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Notre regard

Rapport d’évaluation | Bureaux externes de signalement des plaintes dans les CFA de Bâle et Zürich

Juliette de Montmollin

Lancé en novembre 2022 par le SEM pour prévenir la violence au sein des centres fédéraux d’asile (CFA), le projet pilote « bureaux externes de signalement des plaintes » a fait l’objet d’une évaluation. La création d’un organisme indépendant pour que les demandeurs·euses d’asile -et le personnel des centres- puissent déposer des plaintes en cas d’acte de violence ou d’irrégularité est une demande de longue date des associations et de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT). Ce n’est que suite à des rapports, reportages et des plaintes pénales faisant état de graves violations des droits humains dans les CFA de la part du personnel des centres, qu’un audit a été mandaté par le SEM, lequel a conduit à la mise en place de ce projet pilote.

Les deux bureaux externes à proximité des CFA de Bâle et Zürich ont pour objectif de permettre aux personnes requérantes d’asile et aux collaborateurs·trices chargés de l’encadrement et de la sécurité de pouvoir signaler toute éventuelle irrégularité ou violence. Sur la base du rapport d’évaluation, qui émet déjà plusieurs recommandations (ci-dessous), le projet pilote a été prolongé de six mois. Pour les ONG, il s’agit de renforcer l’indépendance du bureau et de mieux le faire connaître des personnes en procédure.

Le rapport fait état d’un manque de connaissance parmi les personnes requérantes d’asile de l’existence du bureau externe de signalement du CFA de Zurich. Le rapport souligne ainsi l’importance de largement diffuser cette information auprès des personnes requérantes d’asile et du personnel concerné. L’OSAR salue qu’il soit recommandé dans le rapport d’assurer une plus grande indépendance institutionnelle des bureaux externes de signalement. Pour l’OSAR, les efforts de transparence des autorités doivent être poursuivis et la mise en œuvre des recommandations émises par le groupe de travail encouragée

OSAR, Mieux gérer les incidents dans les centres fédéraux pour requérants d’asile grâce à une transparence accrue, 26 mars 2024

Comme le souligne l’OSAR, le rapport d’évaluation intermédiaire conclut que ces bureaux font globalement leurs preuves, mais nécessitent des améliorations pour davantage de transparence et d’efficacité.. Le rapport recommande la poursuite et l’extension de ces bureaux, mais pas sous leur forme actuelle, car ils « devraient pouvoir agir de manière institutionnellement indépendante sur la base de leur propre fondement légal ». L’évaluation commanditée par le SEM a été réalisée courant 2023 par le bureau Team Consult SA (TC), et vise à vérifier l’atteinte des objectifs et servir de base à une éventuelle extension de ces bureaux à d’autres CFA.

Contexte

3rgg.ch – Securitas-Gewalt im Lager Basel

La mise en place de ces bureaux externes en novembre 2022 s’inscrivait à la suite de graves violations des droits humains et de dysfonctionnements majeurs dans les CFA, qui avaient été dénoncés, puis confirmés par un audit externe de l’ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer en 2021. Le rapport du même nom avait ainsi fait une douzaine de recommandations visant à assurer tant la sécurité du personnel des CFA que celle des personnes requérantes d’asile. Parmi celles-ci, était notamment recommandé l’établissement d’un organe externe et indépendant pour prendre les plaintes des personnes requérantes d’asile vivant dans un CFA, et du personnel de sécurité et d’encadrement.

Ainsi, la mesure prise par le SEM en 2022 avait été saluée par les organisations de défense des personnes requérantes d’asile, qui émettaient toutefois certaines réserves, notamment sur le manque d’indépendance de ces bureaux – soumis à la surveillance et au pouvoir d’instruction du SEM- qui se «surveille donc en quelque sorte lui-même», rappelait notamment la Platerforme pour la société civile dans les centres fédéraux.

