depuis dix ans, pourront le rejoindre. Si cette victoire juridique et humaine réjouit Sophie Bobillier, elle met aussi en exergue «toutes les difficultés auxquelles doivent faire face les personnes migrantes. C’est regrettable qu’il faille mandater une avocate, que la société civile se mobilise pour pouvoir obtenir in fine un permis de séjour pour une personne objectivement en danger dans son pays. Cette violence administrative doit cesser, et le droit d’être entendu mieux respecté pour faciliter les démarches dans les cas similaires», plaide la spécialiste en droit de l’asile.