CSP | Décès d’un jeune afghan: la politique d’asile suisse tue
« En ne tenant pas compte d’un avis médical particulièrement alarmant et en violant leurs propres règles interdisant de renvoyer les personnes particulièrement vulnérables vers la Grèce, le SEM et le TAF ont une responsabilité directe dans ce drame. »
Centre social protestant, 5 décembre 2022
Le Centre social protestant Genève a publié le 5 décembre 2022 un communiqué de presse mettant directement en cause les autorités fédérales d’asile: le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) et le Tribunal administratif fédéral (TAF) ont, par leur décision de non-entrée en matière, poussé au désespoir Alireza, un jeune afghan demandeur d’asile. Le jeune homme a mis fin à ses jours, ébranlant fortement les personnes qui lui étaient proches: ses ami·es et camarades de classe, sa famille d’accueil, ses éducateurs·trices et les associations qui l’accompagnaient.
La pratique des autorités révélée par cette affaire montre que sans changement d’appréciation vis-à-vis des certificats médicaux, et sans prise en compte des conséquences de ses renvois, y compris vers des pays abusivement jugés « sûrs » malgré de nombreux rapports attestant du contraire, la politique suisse d’asile aura d’autres morts sur la conscience.
Nous publions ci-dessous le communiqué de presse du Centre social protestant.
La politique migratoire tue
Alireza, jeune demandeur d’asile afghan, a mis fin à ses jours à Genève le 30 novembre 2022. Il venait de recevoir une décision du Tribunal administratif fédéral (TAF) confirmant une décision du Secrétariat d’État aux migrations de non entrée en matière sur sa demande d’asile et prononçant son renvoi vers la Grèce. Une décision intolérable. En ne tenant pas compte d’un avis médical particulièrement alarmant et en violant leurs propres règles interdisant de renvoyer les personnes particulièrement vulnérables vers la Grèce, le SEM et le TAF ont une responsabilité directe dans ce drame.
« Les pouvoirs ne font pas attention à notre danse ».
Ce sont les derniers mots d’Alireza, jeune afghan de 17 ans selon lui, mais déclaré majeur par le SEM, qui a mis fin à ses jours à Genève le 30 novembre 2022.
Alireza avait obtenu une protection en Grèce en 2020. Après y avoir vécu un an et demi dans des conditions extrêmement difficiles et y avoir subi des violences terribles dans un camp de réfugiés, il avait réussi à rejoindre la Suisse en avril 2021. A Genève, il logeait au foyer de l’Étoile, bénéficiait d’un soutien éducatif et était entouré par une famille relais très présente. Le 28 novembre 2022, il recevait le jugement du TAF confirmant la décision du SEM qui refusait d’entrer matière sur sa demande d’asile et prononçait son renvoi vers la Grèce, considérée par les autorités comme «pays tiers sûr». Deux jours plus tard, Alireza se suicidait.
La décision choque, tant la vulnérabilité d’Alireza n’a délibérément pas été prise en compte par les autorités. Le SEM et le TAF avaient pourtant sous les yeux un rapport médical faisant état à plusieurs reprises d’une «grande vulnérabilité psychique en lien avec son histoire de vie traumatique» et d’un «risque de passage à l’acte suicidaire élevé [en cas] de renvoi» [1]. Les autorités ont donc sciemment écarté l’avis des médecins.
La décision choque aussi parce qu’elle viole clairement le droit suisse. Au printemps dernier, le TAF a en effet imposé des restrictions strictes pour les renvois vers la Grèce, notamment pour les personnes particulièrement vulnérables : «Le Tribunal considère donc que l’exécution du renvoi de personnes protégées extrêmement vulnérables, comme par exemple des mineurs non accompagnés ou des personnes dont la santé psychique ou physique est affectée de manière particulièrement grave, n’est en principe pas raisonnablement exigible, sauf s’il existe des circonstances particulièrement favorables […]» . Comment se fait-il que le TAF n’applique pas sa propre jurisprudence ?
Cela fait trop d’années maintenant que les autorités suisses utilisent tous les moyens à leur disposition pour renvoyer les personnes demandeuses d’asile vers des pays où elles savent que leurs droits fondamentaux sont bafoués. Ceci sans prendre en considération la détresse et la fragilité des personnes, alors même que le droit les oblige à le faire.
Trop occupées à restructurer, planifier, gérer des «flux» et des «stocks», nos autorités sont aveugles aux destins individuels qui se dessinent, aux existences qu’elles détruisent. Elles en oublient l’esprit et la lettre du droit d’asile. Ce ne sont pas des numéros de dossiers qu’elles sacrifient, ce sont des êtres humains.
Pour que cela n’arrive jamais plus, nous exigeons des autorités migratoires suisse une véritable prise en compte des rapports médicaux et de la vulnérabilité des personnes concernées dans leurs décisions en matière d’asile et de renvoi.
Il est également de la responsabilité des autorités cantonales de se positionner clairement contre l’exécution des renvois des personnes vers des pays où leur vie est en danger.
[1] Arrêt du TAF E-3427/2021, E-3431/2021 du 28 mars 2022.
Créé en 1972, le Service réfugiés du Centre social protestant comprend quatre juristes, une assistante sociale et un chargé d’information, qui suivent actuellement plus de 850 situations. Sa permanence reçoit plus de 500 personnes par année.
A propos de ce drame, de la vulnérabilité et de l’attitude des autorités fédérales par rapport aux certificats médicaux, réécoutez l’interview de la psychiatre Saskia Von Overbeck Ottino, dans l’émission Forum (RTS) du 4.12.22
Et les justifications du SEM, par l’intermédiaire de sa porte-parole Anne Césard (05.12.22)
Comme le rappelle le CSP, le TAF avait jugé en mars 2022 que:
«l’exécution du renvoi de personnes protégées extrêmement vulnérables, comme par exemple des mineurs non accompagnés ou des personnes dont la santé psychique ou physique est affectée de manière particulièrement grave, n’est en principe pas raisonnablement exigible, sauf s’il existe des circonstances particulièrement favorables […]» .
Tribunal administratif fédéral, Arrêt E-3427/2021, E-3431/2021 du 28 mars 2022
Une jurisprudence qui n’a manifestement pas été appliquée.