Projet pilote

Objet de ce rapport, le projet pilote vise à «permettre aux requérants d’asile et au personnel des prestataires Encadrement et Sécurité (LE Betreuung und Sicherheit), de signaler de manière autonome d’éventuelles irrégularités à un service neutre» [1]https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/asyl/asylverfahren/asylregionen-baz/externe-meldestelle.html. Les deux bureaux de signalements externes ont été mis en places dans les CFA de Bâle et de Zürich. Gérés par l’œuvre suisse d’entraide ouvrière (OSEO), chacun de ces deux bureaux est situé à quelques minutes à pied des CFA. Divers canaux de communication (Whatsapp, Signal, téléphone, courrier postal et électronique), ainsi qu’une permanence hebdomadaire sont mis à disposition pour signaler d’éventuels incidents. Le bureau de signalement externe enregistre, saisit, trie puis documente les signalements. Il assure en outre une fonction de conseil et peut proposer au besoin une séance de conseil supplémentaire. « Si l’auteur le souhaite expressément, le signalement peut être transmis à des centres de consultation, des organismes spécialisés ou des autorités de poursuite pénale, mais le bureau de signalement externe ne mène pas d’enquête lui-même. » [2]https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/asyl/asylverfahren/asylregionen-baz/externe-meldestelle.html Enfin, il est prévu que pendant la phase pilote les bureaux de signalement rendent compte trimestriellement de leur activité au SEM, et adressent des recommandations non contraignantes. Le projet pilote est accompagné d’une évaluation externe indépendante, dont le rapport intermédiaire est désormais disponible en allemand (voir ci-dessous).

Premiers résultats après douze mois de fonctionnement

Le rapport intermédiaire, portant sur la période du 1er novembre 2022 au 30 octobre 2023, relève l’atteinte de deux des six objectifs du projet. Le nombre de signalements de la part des personnes requérantes d’asile a augmenté, et le SEM gagne en transparence et en crédibilité. Par contre, le rapport fait état d’un manque de représentativité et de signalements de la part du personnel d’encadrement et de sécurité, ce qui ne permet pas de détecter et corriger les développements négatifs dans le centre. Les indicateurs sur la situation d’hébergement manquent également. Enfin, l’amélioration continue des conditions d’hébergement en lien avec l’unité de gestion interne n’est que partiellement atteinte. Il reste à noter également que l’identification et la correction des manquements aux obligations ou des actes criminels est seulement possible si la personne qui effectue un signalement accepte que le signalement soit transmis au SEM, et renonce à son anonymat.

ObjectifDegré de réalisation des objectifsCommentaires
1. Augmentation du nombre de signalements des demandeurs d’asile et le personnel d’encadrement et de sécurité (LE Betreuung und Sicherheit)Partiellement atteint▪ Signalements de la part des demandeurs·euses d’asile : objectif atteint;
▪ Signalements de la part du personnel d’encadrement et de sécurité : objectif non atteint.
2. Détection et correction précoces des développements négatifs dans l’hébergementPartiellement atteint▪ Pas toujours donnée à court terme dans le flux des signalements ;
▪ Faible nombre de signalements de la part du personnel d’encadrement et sécurité ;
▪ Manque de représentativité.
3. Identification et correction des manquements aux obligations, des actes criminels par le personnel, ou des situations et comportements non conformes aux directives et instructions.Atteint dans certaines configurationsSeulement possible si :
▪ la personne accepte que le signalement soit transmis au SEM et
▪ renonce à son anonymat.
4. Prévention de la perception d’une « boîte noire » dans la gestion des aspects négatifs.Atteint▪ Transparence accrue ;
▪ Crédibilité accrue
5. Indicateur de la situation d’hébergement, de soins et de sécurité dans les centres d’asile fédéraux.Non atteint▪ Représentativité manquante ;
▪ Données de monitoring plutôt ponctuelles
6.  Amélioration continue de l’hébergement, des soins et de la sécurité dans les centres d’asile fédéraux via le lien avec la gestion de la qualité de l’hébergement interne (QMU).Partiellement atteint▪ Il existe un lien entre le bureau de signalement externe et l’unité de gestion de la qualité de l’hébergement (interne) ;
▪ Amélioration continue plutôt au cas par cas.
Tableau 3 : Aperçu de la réalisation des objectifs du projet pilote, en page 16 du rapport (traduction)

À la suite de ces résultats, le rapport effectue en pages 52-53, une série de recommandations, pour améliorer davantage les bureaux externes. Nous les listons ci-dessous, traduites.

Recommandations

Les bureaux de signalement externes se sont avérés être un canal de communication complémentaire efficace à côté de la gestion interne des plaintes. Ils aident non seulement les personnes dans des cas individuels, mais augmentent également la transparence et la crédibilité du SEM à l’extérieur. Pour améliorer davantage les bureaux externes, les recommandations suivantes peuvent être faites au moment du rapport intermédiaire.

