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Notre regard

Des requérant·es d’asile à nouveau logé·es dans des abris PC à Genève

Elodie Feijoo

Les habitant·es de Thônex ont été convié·es par le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) à une séance d’information le 12 janvier, en vue de l’ouverture de l’abri de protection civile (PC) de Pont-Bochet en tant que centre fédéral d’asile, ainsi qu’à une visite de ce dernier. Liberté de mouvement réduite, marginalisation, effets négatifs sur la santé, et difficulté d’accès à une représentation juridique font partie des problèmes liés à ce type d’hébergement.Une impression de déjà-vu

Courrier du SEM annonçant l’ouverture de l’abri PC

En 2005 déjà, la Commission du logement du Grand Conseil de Genève se penchait sur l’hébergement de requérant·es d’asile dans des abris PC. Son constat: «Des réfugiés et des travailleurs sociaux chargés de leur accueil ont été interrogés lors de la crise du Kosovo. Il s’est avéré que les traumatismes vécus sont accentués par les situations de stress qui résultent de la vie en sous-sol. De plus, la vie en sous-sol provoque une perte de la réalité jour-nuit.» (motion M 1619 du Grand Conseil, Genève, 31.01.2005). Dans les années 2015-2016, plusieurs voix s’étaient élevées afin de dénoncer l’inhumanité de tels hébergements sous-terrains. Les abris PC avait alors été fermés. Ces mêmes voix s’élèvent à nouveau aujourd’hui face à ce qui est vécu comme un retour en arrière et une solution hébergement ne permettant pas un accueil digne. Marine Pernet et Shiyar Mahmod, membre de l’association 3ChêneAccueil active depuis 2016 sur le territoire des Trois-Chêne ayant pour but de tisser des liens entre réfugié·es et habitant·es du quartier, se sont exprimés sur léman bleu. Leur prise de parole est disponible sur le site internet de léman bleu.

Seront logées dans l’abri PC des personnes dont la procédure d’asile est en cours. Se pose alors la question d’accès à une procédure équitable et à une représentation juridique. Le point presse migration du 6 septembre 2023 portait sur l’hébergement des personnes réfugiées, en compagnie de Sofia Amazzough, juriste chez Caritas Suisse, et Robin Stünzi, docteur en sciences humaines au nccr – on the move. Un des éléments mis en avant était notamment la politique de ‘Tout sous le même toit’ prévue avec la réforme de la loi sur l’asile. L’idée étant de regrouper tous les acteurs (organismes d’entraide, soutien juridique, fonctionnaires du Secrétariat d’État aux migrations-SEM, etc.) au sein des CFA. L’objectif de permettre l’accès à une protection juridique en tout temps et des auditions sur place plutôt qu’à Berne, et les problèmes liés à l’attribution anticipée aux cantons et à l’ouverture de centres d’asile temporaires ont été discutés. Vous pouvez télécharger la synthèse ici.

ABRIS PC – TROP CHERS ET NOCIFS POUR LA SANTÉ +

Les autorités genevoises n’ont pas caché, dès le début de la guerre en Ukraine, exclure dans la mesure du possible l’ouverture d’abris de protection civile pour les réfugié·es. Elles pouvaient s’appuyer sur le fait que ces abris devaient être libres en cas de guerre nucléaire… Et surtout, que cette solution coûte très cher. À titre de comparaison, le dispositif de Palexpo permet d’héberger un peu plus de 700 personnes, au tarif de 2,5 millions de francs par an selon l’Hospice général. Alors que chaque abri ouvert revient à 1 million de francs par an pour des prestations inférieures. Le calcul est vite fait: en 2015, quatre abris PC avaient hébergé jusqu’à 150 personnes… qui n’en ont pas gardé bon souvenir: «On veut de l’air, pas du vent », revendiquaient ceux contraints d’y vivre depuis plusieurs mois. C’est que l’hébergement sous terre sur une durée indéterminée n’est pas sans impact sur la santé: « Le confinement, la promiscuité et l’absence de lumière naturelle conduisent certains à revivre des situations traumatisantes, liées à un séjour en prison, à la guerre ou à leur voyage pour arriver en Europe », relevait Sophie Durieux, responsable du Programme santé migrants des Hôpitaux universitaires genevois (HUG), dont la permanence était témoin du grand désarroi de ces jeunes hommes (Le Courrier, 24.06.2015). Dans leur communication politique, les autorités cantonales pourraient aussi assumer cette réalité, pour encourager la population à ouvrir leurs portes aux réfugié·es de toutes les guerres.

