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Documentation

CSDH | Migration: lacunes et enjeux

Le Centre Suisse de compétences pour les droits humains (CSDH) a démarré son activité en 2013 avec entre autres missions d’établir si la Suisse remplissait ses obligations internationales dans le domaine de la migration. Plusieurs éléments ont été identifiés comme problématiques, mais deux champs prioritaires ont été définis: la protection contre les discriminations et l’application du nouveau droit d’asile. A l’heure du bilan du CSDH qui met fin à son activité, un bilan de son action et des lacunes qui restent à combler est publié. En ressort plusieurs aspects. L’introduction d’une protection juridique lors de la procédure d’asile a été évaluée positivement comme moyen efficace de faire respecter les droits des personnes requérantes d’asile, même si une harmonisation entre les régions reste importante à établir. Dans les lacunes, l’introduction d’un double contrôle dans les décisions d’asile du SEM permettant d’assurer leur qualité fait défaut selon les expert·es.Le rapport de « Bilan 2022 du Centre suisse de compétences pour les droits humains » peut également être téléchargé en intégralité sur le site du CSDH. Nous reproduisons ci-dessous le chapitre consacré aux enjeux du domaine des migrations.

Migration: identification des lacunes et des enjeux

La Suisse et ses obligations internationales : un état des lieux

En 2013, au moment de commencer ses activités, le CSDH s’est demandé dans quelle mesure la Suisse remplissait ses obligations internationales dans le domaine de la migration. Il a alors identifié certaines lacunes : la stratégie de la Confédération, à savoir durcir l’application du droit tout en intensifiant les mesures d’intégration, de prévention et de sensibilisation dans le domaine de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale, ne satisfaisait pas pleinement aux exigences des organes conventionnels, selon lesquels la Suisse devrait prendre des mesures législatives en la matière. En ce qui concerne le droit des étrangers·ères, la législation ayant passablement été modifiée ces dernières années, le CSDH s’est avant tout penché sur la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions, identifiant des problèmes principalement dans trois domaines : l’interdiction du mariage pour les personnes sans permis de séjour, le droit de séjour des victimes de violence domestique et la détention administrative en application du droit des étrangers. Dans le domaine de l’asile, il a surtout examiné la protection juridique des requérant·e·s d’asile et l’aide d’urgence. Les conclusions qu’il a tirées de son état des lieux l’ont conduit à faire de la protection contre les discriminations et du suivi de l’application du nouveau droit d’asile des axes de travail prioritaires pour les années suivantes.

Bilan 2022. CSDH

Une protection lacunaire contre les discriminations

Le CSDH s’est penché sur la problématique des discriminations en général ainsi que, plus précisément, sur la protection contre les discriminations raciales. Dans son étude de 2015 sur l’accès à la justice en cas de discriminations raciales, il a identifié des lacunes dans la protection que la législation accorde aux victimes de discriminations raciales. Si l’article 261bis du code pénal suisse réprime explicitement les discriminations raciales, cette disposition se révèle insuffisante, car elle se limite aux critères de la « race », de l’ethnie et de la religion, alors que dans la pratique, on constate que les discours xénophobes font aussi référence à la nationalité et au statut de séjour. Quant au droit civil, il ne contient aucune disposition matérielle explicite sur les discriminations raciales, et les avocat·e·s observent qu’il est pratiquement impossible d’intenter une action civile contre des actes de discrimination. Il existe donc des lacunes considérables, tant en droit civil qu’en droit pénal.

Le CSDH a rédigé, sur mandat du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (BFEG), un avis de droit sur l’interprétation du principe de non-discrimination inscrit dans la Convention d’Istanbul. Selon cette analyse, la notion de « femme » qui figure dans la convention englobe toutes les personnes dont le « sexe » légal (inscrit à l’état civil) est féminin ou qui s’identifient en tout ou en partie comme femmes, indépendamment de leur « sexe » légal. Pour ce qui est des mesures de soutien et d’assistance aux victimes, la convention ne fait pas non plus de distinction en fonction de l’identité ou de l’expression de genre d’une personne. De plus, elle garantit protection et soutien aux victimes de violence propre au genre, quels que soient leur statut de séjour et le lieu où les actes de violence ont été commis (en Suisse ou à l’étranger). L’interprétation large de la notion de « femme » au sens de la Convention d’Istanbul et l’extension du lieu de commission de l’infraction à l’étranger permettent d’apporter une protection plus étendue que celle prévue par le droit suisse. Cette différence a des conséquences positives importantes pour ce qui est de l’offre en consultation pour les victimes.

Dans le domaine des discriminations, le CSDH s’est également investi dans la sensibilisation et la formation, ce qui lui a permis de sensibiliser les forces de police aux discriminations et de leur donner des outils pour lutter contre ce phénomène.

