Centres fédéraux. La coercition comme unique solution?
Raphaël Rey
CSP Genève
De janvier à mai 2023, le Conseil fédéral a mis en consultation une modification de la Loi sur l’asile (LAsi) ayant pour but de réglementer l’exploitation des Centres fédéraux d’asile (CFA) et le maintien de la sécurité au sein de ceux-ci. Dans leur prise de position, les Centres sociaux protestants (CSP) ont salué la volonté de mettre un cadre légal autour de pratiques comme les fouilles, la contrainte ou les mesures disciplinaires. Mais ils jugent la modification insuffisante: trop peu d’attention est donnée aux besoins des personnes en demande d’asile, alors que les mesures touchent à leurs droits fondamentaux[1]Conseil fédéral (CF), Modification de la loi sur l’asile (sécurité et exploitation dans les centres de la Confédération), Rapport explicatif en vue de l’ouverture de la procédure de … Lire la suite.
Un projet de loi pour répondre aux scandales à répétition
Le projet du Conseil fédéral introduit des bases légales permettant l’usage de la contrainte et de mesures comme la fouille ou la rétention de personnes requérantes d’asile. Il souhaite aussi inscrire dans la LAsi les mesures disciplinaires que le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) peut ordonner à l’encontre des personnes qui perturberaient le bon fonctionnement des CFA. Le projet vise également à préciser les tâches qui peuvent être déléguées à des tiers, notamment celles concernant l’ordre et la sécurité.L’ambition de cette modification législative est de combler des lacunes mises en lumière par le Tribunal fédéral (TF) et par un rapport d’enquête[2]ATF 148 II 218 du 17.12.2021. Bericht über die Abklärung von Vorwürfen im Bereich der Sicherheit in den Bundesasylzentren, 30.09.2021. Synthèse en français, Bericht über die Abklärung von … Lire la suite menée à la suite des dénonciations de violences perpétrées dans les CFA à l’encontre de personnes requérantes d’asile: agents de sécurité violents, cellules d’isolement dont l’usage n’est légitimé par aucune base légale, rapports truqués pour justifier ces pratiques hors du droit[3]Giada de Coulon, «Violences dans les centres fédéraux d’asile», asile.ch, 07.05.2021.. Un ancien juge avait été mandaté par le SEM pour établir les faits. Critiqué par la société civile parce qu’il n’allait pas assez loin[4]Sophie Malka, «Audit sur les violences dans les centres fédéraux: au-delà de l’exercice de communication», décryptage, Vivre Ensemble VE 185, décembre 2021., le rapport Oberholzer formulait une douzaine de recommandations, questionnait le principe de l’externalisation complète de la sécurité à des entreprises privées et pointait l’insuffisance de la formation du personnel recruté dans les centres.
Une révision insuffisante
Les CSP regrettent entre autres l’absence d’une base légale permettant la constitution d’un organe indépendant de dépôt des plaintes pour les résident·es des CFA. Rien non plus concernant la prévention en matière de santé psychique et de suicide [5]Javier Sanchis Zozaya et Sydney Gaultier, Prévention du suicide dans les centres fédéraux pour requérants d’asile de la région suisse romande, rapport du consortium de recherche … Lire la suite. Les mesures proposées restent selon nous excessives. Est maintenue la rétention provisoire dans les salles de sécurité d’un CFA, les fameuses cellules de «dégrisement» ou de «réflexion», et ce même pour les personnes mineures de plus de 15 ans. Les motifs pour lesquels la contrainte peut être utilisée restent très flous. Dans certains cas, les voies de recours ne sont pas clarifiées; dans d’autres, elles ne permettent pas de s’opposer concrètement aux décisions prises par l’autorité. Exemple parmi d’autres, celui de la fouille. Contrairement aux recommandations de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT)[6]CNPT, Résumé du rapport sur ses visites dans les centres fédéraux pour requérants d’asile (2021-2022), décembre 2022., les fouilles corporelles ne sont pas réservées aux cas de soupçon concret. Le projet de loi ne propose ni de limite d’âge ni de possibilité de choisir le genre de la personne effectuant la fouille. De plus, l’exigence du consentement des personnes est retirée –alors qu’elle est présente dans le droit en vigueur– et l’usage de la contrainte en vue d’effectuer les fouilles est désormais autorisé. Enfin, concernant la délégation des tâches aux agences de sécurité privées, les clarifications proposées restent approximatives, malgré la jurisprudence du TF précitée, surtout en ce qui concerne les exigences de qualité et la formation du personnel recruté. Et si le projet de loi réaffirme à plusieurs reprises la responsabilité du SEM en matière de sécurité, rien n’est dit nulle part sur la manière dont le pouvoir décisionnel s’exercera concrètement[7]Oberholzer avait pourtant recommandé de nommer dans chaque CFA des employé·es du SEM disposant si possible d’une formation policière et à qui le pouvoir de décision serait accordé. Voir note … Lire la suite.
