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Tribune de Genève | Fact-checking à propos d’accusations frappant les Roms d’Ukraine

Dans le contexte actuel marqué par le 2ème anniversaire de la guerre en Ukraine, des voix du monde politique et des médias se sont élevées pour relater de « nombreux abus » du statut de protection S par des personnes Roms. Ceux-ci acquerraient illégalement des papiers en Ukraine pour ensuite abuser du système suisse. Ces affirmations sont-elles fondées ? L’article de Charlotte Walser dans la Tribune de Genève répond aux principales questions sur la problématique en gardant la tête froide. Il rappelle notamment qu’il n’y a pas de chiffres sur le nombre de Roms d’Ukraine qui ont demandé le statut de protection S, car seule la citoyenneté est enregistrée et non l’ethnie.

L’article original de Charlotte Walser a été publié dans le Tages-Anzeiger le 14.02.2024, puis traduit et publié dans la Tribune de Genève. Nous avons obtenu leur autorisation exceptionnelle de republier cet article. Nous les en remercions.

Des Roms sont soupçonnés d’abuser du statut de protection S

Les Roms d’Ukraine suscitent le mécontentement des cantons. La Confédération confirme qu’il y a des problèmes.

Des Ukrainiens et Ukrainiennes continuent de se réfugier en Suisse pour fuir la guerre. Parmi ces personnes se trouvent actuellement de nombreux Roms. Or, plusieurs médias ont rapporté que des cantons soupçonnent des abus. Certains pensent qu’il ne s’agit pas de Roms ukrainiens, beaucoup ne parlant ni l’ukrainien ni le russe. D’autres critiquent le fait que les Roms disparaissent souvent pour revenir plus tard, et que certains se déplacent avec des passeports falsifiés ou obtenus illégalement. Les communes déplorent également que beaucoup laissent les logements mis à disposition en mauvais état.

Gaby Szöllösy, secrétaire générale de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS), a déclaré à la «NZZ» que les Roms bénéficiant du statut de protection S sont «un sujet de préoccupation dans presque toute la Suisse». Le comité directeur de la CDAS ne s’est pas pour autant encore penché sur le sujet, explique Gaby Szöllösy. Il a simplement demandé au Secrétariat d’État aux migrations (SEM) d’examiner attentivement les documents des personnes concernées.

Nous répondons aux principales questions sur la problématique.

Les Roms obtiennent-ils le statut de protection S en Suisse?

Selon les estimations, entre 200’000 et 400’000 Roms vivent en Ukraine. Les Roms obtiennent le statut de protection S en Suisse s’ils sont d’identité ukrainienne et avaient leur centre d’intérêt en Ukraine avant le début de la guerre. Dans le cas contraire, le SEM rejette la demande de protection. Cela vaut d’ailleurs pour toutes les personnes qui demandent le statut de protection S.

Le SEM examine également s’il existe des indications selon lesquelles une personne a déjà obtenu une protection dans un autre État européen. Dans ce cas également, la demande est rejetée. Ces derniers mois, le nombre de demandes refusées a augmenté, car deux ans après le début de la guerre, de plus en plus de personnes ayant déjà obtenu une protection dans un autre pays déposent une demande. Ainsi, en novembre dernier, plus de 100 demandes ont été rejetées.

Les Roms arrivent-ils en Suisse avec des passeports falsifiés ou obtenus illégalement?

Le SEM écrit que les falsifications peuvent être facilement détectées par des spécialistes lors des contrôles d’authenticité. «Il arrive sporadiquement que l’on en constate.» Il en va autrement des documents d’identité authentiques qui ont été vendus illégalement. Cela ne se voit pas sur les passeports. Le SEM écrit à ce sujet qu’il a connaissance du fait qu’en Ukraine, des papiers d’identité sont parfois fabriqués et vendus illégalement. Cette thématique ne concerne pas seulement la Suisse. «Dans les cas où l’on soupçonne un abus, des investigations supplémentaires sont immédiatement menées et les mesures nécessaires sont prises», assure le SEM.

Le problème est que le statut de protection S est censé désengorger le système d’asile. Si des clarifications supplémentaires sont nécessaires, cela entraîne une augmentation du nombre de dossiers en suspens, déjà élevé. À cela s’ajoute la question de savoir où les Roms peuvent être expulsés. Le SEM écrit qu’il ordonne le renvoi lorsqu’il existe une «alternative de protection raisonnable».

Les personnes en quête de protection en provenance d’Ukraine peuvent-elles quitter la Suisse et demander à nouveau une protection ultérieurement?

Selon les règles en vigueur, il est permis de déposer à plusieurs reprises une demande d’asile ou une demande de protection. Pour les personnes qui se sont absentées entre-temps, le SEM examine toutefois si le statut de protection S doit être révoqué en raison d’un séjour répété ou prolongé dans le pays d’origine ou parce que le centre d’intérêt a été déplacé à l’étranger. Sauf exception, le SEM peut révoquer le statut de protection S lorsqu’une personne séjourne plus de 15 jours par trimestre en Ukraine. Il n’est pas possible de bénéficier plusieurs fois de l’aide au retour.

Combien de Roms d’Ukraine ont-ils demandé le statut de protection S?

Il n’existe pas de chiffres à ce sujet, car seule la citoyenneté est enregistrée, pas l’ethnie.

La langue est-elle un indice laissant supposer une autre origine?

Si les Roms ne parlent pas l’ukrainien ou le russe, cela ne signifie pas nécessairement qu’ils viennent d’un autre pays que l’Ukraine. Il n’est pas rare que les Roms ne parlent pas la langue du pays, souligne l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR).

Les organisations de réfugiés font par ailleurs remarquer que les Roms sont souvent victimes de discriminations, y compris en Ukraine et dans les pays voisins. Il s’agit d’un groupe de réfugiés vulnérable. Après le début de la guerre, des rapports indiquent que la Hongrie a refusé aux Roms d’Ukraine le passage de la frontière.

Que demande la politique?

Le conseiller aux États Benedikt Würth (Le Centre/SG) demande des adaptations par le biais d’une intervention parlementaire. Il souhaite que le statut de protection puisse être retiré ou ne pas être rétabli lorsqu’une personne quitte le pays pour une durée de séjour déterminée, lorsqu’une personne a bénéficié d’une aide au retour et lorsque le statut de protection S a été obtenu de manière abusive.

Combien de temps le statut de protection S est-il valable?

Le débat sur les Roms alimente la discussion sur le statut de protection S. L’UDC demande depuis longtemps sa suppression. Le Conseil fédéral a toujours souligné qu’il supprimerait le statut de protection S en accord avec l’UE. L’automne dernier, il a décidé de le prolonger jusqu’en mars 2025. Le SEM a toutefois déjà élaboré un concept pour cette suppression.

Sans statut de protection S, les personnes en provenance d’Ukraine pourraient déposer une demande d’asile et seraient – selon la région d’origine – admises provisoirement en tant que réfugiés de guerre. Au cours des derniers mois, environ 1000 à 2000 personnes d’Ukraine ont demandé le statut de protection S. Durant la même période, de nombreux Ukrainiens et Ukrainiennes sont rentrés dans leur pays. L’année dernière, environ 11’000 personnes sont rentrées volontairement.

Charlotte Walser