Culture de la suspicion. Des mots et leurs conséquences
par Sophie Malka
Alireza on ne t’oublie pas.* Un message qui exprime la douleur ressentie par les proches du jeune Afghan qui a mis fin à ses jours en novembre à Genève, mais aussi l’indignation de celles et de ceux qui ne le connaissaient pas mais voient dans son geste le résultat d’une politique migratoire qui détruit, parfois tue.
Les mots sont ici importants même si, à force d’être répétés, ils ont perdu de leur impact. Ils reflètent pourtant cette réalité-là. Derrière l’ordre de renvoi, un fonctionnaire du Secrétariat d’État aux migrations (SEM) et un juge du Tribunal administratif fédéral (TAF). Leur responsabilité est entière. Mais comme on a pu l’entendre dans les propos de la porte-parole du SEM et de Karin Keller-Sutter suite à ce décès, cette décision est portée par l’administration fédérale et marque une culture du soupçon aujourd’hui bien documentée[1]En particulier Affolter, Laura «Prise de décision en matière d’asile. Le régime de la suspicion»,Vivre Ensemble n°169 & rubrique Préjugés sur l’asile, Mensonge ? Vraisemblance et … Lire la suite
Ce que révèle ce cas, c’est que la mise en doute de la parole des réfugié·es s’accompagne de la mise en doute de la probité des médecins qui posent les diagnostics.
En atteste, dans un autre cas relaté par deux médecins, la réponse d’un employé du SEM au TAF pour justifier d’une décision de renvoi: « Se référant au rapport du généraliste […] et au risque de suicidalité en cas de renvoi qu’il relevait, le fonctionnaire commente: « […] il s’agit de menaces (art. 180 CP), soit d’un véritable chantage au suicide, qui n’a pas sa place dans une procédure d’asile. Le thérapeute, au lieu de s’adonner à de tels errements, se devrait […] d’assurer la sécurité du patient en l’internant »»[2]Métraux JC, Bonvin L. «Dédain fédéral envers certains rapports médicaux». Rev Med Suisse 2021. Les Dr Métraux et Bonvin, qui relatent cette affaire, se déclarent « stupéfiés » que ledit fonctionnaire « puisse se prononcer sur l’indication d’un internement, et brandir un article du Code pénal ».
L’expression «chantage au suicide», est en soi une preuve de cette culture de la suspicion, y compris vis-à-vis du corps médical. Et sa reprise dans certains médias suite au suicide d’Alireza [3]RTS, Les explications du Secrétariat aux migrations après le suicide du jeune Afghan dans un foyer à Genève, 5.12.22 montre une porosité des discours qui façonne les représentations au sein de l’opinion publique.
Malheureusement ces a priori finissent par avoir un coût humain. Dans une procédure d’asile où c’est la parole du ou de la requérant·e contre l’appréciation de l’auditeur du SEM – qui décidera de la « vraisemblance » du récit et donc de l’octroi d’une protection ou d’un renvoi – les conséquences des préjugés sont considérables. Et même vitales.
*Alireza, on t’oublie pas!
Une troisième manifestation pour le dire • Mercredi 29 mars • 18H • Place du Rhône • Genève
C’est la dernière manifestation organisée à l’appel des jeunes et des milieux associatifs en souvenir d’Alireza et pour un changement de politique d’accueil et de meilleures conditions de vie.
Venez nombreux!
Notes
↑1 | En particulier Affolter, Laura «Prise de décision en matière d’asile. Le régime de la suspicion», Vivre Ensemble n°169 & rubrique Préjugés sur l’asile, Mensonge ? Vraisemblance et preuves, asile.ch |
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↑2 | Métraux JC, Bonvin L. «Dédain fédéral envers certains rapports médicaux». Rev Med Suisse 2021 |
↑3 | RTS, Les explications du Secrétariat aux migrations après le suicide du jeune Afghan dans un foyer à Genève, 5.12.22 |