Évaluation de la mise en œuvre de la nouvelle procédure d’asile

En juin 2016, la population suisse a accepté une modification de la loi sur l’asile visant à accélérer la procédure d’asile. Depuis cette révision, les requérant·e·s d’asile sont représenté·e·s gratuitement en justice dès la phase de première instance, et cela, par une personne qui les accompagne tout au long de la procédure. Appelé à évaluer la phase de test de cette nouvelle procédure, le CSDH a conclu que l’introduction de la représentation juridique constituait un progrès. C’est un moyen efficace de faire respecter les droits des requérant·e·s, qui leur apporte un soutien dans leur demande d’asile et les informe du déroulement de la procédure ainsi que de leurs droits et obligations.

Ces conclusions se sont confirmées en 2021, lorsque le CSDH a été mandaté par le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) pour évaluer la protection juridique et la qualité des décisions lors de la mise en œuvre de la nouvelle procédure. Les procédures et en particulier l’application de la protection juridique (conseils et représentation juridique) semblent en effet fonctionner de manière satisfaisante. Le CSDH estime toutefois que certaines améliorations sont nécessaires, en particulier pour ce qui est de la coordination et de l’harmonisation des pratiques du SEM d’une région à l’autre.

Les progrès accomplis

Le travail du CSDH a eu un impact positif dans plusieurs domaines :

  • Formation des forces de police dans le domaine de la lutte et de la protection contre les discriminations.
  • Sensibilisation et mise en réseau d’acteurs (notamment institutionnels) en ce qui concerne les discriminations dans l’accès à la santé et aux services sociaux, en particulier durant la pandémie de Covid-19.

Les importantes lacunes à combler

Les recommandations suivantes du CSDH, qui n’ont pas été suivies, sont toujours d’actualité :

  • Extension du réseau de soutien aux victimes de discriminations raciales, et notamment augmentation des ressources des services de conseil existants.
  • Introduction du double contrôle dans les décisions d’asile du SEM, afin d’en garantir la qualité.

Obstacles dans les poursuites pénales de la traite des êtres humains et de l’exploitation au travail

La traite des êtres humains est devenue, dès 2015, l’un des axes de travail du CSDH, suite à un mandat octroyé dans le cadre du premier Plan d’action national de lutte contre la traite des êtres humains (2012-2014). Dans le cadre de ce mandat, le CSDH a été chargé de réaliser une étude de faisabilité (2013) pour proposer des pistes de recherche permettant de mieux connaître les caractéristiques et l’ampleur de la zone d’ombre qui entoure la traite des êtres humains en Suisse. Le CSDH s’est ensuite intéressé en particulier à la traite des êtres humains à des fins d’exploitation de la force de travail, sanctionnée par l’article 182 du code pénal. Bien que les indices de traite soient souvent nombreux, les condamnations dans ce domaine restent rares, un paradoxe que l’on doit notamment au fait que le droit suisse ne définit pas la notion d’ « exploitation ». La question de l’administration des preuves constitue un autre problème identifié par le CSDH : lors de la procédure pénale, une grande importance est accordée aux déclarations des victimes, alors que ces dernières, en raison de leur vulnérabilité et du traumatisme subi, ne sont souvent pas en mesure de faire des déclarations utilisables devant les juges ; sans compter qu’au moment du procès – quand il y a procès – les victimes ne se trouvent souvent plus en Suisse.

Les progrès accomplis

Le travail du CSDH a eu un impact positif dans plusieurs domaines :

  • Davantage de visibilité pour la problématique de la traite des êtres humains.
  • Sensibilisation des autorités à la problématique de la traite des êtres humains et de l’exploitation du travail.

Les importantes lacunes à combler

Malgré les progrès réalisés ces dernières années, plusieurs recommandations du CSDH n’ont pas été suivies et restent donc d’actualité :

  • Octroi d’une autorisation de séjour aux personnes victimes de traite.
  • Soutien aux victimes lors de la collaboration avec les autorités pénales.

Principales études et publications sur le thème de la migration

Mise en œuvre des droits humains en Suisse : Un état des lieux dans le domaine de la migration, 2013

Les caractéristiques et l’ampleur de la zone d’ombre de la traite d’êtres humains en Suisse, 2015

Externe Evaluation der Testphase für die Neustrukturierung im Asylbereich, Mandat 4, Rechtschutz, 2016

Répression de l’exploitation du travail en Suisse : étude de faisabilité sur la mise en œuvre de l’article 182 CP à la lumière des droits humains, 2019

Evaluation zum Rechtsschutz und der Entscheidqualität im beschleunigten Asylverfahren, 2021

Interdiction de discriminer et champ d’application de la Convention d’Istanbul, 2021