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Notre regard

Permis S | Quel avenir en Suisse pour les réfugié⋅es d’Ukraine?

Aldo Brina
Secteur réfugiés CSP Genève

Depuis le début du conflit en Ukraine, le statut S a plutôt bonne presse : sa facilité d’accès et les droits qu’il octroie en font le symbole d’un pragmatisme généreux, appliqué dans une mesure jamais vue (plus de 65 000 permis S ont été délivrés depuis le mois de mars 2022). Cette image tend parfois à faire oublier que, depuis les premiers jours de son application, les autorités disent et répètent que le statut S a été adopté « dans une orientation retour ». Cette perspective ne finira-t-elle pas par avoir des conséquences ? Lesquelles ?

Rappelons que le statut S a été élaboré en 1998, après plusieurs années de guerre en ex-Yougoslavie. Le contexte en dit long sur la nature du statut. En effet, la politique d’asile de la décennie 1990 a été marquée par des montagnes russes: il a tour à tour été question d’accueil de réfugié·es et de tentatives de les renvoyer aussitôt que la situation s’améliorait ou, pour être plus précis, aussitôt que les autorités jugeaient que la situation s’améliorait. Cette appréciation a été éminemment disputée, notamment pour les Bosniaques ou encore les Albanais·es du Kosovo.

L’adoption du statut S avait donc pour but de faciliter l’administration de l’accueil, en s’économisant la procédure d’asile, mais aussi (et surtout?) de permettre des renvois facilités en prononçant une levée généralisée de la mesure. Ce statut, bien que jamais appliqué jusqu’en 2022, fut d’ailleurs initialement puis régulièrement critiqué par les associations. Le 26 avril 2019 encore, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) envoyait un communiqué de presse intitulé « Le statut de protection S est inadapté et doit être aboli »… Certaines communications vieillissent moins bien que d’autres!

Donc, quand la secrétaire d’État aux migrations Christine Schraner Burgener clame avec aplomb que « Les Ukrainiens ne vont pas rester » (NZZ, 23 avril 2022), elle le pense vraiment. Ces propos sont appuyés par des voix à droite qui demandent un durcissement et leur audience ne fera probablement qu’augmenter. De son côté, la Conseillère fédérale Keller-Sutter a chargé une task force d’évaluer le statut S. Les conclusions de ce groupe seront certainement déterminantes pour éventuellement fonder une décision politique de levée ou de maintien de la mesure (un rapport intermédiaire est prévu pour fin 2022 et le rapport final pour juin 2023).

Le dispositif d’accueil à Genève à Palexpo s’apparente à un camp de réfugié indoor. Les autorités genevoises ont
à nouveau lancé en septembre un appel à la population pour l’hébergement privé des réfugié·es d’Ukraine.
Photo : Vivre Ensemble

Batailles juridiques à venir

Quand le Conseil fédéral décidera de lever la protection provisoire, il ne lui sera certainement pas simple d’exécuter les nombreux renvois qui en découleront. Une fin rapide du conflit et le retour d’un maximum d’Ukrainien·nes dans un pays le moins ravagé possible représente bien sûr un scénario souhaitable. Force est de constater qu’il ne s’est pas déroulé souvent dans l’histoire. Les expériences des guerres des Balkans, d’Irak ou de Syrie montrent que les conflits durent, que les pays sont détruits et que ceux qui se réfugient en Suisse tissent rapidement des liens avec leur terre d’accueil. Un renvoi équivaut alors à un nouveau déchirement.

Le statut S, s’il a été octroyé de manière indiscriminée, sera aussi levé de manière indiscriminée. Les caractéristiques propres à chaque cas, qui n’ont pas été établies comme le permet d’ordinaire une procédure d’asile, n’auront pas été examinées. La personne a-t-elle des motifs d’asile? A-t-elle des vulnérabilités particulières (traumatisme, maladies, âge, absence de réseau social en Ukraine)? Son dernier lieu de résidence en Ukraine existe-t-il seulement encore? Est-il aux mains de troupes russes hostiles aux Ukrainien·nes?

À ces points s’ajoute celui de l’intégration en Suisse! Apprentissage du français effectué, enfants scolarisés, réseau social reconstitué, emploi stable en Suisse: autant d’éléments qui ne sont pas examinés dans le cadre strict d’une demande de protection, mais qui revêtent un caractère essentiel dans l’appréciation subjective d’un lien avec la Suisse aux yeux des premiers et premières concerné·es.

Probablement qu’en cas de levée du statut S, les Ukrainien·nes ne manqueront pas d’affluer en grand nombre vers les permanences juridiques, de sorte à faire valoir leurs intérêts, dans une espèce de procédure d’asile à retardement. Pure conjecture: la levée de la protection provisoire pourrait aussi être anticipée par un bricolage législatif dont nos autorités ont le secret et qui viserait à limiter les possibilités de faire valoir une demande de protection pour les ancien·nes détenteurs et détentrices de permis S.

Quoiqu’il en soit, il est plus que probable que la levée de la protection provisoire s’accompagne d’escarmouches juridiques et politiques. C’est du moins ce qui s’est produit au moment de la levée des admissions provisoires collectives des réfugié·es bosniaques ou kosovar·es. L’analyse des autorités fédérales quant au caractère sûr et exigible de l’exécution d’un renvoi divergera certainement de celles des réfugié·es ukrainien·nes. Les Suisses·ses qui auront appris à connaître et à soutenir ces réfugié·es dans le cadre de l’accueil qui s’est amorcé en 2022 auront certainement à cœur de les défendre aussi. Voilà qui promet quelques nouvelles batailles à mener!


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