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Notre regard

Travail | Philippe Fleury: «Le momentum va devenir favorable»

Propos recueillis par Perihan Kaya
Philippe Fleury, directeur de la Fédération des entreprises romandes (FER) jusqu’à décembre 2024

La FER Genève et l’Hospice général ont organisé le 29 novembre 2024 le premier «Forum de l’employabilité». Perihan Kaya a rencontré le Directeur de la Fédération Genève avant cet événement, pour discuter avec lui de l’insertion professionnelle des personnes issues de l’asile. Pour Philippe Fleury, la collaboration entre le secteur économique, l’État et les associations est capitale. Avec un mot d’ordre à décliner sur tous les canaux possibles: informer, informer, informer.

PERIHAN KAYA · Selon vous, quels sont les principaux défis auxquels les réfugié·es en Suisse sont confronté·es dans leur recherche d’emploi, en particulier lors des processus de recrutement ?

PHILIPPE FLEURY · La principale préoccupation, selon ce que je peux entendre du terrain, c’est la maîtrise de la langue. Les entreprises embauchent naturellement quelqu’un qui parle soit la langue nationale du lieu, soit la langue de l’entreprise, qui peut par exemple être l’anglais.

Ensuite, il y a la nature du permis de séjour. Certains permis sont plus temporaires, tandis que d’autres offrent plus de stabilité à long terme. Les entreprises privilégient ces derniers.

Un autre défi est le manque de connaissance des employeur·euses concernant les différents types de permis. Moi-même, par exemple, j’en connais quelques-uns, mais pas tous.

Enfin, la reconnaissance des diplômes et des compétences. Les personnes issues de l’asile possèdent souvent de nombreuses compétences, mais la Suisse ne les reconnaît que rarement, ce qui est un frein. De plus, certaines personnes n’ont pas pu emporter leurs diplômes avec elles en fuyant leur pays.

En dehors de ces défis, spécifiques aux personnes issues de l’asile, il existe des obstacles généraux: la concurrence sur le marché du travail est forte, malgré une pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs. Il y a aussi la question du salaire minimum, notamment à Genève, qui, selon certain·es employeur·euses, peut être un frein à l’embauche.

Qu’est-ce qui est mis ou pourrait être mis en place pour surmonter les obstacles à  l’embauche ?

Nous constatons une méconnaissance des employeur·euses par rapport à ce que les personnes réfugiées peuvent apporter à une entreprise. Ils ou elles se demandent souvent si l’embauche d’une personne réfugiée va créer des solutions ou des problèmes. Il est donc essentiel de continuer à sensibiliser les employeur·euses pour réduire leurs craintes quant aux possibles difficultés d’intégration. Aussi, les mesures incitatives proposées par les cantons sont encore trop peu connues, alors que, pour une PME hésitante, ce type de soutien peut faire une réelle différence.

Nous devons aussi comprendre que les entrepreneur·euses, surtout après deux ans de pandémie, ont d’autres priorités, comme servir leurs clients et payer les salaires. Ils n’ont pas toujours le temps de se pencher sur les subtilités du système d’asile, de la fiscalité ou des aides disponibles. Qui va faire ça le soir ou pendant le week-end?

Il faut donc leur fournir des solutions immédiates et des informations utiles, et ce, par tous les canaux disponibles. Une des pistes consisterait à associer plus étroitement le monde professionnel et le tissu associatif pour communiquer plus efficacement envers les entreprises, car il y a assez peu de passerelles, de lieux d’échange. Je fais partie du comité de Caritas, qui travaille dans l’insertion professionnelle. Le tissu associatif fait un travail fantastique. De leur côté, les branches professionnelles et les  associations économiques, comme la FER, ont un rôle à jouer. Les branches professionnelles doivent transmettre l’information à leurs membres. Il faut aussi partager les histoires de réussites.

C’est dans cette optique que nous avons organisé le premier forum de l’employabilité, le 29 novembre dernier, en collaboration avec l’Hospice général, où différentes approches de recrutement ont été présentées aux employeur·euses, notamment pour le public issu de l’asile et de la migration.

Cette illustration et la suivante sont issues de la brochure Réfugié·es & emploi, Au-delà des idées reçues, asile.ch, 2022, p. 17-18

Vous avez soulevé le défi de la reconnaissance des diplômes et des compétences. Des pistes de réflexion ?

Nous nous dirigeons vers une période où les entreprises vont manquer de main-d’œuvre. Elles vont donc diminuer leur niveau d’exigence. Pour le moment, si vous ne trouvez pas un diplômé à gauche, vous le prenez à droite. Mais il y a un moment où il n’y aura plus assez de personnes. Ce qui comptera, c’est de pouvoir démontrer que vous avez les compétences, pas forcément les diplômes. Le momentum va devenir favorable.

Une chose que l’on peut aussi faire, c’est de permettre aux demandeur·euses d’asile et réfugié·es de travailler aussi vite que possible*. Qu’il y ait moins de délais. Parce que tout délai est souvent mal compris par les  employeur·euses. Empêcher cette population de travailler ne rend service à personne. On sait très bien que les réfugié·es en Suisse sont destinés à rester. Donc, autant les intégrer le plus vite possible.

L’événement du 29 novembre est passé, y aura-t-il une suite ?

Il y aura une suite, c’est certain. À nous, collectivement, de l’inventer. Cet événement est le début d’actions, de rencontres et d’échanges qui devront se dérouler sur le long terme. C’est sûr qu’on ne va pas régler la question avec un événement de quatre heures.

*Tant qu’elles sont dans un centre fédéral d’asile, les personnes en procédure (demandeur·euses d’asile – permis N) ont l’interdiction de travailler. Cela peut durer jusqu’à 140 jours. Ce laps de temps réduit à long terme les chances d’intégration professionnelle.

Les statuts S et les titulaires du permis N doivent déposer une demande d’autorisation aux autorités cantonales. Le délai de réponse peut constituer un obstacle. Les autorités fédérales planchent actuellement sur une procédure de simple annonce pour les statuts S, à l’image des titulaires de permis F.

A propos de la revue

Cet article est paru dans le 200e numéro de notre revue d’information sur l’asile et les migrations. A cette occasion, nous avons voulu proposer une édition spéciale, sortant de notre habituelle démarche éditoriale. C’est ainsi que le contenu de cette revue a été entièrement rédigé et illustré par des personnes réfugiées.

Pour en apprendre plus sur la démarche, le processus et les perspectives qui s’ouvrent pour la suite, nous vous renvoyons vers le making-off de ce numéro spécial. Bonne lecture!


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