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Notre regard

Intégration | Aide sociale insuffisante dans le domaine de l’asile

Sophie Malka

Une politique publique aberrante!

Quand la main gauche défait ce que la main droite entreprend. Voilà grosso modo la situation décrite par la Conférence suisse des institutions d’aide sociale (CSIAS) dans une « prise de position d’expertise » sur les montants alloués aux personnes relevant du domaine de l’asile (permis N, F et S)*. Les forfaits d’entretien alloués sont « insuffisants » pour vivre dignement et « entravent l’intégration et la participation à la vie sociale », objectifs définis dans l’Agenda intégration suisse (AIS) et financés par la Confédération et les cantons. En chiffres, cela se traduit par des montants inférieurs de 19 à 71% du minimum vital recommandé pour couvrir les besoins de base pour une personne seule et de 10 à 50% pour une famille de quatre personnes. Passées quasi inaperçues, les conclusions de la CSIAS, parues en janvier 2023, auraient pourtant dû secouer le landerneau politique, principal artisan d’une politique publique que l’on peut aisément qualifier à cet égard de sous-efficace.

Image extraite de la brochure sur les préjugés. En savoir plus -> Profit? Conditions de vie et aide sociale

Pour preuve: étant dans l’impossibilité de couvrir leurs besoins de base – le coût de la vie est sans égard pour le statut! – les personnes concernées doivent recourir à des aides complémentaires [qui, elles, sont incluses dans l’aide sociale «ordinaire»]. Cela oblige les services sociaux à embaucher du personnel pour allouer ces prestations «individuellement» et «au cas par cas» ! Or, rappelle la CSIAS, il manque dans toute la Suisse du personnel qualifié dans l’encadrement, et «les forfaits pour l’intégration insuffisants […] aggravent inutilement cette pénurie de personnel».

Le problème réside dans la Loi sur l’asile, où les parlementaires ont voulu ancrer, lors de la révision de 2013, le principe d’une «aide inférieure à l’aide sociale ordinaire et fournie, dans la mesure du possible, en nature » (art. 82al.3). Un nivellement par le bas dénoncé à l’époque dans nos colonnes[1]Marie-Claire Kunz, « Aide d’urgence. Centres fédéraux : le nivellement par le bas se confirme », Vivre Ensemble n°144 / septembre 2013, dont l’impact est de maintenir les personnes à l’aide sociale, et surtout d’empêcher toute autonomie. Et la CSIAS de souligner que « la situation se révèle particulièrement problématique pour les familles avec enfants», précisant «qu’un tiers environ des bénéficiaires sont des mineur·es ».

*AIDE SOCIALE INFÉRIEURE DANS LE DOMAINE DE L’ASILE. DE QUI PARLE-T-ON ?

Les personnes en procédure d’asile (permis N), les titulaires d’une admission provisoire (permis F) et les réfugié·es d’Ukraine (permis S).

« Il n’est pas justifié d’appliquer des montants d’aide inférieurs aux personnes visées par l’Agenda intégration ».

Prise de position de la CSIAS

L’intérêt de ce rapport est de montrer que cette disposition vient non seulement «entraver gravement la réalisation des objectifs définis dans l’Agenda intégration suisse», mais qu’elle entre en contradiction avec la Constitution suisse (art.7) et la Loi sur les étrangers et l’intégration (art.53 LEI). Sans compter qu’en terme financier, elle s’avère désastreuse, puisqu’elle touche des personnes amenées à rester durablement en Suisse, ce qui est le cas de la majorité des titulaires d’un permis F. Si une moitié d’entre elles sont actives professionnellement, beaucoup le sont dans des emplois précaires et gagnent trop peu pour pouvoir quitter l’aide sociale. Bref, on finance des mesures dont on empêche la réalisation.

De là à dire que la politique d’aide sociale dans le domaine de l’asile est une aberration, il n’y a qu’un pas que la CSIAS se garde d’écrire noir sur blanc, préférant inviter les responsables politiques à «s’atteler activement au décalage entre la position de spécialiste [la CSIAS] et le cadre juridique en vue d’aligner les forfaits accordés aux personnes visées par l’Agenda intégration suisse sur ceux alloués aux réfugiés reconnus».

L’AIS, KÉZAKO ?

L’Agenda intégration suisse (AIS) propose des mesures d’accompagnement individualisées en vue de l’intégration sociale et professionnelle. Mises en place par les cantons, elles concernent les réfugié·es et les titulaires d’une admission provisoire (permis F) depuis mai 2019, mais aussi, aspect moins connu, les personnes en procédure d’asile (permis N) «ayant de fortes chances de pouvoir rester en Suisse ».

Dans son rapport, la CSIAS s’est sur – tout intéressée aux personnes admises provisoirement dont il est établi que le séjour est durable. Elle laisse de côté la question des permis S – qui font l’objet d’une évaluation spécifique. Et passe à côté de la réalité des demandeur·euses d’asile (permis N), dont la procédure ne se déroule de loin pas toujours dans les délais impartis, comme semble le croire la CSIAS[2]

Sophie Malka, L’accélération des procédures d’asile. Une [fausse] prophétie jamais réalisée,
Vivre Ensemble n° 190 / décembre 2022
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Notes
Notes
1 Marie-Claire Kunz, « Aide d’urgence. Centres fédéraux : le nivellement par le bas se confirme », Vivre Ensemble n°144 / septembre 2013
2

Sophie Malka, L’accélération des procédures d’asile. Une [fausse] prophétie jamais réalisée,
Vivre Ensemble n° 190 / décembre 2022