Sophie Malka (10 janvier 2023)

Ironie de la situation? Trois centres fédéraux (non-souterrains) fermeront fin février

En janvier 2023, le scénario «moyen» de prévisions des demandes d’asile du SEM tablait sur 27 000 nouvelles demandes (+/- 3000). En juin 2023, le Parlement fédéral refusait la construction de « villages conteneurs », solution proposée par le Conseil fédéral afin de répondre aux besoins d’hébergement à venir. L’ouverture de l’abri PC de Thônex proposée aujourd’hui, dans un contexte de 30’000 nouvelles demandes d’asile sur l’année 2023 (correspondant donc aux prévisions du SEM), fait suite à un appel du SEM aux cantons, leur demandant de mettre à disposition des lieux d’hébergement, faute de place suffisante. Ironie de la situation? Au moment d’écrire ces lignes, nous apprenons la fermeture par le SEM de trois centres fédéraux temporaires dans les cantons de Berne, Zurich et Vaud à la fin du mois de février. Les personnes actuellement logées dans ces lieux seront donc transférées dans d’autres centres.

Visites de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) +

Une délégation de la Commission nationale de prévention de la torture a visité les 2 et 3 mai 2023 les centres fédéraux temporaires d’asile situés dans les abris de protection civile de la Bonergasse et du Schäferweg en ville de Bâle (BS) ainsi que dans l’abri de protection civile de la commune d’Aesch (BL). Leur rapport (disponible en allemand), soulignant plusieurs incidents, peut être téléchargé ici. (Consulter tous les rapports de la CNPT avec les réponses des autorités) L’OSAR a publié une analyse de ces rapports et de la réponse du Secrétariat d’Etat aux migrations. À noter également sa prise de position face à l’hébergement, dans certains cantons, de familles avec mineurs dans des abris PC.

Plus d’informations sur l’ouverture de l’abri PC de Thônex sont disponibles dans l’article du Courrier du 14 janvier 2024, reproduit ci-dessous.

A THÔNEX, UN ACCUEIL SOUS TERRE

Maude Jaquet, Le Courrier, dimanche 14 janvier 2024

Cet article a été reproduit grâce à l’aimable autorisation du quotidien Le Courrier. L’accès à cet article ne doit pas faire oublier que l’information a un coût et ce sont les abonné-e-s au Courrier qui garantissent son indépendance. L’article peut être consulté sur leur site internet.

Le Secrétariat d’Etat aux migrations rouvrira cette semaine un abri de la protection civile thônésien pour loger des requérants d’asile. Un mauvais souvenir pour les associations.

L’abri de la protection civile de Thônex accueillera bien des demandeurs d’asile, et ce dès la semaine prochaine. Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), eu égard aux prévisions d’arrivée de réfugié·es en 2024, a sollicité les cantons afin qu’ils mettent à disposition des locaux de la PC inoccupés. Thônex, avec ses cent lits sous l’hôpital des Trois-Chênes, a été retenu –tout comme Plan-les-Ouates dont un abri ouvrira également prochainement– pour accueillir un centre d’asile fédéral sans fonction procédurale. Ici ne seront a priori hébergés que des hommes seuls, en tous cas aucun mineur ni aucune famille. Un profil qui concerne majoritairement des hommes turcs ou afghans en ce moment, dont une dizaine devraient emménager dès la fin de semaine.

L’histoire sonne comme un recommencement, car ce même abri avait été, pendant la crise migratoire de 2014-2015, utilisé comme structure d’hébergement cantonal de requérants d’asile. Une situation qui avait fait naître le mouvement No Bunkers, indigné de voir des personnes, des plus fragiles, logées en sous-sol pendant de nombreux mois. Aujourd’hui, si le canton n’exploitera plus lui-même cet espace, il le met à disposition de la Confédération. Une proposition pas désintéressée, car elle permet d’espérer une moins grande surcharge du dispositif cantonal, explicite Nadine Mudry, directrice générale de l’action sociale à l’Etat.

