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Comptoir

25’000 demandes d’asile. Retour à la normale…

25’000 demandes d’asile, c’est beaucoup ? Ça dépend…
Retour sur le rôle des médias pour saisir les statistiques de l’asile

Lundi 13 février 2023, les traditionnelles statistiques annuelles des demandes d’asile sont publiées par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM). Cela donne lieu à frénésie médiatique sur nos écrans avec en titre itératif issu de la dépêche ATS: « Asile : près de 25’000 demandes en 2022, une hausse de 64% ».

64%, une augmentation qui fait peur. Et qui donne du grain à moudre aux partis conservateurs -en campagne électorale, rappelons-le !- exigeant à outrance des restrictions du droit d’asile. Pour le lectorat pressé, qui se suffit généralement du simple titre, il alimente le sentiment d’être « envahi ». Il aurait pu en être tout autrement si ces informations avaient figuré :

  • Entre 2015 et 2020, les nouvelles demandes d’asile n’avaient fait que baisser jusqu’à atteindre des baisses historiques comme de 11'000 en 2020.  Mais dans ce cas, on en parle moins.
  • Justement, avec le Covid, les frontières ont été fermées en 2020, ce qui explique un « phénomène de rebond » dans les arrivées comme l’explique le SEM dans son communiqué. Prévisible, donc.
  • En 2022, 4’000 demandes d’asile sont en réalité des demandes dites secondaires -dont une majorité de naissances d’enfants de personnes déjà en Suisse avec un statut. Il ne s’agit pas d’« arrivées » spontanées. Pour certaines nationalités (Érythrée, Syrie) ces demandes constituent une grande part des demandes.
  • 24'000 demandes d’asile par année, c’est précisément le taux moyen calculé par le SEM lors de la restructuration sur l’asile (en place depuis 2019) pour que le système « fonctionne ». On est dans la norme donc.
  • Si les demandes d’asile augmentent cela est majoritairement dû au fait que les droits humains reculent dans le monde. Un coup d’œil aux nationalités les plus représentées rend cela saillant : Afghanistan, Turquie, Erythrée, Algérie et Syrie. Les faits sont attestés : depuis plusieurs années, plus de 70 % des personnes dont les motifs d’asile sont examinés sont jugés comme nécessitant une protection internationale. En 2022, ce taux est supérieur à 80 %[1]En incluant les décisions de non-entrée en matière dans son calcul, le SEM gonfle le taux de décisions négatives. Plus d’infos sur https://asile.ch/statistique/procedure/(données 2021. Il n’est pas question de migration économique.
  • Ni l’Europe, ni la Suisse, ne sont les endroits du monde qui accueillent le plus de réfugiés au monde. La plupart des personnes déplacées le sont au sein de leur pays d’origine. Pour le reste, ce sont les pays qui confinent avec des zones de conflit qui reçoivent majoritairement les personnes en fuite. Soit Turquie, Colombie, Ouganda, Pakistan, Allemagne. Soit 83% dans des pays dits « à bas revenus ». (Global Trends Report 2021). Pas de quoi s’alarmer.

Des titres de journaux peu diversifiés...

Capture d'écran 13.02.2023
Source: Vivre Ensemble

Autrement dit, le titre des articles auraient pu être "25'000 demandes d’asile. Retour à la normale…"

Malgré cela, le traitement médiatique ne semble pas vouloir se départir de la « rhétorique de l’invasion » qui sclérose les esprits, même pour celles et ceux qui se disent « plus ouvert·es » sur ces questions. Une analyse nuancée de ces chiffres permettrait de favoriser un débat serein au sein de la population. Lorsqu’ils ne prennent pas le temps de le faire, les médias prennent le risque de porter atteinte à notre cohésion sociale, d’éroder la solidarité et de détourner beaucoup d’entre nous d’une information qui ne nous donne pas les clés nécessaires pour appréhender l’actualité. Le pari est risqué.

Giada de Coulon

Notes
Notes
1 En incluant les décisions de non-entrée en matière dans son calcul, le SEM gonfle le taux de décisions négatives. Plus d’infos sur https://asile.ch/statistique/procedure/(données 2021