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Documentation

Riace | Quand accueillir dignement devient un délit

Le village de Riace a été un modèle d’accueil. Son maire, Mimmo Lucano a voulu montrer que l’ouverture aux personnes arrivant de la mer et d’ailleurs pouvait être symbole de vie, prospérité et solidarité. Mimmo Lucano a fait revivre un village promis à la désertification. Son action lui a valu une reconnaissance internationale. Mais aussi les foudres des populistes italiens hostiles aux personnes exilées, en particulier de l’ex-ministre de l’intérieur Matteo Salvini. Sa condamnation fin septembre est une nouvelle fois la marque d’une justice cherchant à punir la solidarité. Le réseau Migreurop a publié un communiqué de soutien, reproduit ci-dessous. Mimmo Lucano a également adressé une lettre aux habitant·es de Riace, lue notamment lors du rassemblement de soutien du 5 octobre à Genève, devant le consulat d’Italie, et dont nous publions ici la traduction parue dans Le Courrier, avec l’aimable autorisation de Rose et Florio Togni.

Enfin, plusieurs pétitions ont été lancées pour soutenir le maire de Riace, dont celle-ci : https://framaforms.org/open-letter-in-solidarity-with-mimmo-lucano-1633529603

Résister, résister, résister toujours !

Inutile de vous dire que j’aurais voulu être parmi vous, non seulement pour vous saluer, mais bien plus. Pour vous parler directement sans l’obligation de vous écrire, pour sentir cette spontanéité, pour ressentir l’émotion que les mots produisent, enfin pour vous remercier tous, chacun et chacune, pour nous embrasser tous ensemble, fortement, avec toute l’affection dont sont capables les être humains.

A vous tous, un peuple en voyage vers un rêve d’humanité, vers un lieu de justice imaginé, oubliant un moment vos engagements quotidiens et défiant aussi le mauvais temps [ndt*: ce mardi 5 octobre, il pleuvait aussi à Genève], je vous dis merci.

Le ciel est parcouru par de sombres nuages, la même onde noire qui traverse les ciels d’Europe, ces mêmes nuages qui empêchent de voir à l’horizon les sommets et les abîmes, les terres, les douleurs, les cruautés des nouvelles barbaries fascisantes.

Ici, sous cet horizon, les peuples existent, avec leurs souffrances, leurs luttes et leurs conquêtes. Parmi les petites choses de la vie quotidienne, des faits s’entremêlent avec des évènements politiques, les problèmes de toujours avec les menaces d’expulsion, les attentats, la mort, la répression.

Aujourd’hui, dans ce petit village du sud italien, une terre de souffrance, mais aussi de résistance et d’espoir, nous vivons un jour qui marquera l’histoire.

L’histoire, c’est nous-mêmes, avec nos choix, nos convictions, nos erreurs, nos idéaux, nos espoirs de justice, que personne ne pourra à jamais effacer.

Un jour viendra où il y aura plus de respect pour les droits humains, plus de paix que de guerres, plus d’égalité et de liberté que de barbarie. Où il n’y aura plus de personnes qui voyagent en business class et d’autres entassées comme de la marchandise humaine en provenance de ports coloniaux, accrochées aux vagues des mers de la haine.

En lien avec ma situation personnelle et mes péripéties judiciaires, je n’ai pas beaucoup à ajouter. Je n’ai pas de rancœurs ni de revendications contre quiconque. Je voudrais néanmoins dire au monde entier que je n’ai pas de quoi avoir honte, rien à cacher. Je referai les mêmes choses, celles qui ont donné du sens à ma vie.

Je n’oublierai pas non plus cet immense fleuve de solidarité, vous resterez pour longtemps dans mon cœur.

Nous ne devons pas reculer, si nous restons uni·es et humains, nous pourrons caresser le rêve d’une utopie sociale.

Je vous souhaite d’avoir le courage même de rester seul·es et l’audace de rester ensemble, avec les mêmes valeurs.

Je vous souhaite de pouvoir être désobéissant·es toutes les fois où vous recevez des ordres qui humilient notre conscience.

Je vous souhaite de mériter l’appellation de rebelle, comme ceux et celles qui refusent d’oublier l’histoire dans cette période d’amnésie forcée.