Appel à la société civile

C’est donc avec une inquiétude palpable que des associations comme 3ChêneAccueil ont accueilli vendredi soir les responsables du SEM, venu·es informer la population thônésienne de cette réouverture. Les habitant·es ont aussi pu visiter les futurs lieux d’accueil, encore en cours d’installation. Si l’espace est le même, les modalités d’hébergement diffèrent, insistent les autorités. Car cet abri PC n’accueillera que des personnes au début du processus de l’asile, qui y résideront en moyenne «trois à quatre semaines» avant d’être attribuées à un canton, relèvent les responsables du SEM.

L’espace de vie est spartiate. Une longue rampe qui s’enfonce sous terre, aux abords de la cafétéria de l’Hôpital des Trois-Chênes. En bas, une structure classique d’un abri PC. Enchaînement de lits superposés, à peine séparés des zones où seront pris les repas, livrés trois fois par jour par les cuisines de l’hôpital au-dessus. Un espace «bar», comprendre une petite salle avec machine à café et snacks à disposition, sera à disposition toute la journée, promet l’équipe d’encadrement de l’ORS (Organisation pour le service aux réfugiés). A cela s’ajoute un espace infirmerie, délimité par de simples paravents.

Bien consciente que le temps passé sous terre doit être limité au maximum, l’ORS, mandatée par la Confédération pour la gestion de ses centres, proposera des activités à l’extérieur. Cours de français, activités artistiques ou sport auront lieu dans des salles prêtées par la commune, laquelle, par la voix du conseiller administratif Bruno da Silva, dit avoir «appris des expériences précédentes, et notamment de l’importance de proposer des activités à l’extérieur de l’abri». Que des occupations facultatives, car les requérants d’asile ont de toutes façons la possibilité de sortir du centre librement entre 9h et 19h ainsi que les week-ends. Des sorties en ville sont aussi prévues et la société civile est appelée à être partie prenante de cet accueil.

Mieux possible insuffisant

Elle a justement répondu présent, vendredi soir, à une séance d’information qui a rassemblé une soixantaine d’habitant·es de la commune. Mais ce sont surtout beaucoup de critiques qui ont émané des bénévoles qui, depuis de nombreuses années, s’engagent pour tisser des liens avec les personnes accueillies dans la région. Beaucoup ont été des luttes No Bunkers et condamnent la réouverture d’un lieu sous-terrain. «Vous dites que vous ferez de votre mieux, mais même le mieux possible, dans un abri PC, ce n’est toujours pas terrible. Ce n’est pas une question de bonnes intentions», pointe du doigt Marine Pernet, présidente de l’association 3ChêneAccueil.

Plusieurs prises de parole ont rappelé que les migrants qui ont vécu dans ces abris en 2015 ont dénoncé des conditions de vie insalubres, une promiscuité étouffante pesant sur une santé mentale déjà fragile. Car à l’abri de Pont-Bochet, il n’y aura pas de suivi psychiatrique individualisé par exemple. Pour le SEM, une occupation au minimum possible en fonction des arrivées et une limitation de la durée d’hébergement sont les clés qui rendent cette solution, si elle n’est pas idéale, supportable. «Le but est d’offrir un toit à toutes les personnes qui arrivent», ont répété les responsables. «Mais quelles garanties pouvez-vous nous donner que les personnes ne resteront ici que trois à quatre semaines?» a encore demandé une personne dans l’assemblée. Pas vraiment de garantie, si ce n’est une moyenne du temps d’attente durant la première phase de la procédure d’asile.

Les responsables du SEM ont répondu à plusieurs reprises que cette situation est le résultat de décisions politiques. L’été passé, les parlementaires avaient refusé un budget destiné à l’installation de containers – en surface donc – sur des parcelles militaires. Dont acte, au vu de l’urgence, les abris PC restent la solution la plus rapidement opérationnelle. «Vous nous parlez d’urgence, mais cette urgence date d’il y a dix ans et n’est pas prête de s’arrêter. Il n’y a pas d’évolution, pas de projet à moyen terme. Pour les Ukrainiens pourtant, on a su trouver d’autres solutions», a déploré une autre membre de 3ChêneAccueil. Si la séance n’aura pas répondu sur le fond à toutes les inquiétudes, elle aura au moins permis de rappeler que les associations comptent bien d’une part s’investir dans l’accueil des personnes logées à Thônex, mais aussi «assurer un rôle de surveillance». Un difficile équilibre, fait de «pansements sur une procédure qui ne marche pas», a conclu Marine Pernet.

© Image d’illustration de l’article: Photo de Miguel Alcântara sur Unsplash