Et les personnes concernées alors?
La consultation maintenant terminée, le projet du Conseil fédéral pourra être encore amendé, des ajustements apportés, quelques garde-fous ajoutés ici et là. Il n’en reste pas moins l’impression générale que tout est fait à l’envers. De violences commises à l’égard de personnes requérantes d’asile, on aboutit à un projet de loi qui les dépeint comme potentiellement dangereuses, ceci pour mieux justifier l’usage de la contrainte et de la discipline à leur encontre. Dans les CFA, le pouvoir de l’administration et des entreprises privées à qui elle délègue son pouvoir coercitif est immense; celui des personnes en exil réduit à son minimum[8]Karine Povlakic, Sur l’assignation à un centre de la Confédération et sur la prolongation de la durée maximale du séjour (90 jours) CEP de Vallorbe, Revue Asyl 2/17.. Tout ceci à l’abri du regard indépendant de la société civile. On ne peut imaginer de terreau plus fertile aux dérives et aux violences. Quelques éléments piochés dans le dernier rapport de la CNPT viennent nous le rappeler: cas d’usages disproportionnés de la force, sanctions pour quelques minutes de retard, agressions sexuelles, fouilles systématiques d’enfants, manque de formation du personnel de sécurité, la liste est longue. Pas sûr que mettre une bride légale aux agent·es de sécurité sera suffisant. Et les quelques mesures prises par le SEM avant la modification de la LAsi ne sont pas rassurantes. Depuis le rapport Oberholzer, l’administration a adopté un plan de prévention des violences, de même qu’un projet «Prévention et Sécurité» (PreSec). Or, selon la CNPT, le dernier nommé suscite le scepticisme des responsables de CFA et aucun effet concret n’est constaté. Quant à PreSec, le projet a été suspendu en novembre 2022 par manque de ressources et pour donner la priorité aux problèmes d’hébergement.
Un changement de paradigme nécessaire
Rappelons-le, arriver dans un CFA, c’est arriver pour plusieurs mois dans un lieu souvent isolé, entouré de barbelés et hautement sécurisé. Après avoir fui leur pays, après avoir connu les dangers des routes de l’exil, les personnes se retrouvent sous le contrôle de l’administration, coupées du monde extérieur. Les CFA sont des lieux où l’autorité impose les règles et les étapes de la procédure d’asile. Elle y investigue les récits et les corps, et ceci de manière intrusive. Bientôt, ce seront les téléphones portables des personnes en exil qui pourront être fouillés, à la recherche de quelque indice de passage par un autre État européen, ou de contradictions sur leurs motifs d’asile[9]CF, Modification de l’ordonnance 3 sur l’asile et de l’ordonnance sur l’exécution du renvoi et de l’expulsion d’étrangers – Analyse des supports électroniques de données des … Lire la suite. Les CFA sont aussi des lieux de capture du quotidien: intrusions régulières des agent·es de sécurité dans les chambres, contrôle du rangement des affaires personnelles, distribution de nourriture et interdiction d’en amener par soi-même, horaires stricts d’entrée, de sortie et de repas, fouilles quotidiennes, transferts inopinés d’un centre à l’autre, règles absurdes, sanctions disproportionnées, etc. Seule une véritable prise en compte des effets de déshumanisation produits par l’isolement des centres et leur aspect semi-carcéral permettrait d’instaurer un climat sûr et un cadre accueillant pour que les personnes en exil puissent exposer sereinement leurs récits et leurs motifs d’asile.
Ont également pris position
➤ cath.ch, Les Eglises critiquent la nouvelle loi sur l’aumônerie d’asile, 8mai 2023
➤ En allemand: le HCR, Avenir social, Plateforme «Société civile dans les centres fédéraux».
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