Je vous souhaite d’être obstiné·es et de continuer à croire, même contre chaque évidence, qu’il vaut la peine d’être des hommes et des femmes.

Je vous souhaite de continuer à marcher, même après les chutes, les trahisons et les défaites, car l’histoire continue, même après nous; et même si elle s’arrête, ce n’est qu’un au revoir.

Nous devons nous souhaiter de maintenir vivante la certitude qu’il est possible d’être contemporains de toutes celles et tous ceux qui vivent animés par la volonté de justice et de beauté, où qu’ils et elles soient et vivent, parce que les cartes géographiques de l’âme et du temps n’ont pas de frontières.

Mimmo Lucano

*Jugement en première instance.

Lettre traduite de l’italien par Rose et Florio Togni. Lire la lettre de Mimmo Lucano directement sur le site du journal Le Courrier.

Migreurop | Domenico Lucano : quand accueillir dignement devient un délit

Carlo Troiano / wikimedia

Depuis sa condamnation le 30 septembre à 13 ans et deux mois de prison, les manifestations de soutien en faveur de Domenico Lucano, ancien maire du village de Riace en Calabre, se multiplient en Italie et ailleurs. Alors que la politique d’accueil menée par « Mimmo » Lucano avait fait de Riace et de son maire les symboles d’un projet de société alternative, fondé sur l’entraide, sa condamnation est largement perçue comme une énième attaque contre la solidarité avec les personnes migrantes.

Si le détail de la décision du tribunal de Locri n’est pas connu, puisqu’elle n’a pas encore été rendue publique, on sait qu’aucune accusation liée à l’aide à l’immigration irrégulière n’a finalement été retenue contre Mimmo Lucano. Derrière ce jugement, il faut lire la volonté de faire prévaloir une politique orientée vers la gestion d’urgence, négligeant le parcours d’intégration des personnes migrantes rendu possible avec le modèle alternatif et inclusif que proposait l’ancien maire à Riace. Il est possible que Mimmo soit responsable de failles dans la gestion administrative du dispositif qu’il a mis en place, en essayant d’adapter les contraintes du système national d’accueil à une réalité locale spécifique, caractérisée par une situation socio-économique particulière. Mais, lorsque le procureur de Locri le traite de « bandit idéaliste de western » en allant jusqu’à faire référence à la mafia, non seulement il place ces irrégularités au même plan que de graves infractions criminelles mais, en plus, il laisse entendre que le maire de Riace serait un ennemi de l’État, au seul motif qu’il contestait la politique de non-accueil mise en place par les gouvernements italiens successifs.

La condamnation de Mimmo Lucano est bel et bien un jugement politique. Parce qu’elle sanctionne, au-delà de ce qui est imaginable, une expérience alternative de société, de communauté, qui va à l’encontre de celle que voudrait imposer une droite xénophobe et souverainiste.

L’accueil des personnes exilées à Riace allait au-delà d’un objectif purement humanitaire. En l’organisant, Domenico Lucano a voulu démontrer qu’il était tout à fait possible de construire un modèle de cohabitation viable dans un contexte socio-économique difficile, à l’opposé de la vision étatique qui ne conçoit cet accueil qu’au prisme de l’assistance et de l’exclusion, minimisant voire ignorant l’autonomie des personnes migrantes.

Si Mimmo est coupable, c’est d’avoir mis en échec, par son expérience alternative empreinte d’un idéal de justice et d’égalité, la logique d’un État qui discrimine et sépare, qui marginalise et exclut.

Le réseau Migreurop exprime tout son soutien et son respect à M. Lucano qui, par le courage et l’énergie dont il a fait preuve toutes ces années, n’a poursuivi d’autre objectif que la réalisation d’un projet « utopique » de progrès social, d’intégration, de respect de l’autre. Il appelle toutes et tous à rejeter le signal alarmant envoyé par la justice italienne, qui voudrait faire croire qu’on ne peut penser la migration qu’en termes de contrôle et de sécurité. Il invite les élu.e.s locaux à poursuivre l’action de Mimmo afin de créer de véritables « villes accueillantes », remparts contre les politiques d’inhospitalité de l’Union européenne et de ses États membres.

Migreurop, 15 octobre 2021

Vivre Ensemble est membre de Migreurop.