Recommandation 1 : Poursuite et déploiement des bureaux externes

Les bureaux externes devraient être poursuivis et étendus, mais pas sous leur forme actuelle. Non seulement des considérations politiques, mais aussi la valeur ajoutée (au moins symbolique) des bureaux pour les personnes éligibles à faire des déclarations le justifient. Les bureaux externes devraient pouvoir agir de manière institutionnellement indépendante sur la base de leur propre fondement légal. Des concepts mobiles avec une offre en ligne élargie devraient être envisagés. Il serait également judicieux, du point de vue de l’unité de doctrine, de faire gérer les bureaux externes par un seul opérateur, car cela réduirait le besoin de coordination et préviendrait une culture en silos.

De plus, il est nécessaire d’augmenter l’acceptation de l’institution des bureaux externes au sein du SEM et de communiquer leur valeur ajoutée aux employés, afin de réduire les résistances internes et de faciliter le déploiement.

Recommandation 2 :  Élargissement de la communication concernant les bureaux externes

La communication sur les bureaux externes devrait être étendue. À Zurich, au moins, l’existence des bureaux est trop peu connue parmi les demandeurs d’asile.

La session d’information, en tant que moyen important de communication sur les bureaux externes, devrait être analysée en détail sous cet angle et les problèmes linguistiques éventuels devraient être résolus. Les affiches concernant le bureaux externe devraient systématiquement inclure des codes QR et les canaux de communication pertinents pour la cible (par exemple, les réseaux sociaux) devraient être utilisés de manière continue.

De plus, il devrait être assuré que les bénévoles et les services de conseil soient suffisamment équipés en matériel d’information sur le bureau externe, qu’ils soient familiers avec l’offre du bureau externe et qu’ils puissent également la transmettre aux demandeurs d’asile.

Recommandation 3 : Élaboration d’un concept global pour le système de signalement

Un concept global, qui inclurait tous les canaux de signalement complémentaires existants, devrait être élaboré et mis en œuvre. Ce concept devrait couvrir les procédures, les collectes de données, les voies de signalement et l’analyse des données.

Une telle conception holistique augmenterait la représentativité et faciliterait la déduction des développements systémiquement pertinents. De plus, une telle approche globale garantirait une meilleure et plus équilibrée prise en compte de toutes les personnes ayant le droit de signaler.

Recommandation 4 : Focus sur une perspective plus orientée système

Grâce à une perspective plus orientée système, toutes les données disponibles devraient être consolidées afin de permettre une amélioration continue réelle du système.

Les voies de signalement existantes devraient être complétées par des enquêtes régulières dans les CFA auprès des demandeurs d’asile et du personnel sur l’hébergement, les soins et la sécurité, afin de pouvoir garantir une fonction de mesure réelle du système de signalement.

De plus, il pourrait être judicieux de regrouper les données générées de cette manière en clusters pour chaque indicateur, qui pourraient alors refléter en un coup d’œil la qualité de l’hébergement, des soins et de la sécurité dans les CFA. Ces données regroupées pourraient ensuite être condensées dans un tableau de bord.

Comme relevé par l’OSAR, il est important que ce projet soit étendu au-delà du pilote, et que les recommandations du rapport soit appliquées. Surtout en sachant, comme le souligne la plateforme «Société civile dans les centres fédéraux d’asile» (SCCFA), que ces bureaux ont été mis en place dans deux centres fédéraux avec tâches procédurales (où les personnes passent en moyenne moins de temps que dans des centres sans tâches procédurales). Alors que les difficultés rencontrées, mises notamment en avant par le rapport Oberholzer, avaient surtout été identifiées dans les centres fédéraux sans tâches procédurales [3]https://asile.ch/2023/01/30/sccfa-projet-pilote-bureaux-de-signalements/. Il faut donc espérer qu’à la suite de ce rapport, le SEM saura étendre cette mesure à tous les CFA en prenant sérieusement en compte les recommandations.

Deux mesures récentes semblent par ailleurs aller dans le sens d’un renforcement de la sécurité au sein des CFA. D’une part, sur la base des résultats du rapport intermédiaire, le SEM a décidé de prolonger le projet pilote de six mois, jusqu’au 31 octobre 2024. D’autre part, dans son message du 24 avril 2024, le Conseil fédéral entend régler les principales missions du SEM dans la Loi sur l’asile (LAsi). Tant l’hébergement, l’encadrement des personnes requérantes, que les domaines dans lesquels le SEM peut recourir à la contrainte ou déléguer ces compétences à d’autres prestataires, seront explicitement définis dans la loi [4]https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-100797.html

Espérons que ces bases légales claires permettront de continuer à pallier aux manquements, et véritablement garantir la sécurité de toutes et tous, face à une violence qui, rappelons le, reste systémique.