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Notre regard

Rétrospective | Genève, terre d’asile?

Aldo Brina / CSP Genève

À l’occasion du 50e anniversaire de son service d’aide aux réfugié·es, le Centre social protestant de Genève (CSP) publie un livre qui retrace un demi-siècle de politique d’asile et de mobilisations associatives. À l’aune de cette histoire, le CSP pose une question qui donne son titre à l’ouvrage : Genève, [est-elle vraiment une] terre d’asile ?

Ce n’est pas un livre d’histoire, mais un livre engagé qui raconte l’histoire depuis notre perspective: celle du terrain. L’enjeu, pour nous qui avons déposé des recours, signé des pétitions, organisé des manifestations, lancé des campagnes, était de nous engager sur le plan de la mémoire, en nous appropriant le récit de la politique d’asile et de nos mobilisations. Comme matériau de base, nous disposions d’archives abondantes. Nous avons souhaité assortir notre propos d’une iconographie originale: nous avons contacté différent·es photographes et puisé dans différents fonds d’archives.

La superposition de certains faits historiques avec notre actualité est riche d’enseignements. S’il n’est pas question ici de dévoiler l’intégralité du livre, nous prendrons deux exemples particulièrement éclairants.

Tout augmente, sauf l’aide sociale qui n’a cessé de se réduire depuis 20 ans

Premièrement : la stagnation, voire la réduction des montants d’aide sociale alloués aux personnes en demande d’asile, en particulier les demandeurs et demandeuses d’asile (livret N) et les personnes admises à titre provisoire (livret F).

En 1983, Guy Perrot, directeur de l’Hospice général, argumentait en faveur d’une égalité de traitement entre personnes en demande d’asile et Suisses·ses: «(…) dans les magasins, les prix sont les mêmes pour tous. » (Le Courrier, 21 janvier 1983). Un argument parfaitement sensé, non? Pourtant, en 2022, le montant de 451 francs que reçoivent mensuellement les personnes en demande d’asile ou admises provisoirement équivaut à la moitié seulement de ce que touchent les autres résident·es genevois·es (permis B, C, Suisses-ses).

Pire: alors que, selon l’expression populaire, « tout augmente », les montants d’aide sociale pour requérant·es d’asile eux, n’ont cessé de diminuer. Ainsi, alors qu’à l’orée du millénaire, les personnes issues de l’asile recevaient 645 francs par mois à Genève, la Confédération décide de diminuer les forfaits versés aux cantons, si bien qu’en 2000 le Conseil d’État genevois annonce le report de cette réduction sur les aides versées par l’Hospice général, et le montant de 451 francs est alors établi.

Cette somme ne permet pas de vivre dignement. Et la situation s’empire : alors qu’aujourd’hui l’inflation s’envole, il n’est pas prévu de l’indexer au coût de la vie. Si les personnes en demande d’asile reçoivent, dans l’absolu, la même somme depuis plus de vingt ans, ils ne cessent de voir leur aide sociale être diminuée sous le coup du renchérissement. À quand une réévaluation? Qui se souvient qu’un jour des responsables considéraient que l’égalité devait primer sur toute autre considération?

Un courage politique en peau de chagrin face à Berne

Il est un autre domaine où les archives révèlent un changement tectonique, c’est-à-dire lent et invisible pour qui ne fait que suivre l’actualité quotidienne: la posture du Conseil d’État genevois face à la Confédération.

En 1974, Guy Fontanet du PDC, ferme les yeux quand le CSP et d’autres cachent des réfugié·es chilien·nes. Il expliquera plus tard à la radio que, pour lui, la loi fédérale ne pouvait pas être absolue. D’autres impératifs doivent primer. 1985, suite à d’importantes mobilisations de la Coordination asile, le Conseil d’État ordonne la suspension des expulsions pour les requérant·es d’asile débouté·es qui sont là depuis plus de 2 ans… Un an plus tard, Peter Arbenz, le chef de l’administration fédérale de l’époque, octroyait des permis à une soixantaine d’entre-eux. Aujourd’hui, il leur faut attendre 5 ans avant de pouvoir seulement prétendre à une régularisation!).

En 1992, la Confédération ouvre le centre fédéral de la Praille et choisit, pour encadrer les requérant·es, une société privée, ORS, plutôt que le collectif d’associations genevoises qui était pourtant tout désigné pour le faire. En guise de protestation, le Conseil d’État genevois boycotte l’inauguration du nouveau centre de la Praille et laisse Peter Arbenz, le chef de l’administration fédérale de l’époque, seul avec son champagne et ses cotillons.

Des valeurs en perdition

Ces multiples épisodes dessinent une politique genevoise attachée à des valeurs qui sont dans le monde entier associées au nom de notre ville (les Conventions de Genève) et qui doit différer par moment de la politique fédérale. Or, entre 2019 et 2022, la Coordination asile a négocié à bâtons rompus avec les autorités cantonales pour obtenir des régularisations de jeunes débouté·es qui se comptent sur les doigts d’une main… la comparaison fait saillir un changement cruel.

Cette évolution est imputable d’une part à un changement de rapport de force: la Confédération a certes mis en place une politique d’asile toujours plus centralisée, qui prévoit même, par exemple, de sanctionner les cantons qui n’exécuteraient pas

suffisamment de renvois. Mais n’y a-t-il pas, d’autre part, un cruel manque d’engagement du Conseil d’État sur la question de l’asile ?

De l’engagement, voilà ce qu’il faudra encore, de la part des autorités, des associations, de tout le réseau de défenseurs et défenseuses du droit d’asile, pour que le point d’interrogation avec lequel nous ponctuons le titre de notre ouvrage – Genève, terre d’asile? – puisse le plus souvent être remplacé par un point final: Genève, terre d’asile.

Le livre peut être commandé en ligne et via ce QR Code